Lettre de cadrage : et feuille de déroute

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La lettre de cadrage tant attendue par le gouvernement est enfin arrivée sur la table du Premier ministre Modibo Sidibé le mardi dernier sous la forme d’un catalogue de bonnes intentions à un moment où les Maliens, sous le poids des difficultés de toutes natures, ploient et semblent  complètement déroutés.

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A l’origine, la lettre de cadrage était une feuille de quelques paragraphes indiquant les grandes orientations qui devaient être déclinées en actions concrètes à travers la Déclaration de politique générale. Le Premier ministre Mohamed Ag Hamani en a eu deux : la première pour tenir le gouvernement de mission durant les six premiers mois ; la seconde, pour mieux manager une équipe mieux étoffée et qui avait l’ambition de durer. Quand Ousmane Issoufi Maïga est arrivé à la Primature, il eut droit au fameux sésame en quelques paragraphes, histoire de ne pas perdre de vue la route. Modibo Sidibé lui, a tiré le gros lot. En guise de lettre de cadrage, c’est carrément un livre qui lui a été envoyé.

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Une si longue lettre…de cadrage. Contrairement à ses prédécesseurs qui ont disposé de la lettre de cadrage présidentielle dans la foulée de leur nomination, l’actuel Premier ministre lui, a dû attendre près de 45 jours pour entrer en possession de ce que d’aucuns appellent sa feuille de route. L’absence de Secrétaire général à la Présidence durant ce temps n’explique pas à lui seul la lenteur mise dans la mise en forme de la lettre de cadrage (du temps où il était Secrétaire général à Koulouba, c’est lui qui se chargeait de la tâche). C’est que la lettre de cadrage a été « vendue » avant même d’être conçue. En effet, à chacune de ses sorties importantes, le président de la République a tracé la voie que devrait suivre le gouvernement.

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Ce fut d’abord lors de la cérémonie d’investiture le 8 juin ; puis ce fut lors de la remise officielle du rapport du Vérificateur général ; et enfin, à l’occasion de la célébration du 22 septembre. N’eut été le fait que la lettre de cadrage, marque déposée du président ATT, est entrée dans la tradition, on aurait fait son économie que cela n’aurait dérangé personne surtout pas le Premier ministre qui connaît mieux que personne les intentions du locataire de Koulouba dans ce domaine. Du coup, la mouture de la lettre de cadrage ressemble à une copie revue et corrigée des discours présidentiels avec la technique éprouvée du couper-coller.

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La charpente de la lettre de cadrage est constitué du PDES (programme de développement économique et social) qui a été le cheval de bataille du président ATT lors des élections présidentielles. Le Premier ministre et le gouvernement sont chargés de le mettre en œuvre afin de concrétiser « la conviction » et la « foi » largement partagées par les Maliens lors des élections « en un avenir meilleur pour notre pays ». Convaincu que tout ne peut être fait en même temps, le président de la République engage le Premier ministre et le gouvernement à concentrer sur « une période de cinq ans, les moyens et les efforts du pays sur six axes prioritaires d’intervention ».

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Il s’agit d’une meilleure organisation de l’action publique afin de soutenir efficacement les autres composantes du programme ; de l’amélioration de la production primaire et du renforcement de la sécurité alimentaire ; de la mise en place d’un environnement propice à l’émergence et au développement du secteur privé ; de l’insertion des femmes et des jeunes dans les circuits productifs ; le développement des secteurs sociaux ; les reformes de société. Mais le président de la Républiquen, après ces généralités, a mis l’accent sur certaines préoccupations dont la remise au travail de l’administration, la lutte contre la corruption, la consolidation de la démocratie, le renforcement de la sécurité, une croissance « plus forte d’au moins 7% », la mise en œuvre de la Loi d’orientation agricole, la culture du résultat et de l’évaluation, le renforcement de la presse etc.

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Lettre de cadrage ou Déclaration de politique générale ? Comme on peut le constater, le Premier ministre et le gouvernement ont un vaste chantier devant eux. La longue lettre de cadrage du président de la République embrasse tous les domaines et dans les détails ; c’est à la limite tellement déroutant pour une lettre de cadrage qu’on pourrait se demander comment le Premier ministre Modibo Sidibé pourra faire sa Déclaration de politique générale. Si l’homme était un tantinet paresseux, il n’aurait pas besoin de rédiger une Déclaration de politique générale ; il pourrait juste se contenter de lire la lettre de cadrage qui ressemble à s’y méprendre à une Déclaration de politique générale version Koulouba. Dérouté ou pas par cette lettre de cadrage, le Premier ministre est déjà accablé par ders difficultés de toutes sortes. Le temps qu’il ne retrouve ses marques, la situation pourrait bien s’empirer.

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Quand on observe le front social, la situation est presque à l’embrasement général. En effet, les récentes augmentations du prix du pain pourraient être la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Escomptant sur le rôle régulateur de l’Etat, les consommateurs sont longtemps restés avec l’espoir, peut-être insensé, que les autorités allaient pouvoir tempérer l’ardeur des boulangers. Mais malheureusement, ceux-ci ont eu carte blanche et ont pu faire une augmentation de 20% sur les différents pains. Les associations de consommateurs grognent pour le moment, signe certainement de leur impuissance à mobiliser autour de la cherté de la vie dont tout le monde se plaint pourtant. Mais ne pas lever le couvercle serait courir le risque de voir celui-ci sauter sous différentes pressions. Est-il besoin de rappeler que l’école est littéralement prise à la gorge par les syndicats toutes sections confondues ? Les préavis de grève se succèdent à un rythme tel qu’il serait difficile d’imaginer un bon déroulement scolaire face à l’intransigeance de ceux qui estiment que l’Etat fait la sourde oreille et précéder procéder par colmatage. Les travailleurs qui viennent de voir la concrétisation de l’augmentation des salaires restent pour le moment calmes même si la CSTM menace d’observer une grève d’ici la fin de ce mois de novembre.

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Pour ce qui est de l’Administration, le Premier ministre Modibo Sidibé a pu observer l’immobilisme dans lequel elle s’est embourbée depuis au moins deux ans. La mise en place du gouvernement qui fait suite à une longue attente ne semble pas être suffisante pour faire redémarrer la machine. Les administrateurs attendent toujours et tout porte à croire que tant que tous les départements n’auront pas renouvelé leur cabinet, que les directions nationales et générales n’auront pas de nouveaux titulaires, le grand nombre des travailleurs traîneront toujours les pieds et attendront…leur tour en écoutant les communiqués ds conseils de ministes.

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La lutte contre la corruption demeure pour le moment un vœu pieux. Les Maliens ont la nette sensation que le président de la République est un velléitaire qui agite, tel un épouvantail, l’éventualité de poursuites contre les délinquants. Or comme il n’y a pas eu de résultats tangibles en la matière, l’épouvantail a tendance à fatiguer un peu et à ne plus faire peur. Le Premier ministre se voit ainsi refiler un bébé bien encombrant dans la mesure où les différents rapports de contrôle mettent en cause des proches du président de la République et certains membres du gouvernement pour ne parler que des plus connus. A lui d’actionner la machine judiciaire en tenant compte, et ATT y insiste, le principe de la présomption d’innocence.

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Les récents événements survenus à Markala et la tension perceptible dans la zone de l’Office du Niger sont des indicateurs assez précis des défis à relever. La LOA et le MCA dont une des missions est de rendre à ces zones leur efficacité en terme de sécurité alimentaire, de création d’emplois et de « croissance forte d’au moins 7% » devraient mieux interroger les besoins des producteurs. « Nous n’avons pas besoin de tracteurs mais de motoculteurs » ont récemment déclaré les populations de ces zones au ministre de l’Agriculture parti pour éteindre le feu sans être sûr de ne l’avoir pas laissé à l’état incandescent sous les cendres. Ce qui pose la problématique de l’adéquation entre ce dont on dote les paysans et leurs besoins réels. D’où la nécessité que s’installe une vraie communication entre acteurs.

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Pour ce qui est du renforcement de la presse, le chantier est ouvert. Mais outre la construction d’une nouvelle Maison de la presse et les indispensables formations, le Premier ministre Modibo Sidibé doit s’attaquer immédiatement à deux problèmes. Le premier concerne le niveau plus que dérisoire de l’aide à la presse. De son instauration en 1996 à aujourd’hui, cette aide n’a fait l’objet d’aucune augmentation malgré le coût sans cesse élevé de la vie. Il serait intéressant, comme cela avait été suggéré lors des concertations nationales mais rejeté par les hommes politiques à l’Assemblée nationale, d’indexer l’aide à la presse sur le budget en terme de pourcentage. Ce qui permettrait aux journalistes de bénéficier des retombées de la croissance à laquelle ils participent. Le deuxième problème concerne l’accélération du procès en appel des journalistes qui avaient été condamnés à l’occasion de la triste affaire de la « maîtresse du président de la République ». Aucun justiciable n’est supérieur à un autre mais la résolution rapide de cette affaire grandirait tout le monde. Et permettrait à nos confrères de s’extraire de la menace que fait peser sur leur tête, comme une épée de Damoclès, les condamnations par sursis.

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Quant aux aspects sécuritaires, faisons l’impasse sur l’insécurité qui empêche les Maliens de vaquer à leurs occupations quotidiennes et qui fait l’objet d’une traque assez exemplaire des forces de l’ordre et de sécurité. Là où les maliens attendront leur Premier ministre, ce sera certainement par rapport à la recrudescence de la violence au Nord à cause de bandits comme Bahanga. Il est vrai que le président de la République est lui-même monté au créneau et sa visite en Algérie rentre dans ce cadre. Mais l’action de tous les jours revient au gouvernement. Au Nord est venu hélas se greffer une autre situation autrement complexe à nos frontières avec la Guinée. Là également, tout comme au Nord, les populations ont absolument besoin de sentir leur gouvernement.

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Comme on peut le constater, sans être exhaustif, le bateau Mali est chargé. Entre la lettre de cadrage présidentielle et la feuille de déroute des Maliens, gageons que le Premier ministre trouvera son chemin. Pour cela, le président de la République lui ouvre une piste qu’il ne manquera certainement pas d’emprunter : celle du dialogue et de la concertation. Ce sont des pratiques éprouvées sous nos cieux depuis au moins l’avènement de la démocratie. Mais force est de reconnaître que ces dernières années, elles ont perdu leurs vertus. Toutes les crises dont on a parlé (sans oublier les deux projets de loi sur l’abolition de la peine de mort et du nouveau code de la famille) pourraient trouver un bon calmant à travers le dialogue. Le Premier ministre le sait certainement, lui qui a démarré hier son second séminaire gouvernemental pour mieux préparer l’équipe gouvernementale aux tâches qui l’attendent et certainement aussi pour travailler davantage à la cohésion d’un gouvernement majoritairement formé d’hommes et de femmes qui sont à leur première expérience ministérielle pour les uns et à leur premier « vrai » emploi pour les autres.

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Elhadj Tiégoum Boubèye Maïga

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23 novembre 2007

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