Cher grand-père, je t’annonce la mort de l’empathie, la tolérance et la justice au Mali. Tant que ce n’est pas moi, c’est bon. Oui grand-père, tant que c’est l’autre à Kayes qui est esclave, tué, assassiné et torturé et que ce n’est pas moi, c’est bon. Chacun pleure seul son agonie et chacun joue son rôle tour à tour. Et tant que ce n’est pas moi, c’est bon.
L’école publique n’a plus de niveau. Le nombre d’enfants est au surplus. L’Etat se retire et s’absente davantage. Tant que ce n’est pas moi, c’est bon. Au nord et au centre, les enfants ne revendiquent plus le droit d’aller à l’école et d’être éduqués mais se contentent du droit au souffle et à la pitance. Tant que ce n’est pas moi, c’est bon.
Les mêmes qui décident du sort de l’école malienne, sont les mêmes qui envoient leurs enfants dans les privées et à l’étranger. Les mêmes qui décident les orientations, sont les mêmes propriétaires d’écoles et de lycées. Les mêmes qui enseignent, sont les mêmes qui ignorent. Les mêmes qui préparent l’avenir sont les mêmes au plus grand désespoir.
Tant que ce n’est pas moi, c’est bon. Les mêmes fonctionnaires, sont les mêmes actionnaires. Les mêmes cadres, sont les mêmes entrepreneurs. Les hauts gradés de l’Armée sont les mêmes hauts opérateurs économiques. Les mêmes qui lancent l’appel d’offre, sont les mêmes qui y répondent et l’emportent les mêmes marchés. Tant que ce n’est pas moi, c’est bon.
Le policier arrête l’un et violente l’autre. Le procureur place l’un sous mandat et ferme les yeux sur l’autre. Tant que ce n’est pas moi, c’est bon. On lance un mandat d’arrêt contre ceux qui ont acheté et publié mais on applaudit ceux qui se la coulent tout doucement et gisent sous le sceau de la principauté. Tant que ce n’est pas moi, c’est bon.
On tue d’aucuns au centre, on massacre d’autres. On épure certains et on viole d’autres. A Tessit, à Sofara et à Pignary, des agonies d’enfants, de femmes et d’hommes ligotés et assassinés résonnent encore dans les entrailles de nature devant le silence de toutes et de tous. Tant que ce n’est pas moi, c’est bon. Chaque tribu, chaque groupe et chaque ethnie, chacun pleure seul son cadavre.
Tant que ce n’est pas moi, c’est bon. Je ne suis pas Dogon, je n’entends pas les cris des femmes de Pignary. Je ne suis ni Imhgad ni Ifoghas, le cri des orphelins du grand Nord me disent peu. Je ne suis pas Peulh, les larmes de la petite fille de Sofara, ne m’interpellent point. Je n’ai aucun frère FAMa, les gémissements de la veuve de Kati, ne résonnent point en moi. Je ne suis pas. Je ne suis pas. Et tant que ce n’est pas moi, c’est bon.
Cher grand-père, et chaque groupe, chacun à part, essaie à son petit niveau d’avoir le minimum de recours à son faix. Au même moment les ès patriotes gavés de café et du riz au gras, crient aux abois. Hélas ! Cher grand-père ! Espérant de voir tout ça un jour en Malien tout court et savoir que ce qui arrive à l’autre aujourd’hui, m’arrivera demain. A mardi prochain pour ma 41ème lettre. Amine ! Inch’Allah !
Lettre de Koureichy