Dans l’esprit d’un grand nombre de nos concitoyens et pour bien des observateurs avertis de la scène politique malienne, Ibrahim Boubacar Kéïta a été la grande victime de l’élection présidentielle de 2002. L‘homme politique le plus populaire et le candidat qui suscitait l’engouement des électeurs dans les agglomérations les plus peuplées du pays a été ravalé à la troisième place, derrière ATT et Soumaïla Cissé, à cause de l’annulation de plus de 500.000 bulletins de vote pour "irrégularités" par la Cour constitutionnelle, dans le District de Bamako totalement acquis à sa personne. Cette décision a eu un double effet fâcheux : une désertion de l’électorat au second tour où l’on notait "un électeur chaque quart d’heure" pour reprendre une formule de RFI restée dans les mémoires et un scrutin à la crédibilité fortement entamée. Grand seigneur, alors que le Mali tout entier baignait dans une tension si lourde qu’on pouvait la couper au couteau, IBK a déclaré devant 50.000 supporters surexcités au stade du 26 mars qu’ "il ne pardonnerait jamais à quiconque briserait en son nom une ampoule dans la rue en regagnant son domicile à la fin du meeting".
Comparaison n’est pas raison. En Côte d’Ivoire voisine, l’annulation par le Conseil constitutionnel présidé par Paul Yao Ndré de 625.000 voix récoltées au Nord et à l’Ouest par le candidat Alassane Dramane Ouattara, au bénéfice de son rival Laurent Gbagbo, a basculé ce pays dans une cavalcade sanglante dont tous les chapitres ne sont peut-être pas encore écrits. L’attitude chevaleresque, le haut degré de patriotisme, le sens très élevé des responsabilités affichés par IBK face à un revers davantage imposé que mérité lui vaudront la reconnaissance du Haut Conseil islamique du Mali qui mandatera auprès de lui une délégation de haut rang pour lui remettre un exemplaire du Saint Coran, un chapelet, un tapis de prière et une bouilloire pour ablution. Un vieux pays ami du Mali lui décernera sa plus haute distinction honorifique destinée aux personnalités étrangères pour services rendus à la paix, à la stabilité et à la démocratie dans son pays.
En 2007, face à un ATT solidement installé au poste de commande de l’Etat, contrôlant tous les rouages du pouvoir et courtisé à la fois par les acteurs politiques et syndicaux, la société civile et les puissances d’argent, les chances d’IBK étaient très limitées. L’homme acceptera dans la dignité la traversée de désert qui s’en suivra. Celle-ci prendra-t-elle fin avec la présidentielle d’avril prochain ?
La force d’IBK au scrutin mémorable de 2002 résidait dans la capacité dont il avait su faire preuve, durant six années passées à la Primature (1994-2000) en mâtant une triple rébellion qui menaçait de jeter le Mali dans le chaos : la rébellion de la puissante UNTM qui réclamait une hausse des salaires de 75% que le pays exsangue ne pouvait lui offrir et qui s’exprimait par des «grèves illimitées», la rébellion de l’AEEM qui se traduisait par des actes de vandalisme sur fond d’affrontements de rue avec les forces de l’ordre, enfin celle armée d’une poignée d’irrédentistes kidalois.
A l’heure actuelle ni l’UNTM ni l’AEEM ne constituent un danger pour l’Etat. Grâce aux immenses efforts fournis pour améliorer le quotidien des salariés et remettre l’école malienne en état de fonctionner, toutes deux ont regagné les rangs. Depuis 2008, il n’y a pas eu de soulèvement armé dans la région de Kidal. Toutefois l’on redoute qu’il y en ait un avec le retour des ex-légionnaires de Kadhafi, même s’ils répètent à souhait ne pas être habités par un tel projet. Plus inquiétante est la présence dans le septentrion malien de l’organisation terroriste AQMI qui met en péril la fragile économie de cette partie du pays, basée sur le tourisme.
Face à cette insécurité potentielle ou réelle, les Maliens se tournent de plus en plus vers IBK et redécouvrent ses vertus d’homme d’Etat, celui qui sait faire face à l’adversité et se donner les moyens de la dominer. Au sein de la classe politique et dans tous les milieux socioprofessionnels se susurre le même refrain : "IBK est l’homme qu’il faut à la tête de l’Etat en cette période d’incertitude".
Cette tendance, qui se fait jour nettement dans l’opinion nationale, a été confirmée ces derniers mois par deux sondages réalisés par des professionnels indépendants qui ont attribué une large avance à IBK sur tous ses éventuels concurrents au premier tour. Créditant l’idée que sa place est assurée au second. Cela ne signifie pas que l’ex Premier ministre de Alpha Oumar Konaré et l’ex président de l’Assemblée nationale sous ATT doit se voir déjà installé dans le fauteuil que le dernier nommé va devoir laisser vacant le 8 juin prochain. Mais qu’il doit travailler d’arrache-pied pour fructifier le capital de confiance placé en lui par ceux qui sont appelés à voter.
Dans ce gigantesque défi il peut déjà compter sur le soutien d’une quinzaine de partis sur la centaine qui encombre l’échiquier politique malien. Ces partis ne sont pas des foudres de guerre, loin s’en faut, mais leur adhésion à "l’Alliance IBK-Mali 2012" constitue un apport psychologique considérable dans un environnement où la quantité importe autant que la qualité.
Saouti Labass HAIDARA