Mes respects, Monsieur le Président, et c’est encore un grand honneur pour nous, non de vous interpeller mais de débattre avec vous, en tant que premier magistrat du pays, en y associant bien sûr, ceux de vos compatriotes qui nous lisent, cette lettre étant ouverte. L’objet unique de cette lettre, la présence de l’armée mauritanienne sur notre territoire et la lecture qui en est faite.
En juillet 2010 où cette armée assistée de militaires français effectua un raid dans la Région de Tombouctou, nous étions surpris et vous même indigné qu’un pays exerce ainsi le droit de poursuite qui existe entre les « pays du champ » : Niger, Mauritanie, Mali, Algérie.
Et vous aviez raison, car la poursuite est le prolongement immédiat d’une action commencée sur le territoire du poursuivant. Or ce n’était pas le cas pour le raid en question. En septembre 2010, l’armée mauritanienne a repris ses attaques. Et les 24 et 25 juin derniers, des combats ont eu lieu dans la forêt de Wagadou sur notre territoire, dans des circonstances encore floues et un bilan contesté par Aqmi. Les incursions précédentes de l’armée mauritanienne ne furent pas sans dégâts collatéraux sur des civils maliens.
Des élus du Nord-Mali avaient même menacé de porter plainte contre notre voisin. Nous avions alors tous espéré que le précédent ne se referait pas. Il est vrai que le 14 juin, le chef de notre diplomatie a annoncé à l’édition en ligne du journal français l’Express, que la forêt de Wagadou allait être ratissée, avec la participation de tous les pays du champ. Mais seuls le Mali – ce qui est même contesté par certains- et les Mauritaniens ont participé à l’opération.
Nous comprenons la menace directe pour la Mauritanie, mais si cette menace est sur notre sol, n’est-ce pas à notre armée d’ y faire face? La question, nous la posons pour la forme mais la réponse va de soi pour un pays pour lequel fierté, honneur et patriotisme ne doivent pas être de vains mots. Les trois messages que nous envoyons au sujet d’Aqmi sont trop sérieux, Monsieur le président, pour ne pas être relevés.
Le premier est que peut-être, nous n’avons pas une armée en mesure de se battre. Un télégramme américain fuité par Wikileaks l’a dit, mais nous sommes en total désaccord avec un tel mépris. Nous ne sommes peut-être pas mieux que les autres mais eux ne nous sont pas supérieurs, non plus. Le deuxième message est qu’en dépit du discours sécuritaire national qui, lui, a évolué récemment, la décision de l’action, elle, reste à prendre. Nous savons, pour vous avoir entendu là-dessus, que votre approche sur la question de l’espace sahélo-saharien est à la fois juste et exhaustive et qu’au niveau national, un programme important d’éradication de l’insécurité et de ses causes est à l’œuvre.
Troisième message enfin, rien n’accrédite autant la thèse du maillon faible de la lutte antiterroriste qui pénalise notre pays que les schémas du genre Wagadou. Pour ce peuple patient et solidaire, pour la nation inquiète et dépassée, vous devez faire en sorte, Monsieur le Président, que le Mali prenne sa place, toute sa place et qu’il puisse regarder dans les yeux qui le défie. Où qu’il le défie.
Respectueusement, Monsieur le Président et à bientôt.
Adam Thiam