On ne se réjouit pas de la mort de son prochain. A fortiori lorsqu’on est un croyant et que cette mort a lieu durant le Ramadan, mois du pardon par excellence. Toutefois la mort de Ibrahima Ag Bahanga, annoncée dans la nuit du vendredi 26 août, à défaut de réjouir le peuple croyant du Mali, a de quoi lui procurer un réel soulagement.
Ibrahima Ag Bahanga était un maniaque de la guerre, qui rêvait d’un destin de seigneur de la guerre. Toute sa vie, qui n’aura pas excédé un demi-siècle, ce bout d’homme chétif, au visage raviné et à la chevelure broussailleuse n’aura connu et pratiqué que la guerre. «C’est la seule chose qui le passionne vraiment et il faut désespérer qu’il en démorde» disait de lui ATT dans un entretien publié par un journal algérien. A croire l’intêressé lui-même dans l’une des rares interviews accordées à la presse (cet analphabète intégral avait la phobie des journalistes) il a appris à manier les armes dans les légions islamiques à l’époque où le colonel Kadhafi rêvait d’imposer son hégémonie aux Etats sahéliens, en particulier la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad et le Soudan pour en faire des satellites de la Grande Jamahiriya Arabe Libyenne. Des camps d’entrainement de la Libye, il a été envoyé au Liban, puis en Palestine pour faire le coup de feu contre l’occupant israélien. Avec l’effondrement des projets de conquêtes kadhafiens et la dissolution des légions islamiques qui s’en est suivie, Bahanga se retrouve, vers la fin de la décennie 80, dans son Kidal natal. Avec la folle ambition de faire de cette contrée désertique, dépeuplée et sans ressource connue à l’époque, une république indépendante et, par là-même, redonner leur dignité et leur fierté aux Touareg, " dernier peuple blanc à être dominé par les noirs " pour reprendre une formule qui lui a été prétée.
Voici donc l’extrême nord-est du Mali plongé pour de longues années dans des affrontements sanglants entre l’armée nationale et de jeunes Touaregs de Kidal démobilisés des légions islamiques de Kadhafi. Ils ne connaitront un terme -hélas provisoire- qu’avec la signature du Pacte national en avril 1992. Ce dispositif favorise l’insertion dans les forces armées et de sécurité (armée, gendarmerie, police, garde nationale) les corps paramilitaires (douane, eaux et forêts) l’administration, les sociétés et entreprises d’Etat, des milliers de jeunes " ex-combattants " terme pudique désignant les ‘’bandits armés’’ ainsi qu’ils étaient appélés sous la 2ème République. Son manque d’éducation et l’absence totale de savoir-faire ne lui donnant aucune chance d’évoluer dans l’un de ces secteurs, Bahanga s’inscrit au nombre de ceux qui ont opté pour l’octroi d’un pécule leur permettant de monter une affaire lucrative : commerce, transport, élevage etc. Etant un chef et non un subalterne, il recevra une part substantielle de la manne distribuée par l’Etat avec le concours précieux des donateurs traditionnels.
Ceux qui ont suivi de près sa carrière racontent que l’ex-légionnaire était devenu un opulent homme d’affaires, possédant un nombre impressionnant de chameaux, de maisons dont certaines louées à prix d’or à l’Etat et d’épouses. En somme il menait grand train au point qu’on lui avait attribué le sobriquet de " pacha du désert " voire d’"émir de Kidal ".
Formé à la guerre, tout au moins au maniement des armes destructrices, enrichi par la guerre, Bahanga en était arrivé à faire de la guerre un fonds de commerce inépuisable. Chaque fois qu’il éprouvait le besoin de se refaire financièrement, il rassemblait quelques jeunes gens désœuvrés, leur distribuait des Kalachnikovs et les lançait contre un convoi militaire, un poste de sécurité ou des véhicules transportant d’innocents forains. Les attaques armées observées au milieu des années 90, quand Alpha Oumar Konaré était aux commandes de l’Etat et, plus récemment, la collusion entre une poignée de déserteurs Touaregs de l’armée et des bandes de jeunes gens recrutés, manipulés et entrainés par Bahanga procédaient de cette stratégie bien rodée. C’est pourquoi à L’Indépendant nous avons toujours soutenu et soutenons encore qu’il n’y a jamais eu de véritable rébellion au Nord Mali, mais un banditisme à l’état pur qu’il convenait d’éradiquer par des moyens militaires et sécuritaires et non la signature d’accords comme celui d’Alger du 4 juillet 2006 qui donne une certaine légitimité aux actions criminelles commises comme l’attaque meurtrière de caravanes civiles, l’exécution de douaniers non armés, la pose de mines antipersonnel qui ont fait des dizaines de victimes civiles et militaires, les vols de véhicules appartenant à des organisations non gouvernementales venues aider les populations en détresse matérielle, les prises d’otages civils et militaires dont certains seront, hélas, froidement abattus. L’alliance du 23 mai 2006, composée de soldats déserteurs et de mercenaires fabriqués par Bahanga, qui s’est rendue coupable de ces prédations, était une organisation terroriste dont les membres devraient rendre compte devant la justice. Hélas ! ATT a décidé d’absoudre les crimes et de pardonner aux criminels. Les militaires déserteurs ont retrouvé leur place au sein des forces armées et de sécurité. Les mercenaires de Bahanga font l’objet de programmes de réinsertion. Tous, y compris Bahanga, ont bénéficié de l’impunité totale. Certains ont même obtenu une prime à la " rébellion " en passant au grade supérieur ou en avançant dans leur hiérarchie.
Bahanga mort, quelles qu’en soient la forme ou les circonstances, la République ne peut que mieux s’en porter dans sa partie septentrionale. Et surtout elle doit veiller pour que plus jamais il n’y ait un autre Bahanga.
Saouti Labass HAIDARA