Ligne de force : Les leçons d’un bahutage meurtrier

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Beaucoup de Maliens auront appris le sens du mot bahutage dans des circonstances particulièrement tragiques. Typiquement militaire, ce terme signifie prosaïquement des exercices militaires d’endurance des plus éprouvants  destinés  à doter les futurs officiers d’un corps et d’un esprit d’airain. Cette année, ce bahutage traditionnel a carrément tourné au drame avec la mort, lundi dernier, en plein exercice, de cinq élèves officiers de l’Ecole Inter-Armes (EMIA) Boubacar Sada Sy de Koulikoro dont une Sénégalaise du nom de Fatou Seck Gnigue. Nous ne pouvons qu’exprimer nos condoléances attristées aux familles des disparus. Et que l’âme des défunts repose  en paix. Leur caractère dramatique ne doit pas, cependant, pas nous empêcher de tirer toutes les leçons de ces événements malheureux afin  qu’ils ne se reproduisent plus.

Difficile de ne pas être frappé par une coïncidence pour le moins troublante : sur  les cinq victimes trois sont des enfants d’officiers supérieurs, en l’occurrence des Colonels. Comment ne pas alors croire à la thèse très répandue au Mali selon laquelle l’EMIA est le saint des saints auquel n’accèdent que les enfants des officiers supérieurs, nés une cuillère en or massif entre les dents ? Autant dire que, sauf exception, l’entrée de ce club très sélect est d’office interdit à l’enfant du paysan d’Ouroukila. Résultat : ceux qui sont en bas de la pyramide sociale y resteront éternellement, tandis que les enfants des "en haut d’en haut" rejoindront leurs pères au septième ciel de l’aristocratie  malienne.

Hypothèse très plausible découlant du postulat premier : les élèves officiers d’actifs décédés étaient-ils physiquement aptes pour exercer une carrière militaire ?  Rien n’est moins sûr devant les passe-droits érigés en système de gouvernance que nous vivons au Mali. En effet, il n’est un secret pour personne que les visites médicales  en vue du recrutement dans les corps sont souvent de simples formalités. L’essentiel étant d’avoir les bras longs ou d’allonger un paquet de FCFA sur la table et être recommandé dans tous les cas de figure.  C’est connu, pour un simple recrutement dans l’armée des montants sont fixés d’avance dépassant souvent les 500 000 FCFA. Ce qui se fait dans l’armée se pratique ailleurs, car l’armée n’est que le reflet de la société. Qui n’a pas un parent dans l’armée : un frère, un beau-frère, une épouse, un ami…?

Au Mali, tout se vend tout s’achète : les sujets des examens, les recrutements dans la fonction publique, à la police, à la douane, à la magistrature…La corruption appelée en bambara à travers la formule imagée du "Sourôfing" (la chose de la nuit) se pratique, désormais, en plein jour au vu et au su de tout le monde. Le drame c’est que tout le monde semble s’y accommoder, du citoyen lambda aux gros pontes de la République. Au lieu d’être une exception, la corruption à tendance à devenir une règle générale au Mali.

Que faut-il faire devant ce cancer qui gangrène tout le corps social ? Faut-il recourir à la manière forte, à l’instar de l’ancien président ghanéen, John Jerry Rawling, qui n’a pas hésité à fusiller huit généraux dont trois anciens chefs d’Etat? Le même sort il l’a réservé, dit-on, après l’avoir dûment mis en garde, au fils unique de sa tante qui s’était empêtré dans la corruption. Né d’un père écossais et d’une mère ghanéenne, l’ancien président ghanéen, à l’occasion des journées insurrectionnelles, voulait combattre lemonstre de la corruption et conférer une stabilité politique à son pays. Il a eu gain de cause, car aujourd’hui le Ghana est devenu en Afrique un modèle de bonne gouvernance économique et politique qui frappe déjà à la porte des pays émergents.

Comparaison n’étant pas raison, sans recourir à cette solution extrême, n’est-il pas cependant grand temps que le Mali opère un sursaut national, un réarmement moral? Quid des Inspecteurs militaires qui étaient censés superviser le bahutage, "le jour le plus long" ? Où étaient-ils pendant que les instructeurs manœuvraient à mort les élèves officiers d’active ? S’ils avaient respecté à la lettre leur rôle le drame aurait pu être certainement évité. Mais pour cela, il aurait fallu qu’ils troquent la vie douillette des salons et 4X4 climatisés contre la vie d’un vrai soldat supervisant en Jeep les opérations sur le terrain au lieu de laisser les jeunes élèves officiers à la merci des ardeurs guerrières d’instructeurs zélés. Bref, l’on est en droit de s’attendre, après ce bahutage meurtrier, à ce que les responsabilités soient clairement situées et les coupables punis. C’est vrai que nous vivons sous l’ère de l’impunité triomphante…                                               

  Yaya SIDIBE

 

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