A Bamako (les villes de l’intérieur ne sont pas mieux nanties), les coupures d’électricité ont pris une tournure qui dépasse aujourd’hui l’imaginaire. En effet, ils sont nombreux les quartiers qui comptabilisent ces dernières semaines les 24 voire les 48 heures sans courant. Au point que l’avoir à une certaine heure est devenue aussi une hantise pour certaines personnes. «Oh Allah, fasse qu’EDM coupe le courant le reste de la journée pour que nous puissions l’avoir la nuit» ! Telle est la prière formulée par une Maman de Lafiabougou.
Pourquoi la nuit de préférence ? «Pour permettre aux enfants d’apprendre leurs leçons et surtout de mieux dormir grâce aux ventilateurs. Sinon, ils sont obligés de renoncer à leurs sports pour apprendre l’après-midi. Sans électricité la nuit, personne ne dort à cause de la chaleur à l’intérieur et des moustiques dehors», explique-t-elle. Mais, ce moment n’est pas propice pour tout le monde. «Nous préférons avoir le courant la journée pour ne pas être contraint de travailler la nuit et déranger les gens par le bruit de nos appareils», se défend un menuisier métallique. Certains sont tellement traumatisés que, pour sans doute l’amadouer, lui (électricité) ont trouvé des surnoms romantiques comme «Jolie». Une Jolie visiblement trop capricieuse qui pointe à l’improviste et découche quand cela lui chante.
«Je suis très perturbé parce que je dors très mal à cause des coupures. Et il m’arrive aussi de me réveiller tard dans la nuit pour travailler jusqu’au petit matin parce que le courant a été rétabli à une heure tardive. Autrement, c’est EDM qui détermine aujourd’hui mes heures de sommeil. En conséquence, je me bats tout le temps contre la migraine entraînant un manque chronique d’inspiration», nous confiait récemment un confrère. A défaut de l’avoir tout le temps, chacun à ses heures de préférence et ses raisons. Mais, aujourd’hui, le client propose et EDM dispose.
La situation frise aujourd’hui l’humiliation parce que cela doit être le comble pour un pays, qui revendique sa souveraineté retrouvée, de ne plus être capable de fournir l’énergie suffisante au bien-être social de sa population et à son développement économique. En tout cas, les Maliens n’oublieront pas de si tôt les railleries humiliantes infligées pendant la CAN 2023 par les Ivoiriens à cause des 18 % d’électricité qu’ils nous fournissent !
Mais, même si l’Etat est une continuité, il ne serait pas non plus honnête d’accabler les autorités de la transition pour cette crise parce qu’ils l’ont plutôt hérité des régimes précédents. Au lieu d’investir judicieusement dans un secteur aussi névralgique, ceux-ci ont toujours préféré colmater les brèches pour ne pas essuyer la colère des populations. Cela a généralement consisté à payer au prix d’or (à cause de la corruption) des vieux groupes dont l’achat, l’entretien et l’approvisionnement en carburants ont fait la fortune de nombreux agents, cadres et des opérateurs économiques complices.
Des investissements hasardeux montés en fonction des intérêts de ceux qui gèrent le dossier. Cela explique qu’on ai préféré de payer des vieux groupes au lieu de faire régulièrement l’entretient décennal de la centrale de Sélingué. On comprend aussi pourquoi préfère importer l’électricité de chez nos voisins alors que le potentiel de production des trois unités de la région de Kayes est sous-exploité à cause des moyens de transports inadaptés. Au même moment, les investissements dans les énergies renouvelables, le solaire notamment, ne dépassent que rarement le stade des discours démagogiques. La situation actuelle d’EDM résume bien le malaise malien développé par le manque de vision de nos décideurs politiques. Nos politiques de développement ne sont pas pensées sur le moyen et le long termes. Les réalisations sont ainsi basées sur les besoins du moment et non sur la durée.
L’adduction d’eau de Kabala en est la parfaite illustration. Elle était supposée satisfaire l’essentiel des besoins en eau des habitants de la capitale. Mais, de la conception de ce projet à nos jours (les travaux de branchement ne sont pas entièrement terminés), ce besoin est-il toujours le même ? Loin de là ! Il a presque doublé ! Et a-t-on tenu compte de cette éventualité dans la conception de ce projet jugé «ambitieux» par les autorités politiques de l’époque ? Cela nous surprendrait. L’impression qu’on a, dans ce pays, c’est qu’on joue généralement au pompier et non à l’investisseur politique responsable et consciencieux.
Pas de programmation adéquate, pas de concertation ni de coordination dans la réalisation des infrastructures. C’est pourquoi il n’est pas rare de voir, quelques semaines après sa mise en service, une voie fraîchement goudronnée coupée en plusieurs endroits par des sociétés de la place. (eau, électricité, télécommunications…). Est-ce que nous voulons sortir de cette impasse du sous-développement avec ses désagréments socio-économiques ? Alors il est temps que les décideurs comprennent que le développement est avant tout lié à une bonne planification qui permet de mieux cerner les besoins et de facilement mobiliser les ressources techniques et financières. Sans compter le rallongement du délai d’amortissement des infrastructures réalisées.
Il faut sortir du folklore politique pour réellement planifier nos investissements en fonction de nos besoins sur plusieurs décennies, des moyens que nous avons ou que nous pouvons mobiliser dans le strict respect de l’intérêt général. Il faut tourner la page de la navigation à vue, de la politique de l’autruche pour résolument s’engager dans la voie de l’émergence socio-économique de notre pays. Il est plus que temps d’emprunter la voie permettant d’assurer le déploiement immédiat des ressources (humaines et financières) requises, d’anticiper les besoins futurs avec un suivi/contrôle de la rentabilité des investissements.
Il ne faut pas forcément être un expert pour comprendre qu’une bonne planification exige de bien choisir les moyens et de baliser des objectifs qui reflètent de manière réaliste la disponibilité des ressources naturelles, humaines, financières et institutionnelles nécessaires à la mise en œuvre de nos plans de développement. Autrement, il faut réunir les conditions qui garantissent que le développement est bien orienté dans le sens souhaité et qu’aucun goulet d’étranglement n’entrave la réalisation des initiatives financées. Et surtout qu’une partie non négligeable ne se retrouve sur des comptes privés pour par exemple livrer des infrastructures bas de gamme ou des projets vidés de leur quintessence pour combler les attentes !
Moussa Bolly