Par langues nationales, les linguistes nomment les parlers locaux dont certains sont écrits mais beaucoup d’autres, non. On les appelle aussi langues maternelles ou langues vernaculaires. Ce sont donc des langues du terroir villageois parlées localement et que les spécialistes par imitation certainement des cas européens qualifient parfois de patois ou de dialectes parce que sans doute elles n’ont aucun caractère officiel.
La colonisation européenne de la fin du XIXè siècle eut des approches différentes à propos de l’utilisation de ces langues du terroir dans la vie courante et dans l’administration. Si la Grande Bretagne fut tolérante envers elles en autorisant leur utilisation dans l’enseignement, en revanche la France et le Portugal, pays de langue latine, se montrèrent opposés à leur emploi dans les établissements scolaires publics et privés.
Les pasteurs protestants des colonies anglaises encouragèrent beaucoup leur développement en vue d’une possible utilisation dans l’enseignement avec toutefois en arrière-pensée raciste que la langue de Shakespeare, langue des dieux selon certains philosophes du moment, était inaccessible aux indigènes qui devaient être éduqués dans leurs propres langues.
La France, par contre, partisane de l’assimilation opposée à « l’indirect rule » britannique, choisit de mépriser comme la Belgique et le Portugal les langues africaines.
L’enseignement au Mali, ancien Soudan français, se fit exclusivement en langue française jusqu’à l’indépendance en septembre 1960. En 1962, le gouvernement malien décida de développer ses langues nationales en vue de leur prochaine utilisation dans l’enseignement. Mais le développement d’une langue demande beaucoup de moyens économiques et financiers. Ainsi de l’ordonnance de Villars-Cotrets de 1515 instituant le français dans les services publics aux règles grammaticales de Vaugelas au XVIIè siècle, la langue française passa par plusieurs étapes dont l’ancien français du moyen âge et dont les sommets littéraires sont représentés par Montaigne et Rabelais. Beaucoup de nos langues présentent des sons qui n’ont pas de signe dans les alphabets européens et pour lesquelles des signes nouveaux doivent être inventés.
Le problème au Mali est qu’on est poussé par un excès de nationalisme qui fait qu’on veut aller vite en passant directement des langues nationales aux langues officielles. D’une langue nationale enseignée dans une bourgade du nord ou du sud en pays sénoufo, à une langue officielle utilisée à l’Assemblée nationale, il y a un pas que même les meilleurs patriotes n’osent pas franchir. Si tout cela est apparemment possible en littérature et dans les arts en raison de la souplesse de ces domaines, le problème devient mythe se Sisyphe dans le champ de la science et des techniques. Et les Ntics viennent se greffer à ce dilemme même si leur langage est pauvre en vocabulaire et ne respecte aucune règle grammaticale. Pour les pays de savane où la mobilité n’est pas entravée par l’abondance de la végétation, la question paraît moins compliquée que dans ceux de la forêt.
En tout état de cause, pour la réussite des langues nationales, il faudra retourner à l’école japonaise en recourant aux emprunts anglais, américains, français au moins pour caractériser certains concepts et termes absents dans les langues nationales. Sans aller jusqu’à dire que les langues nationales sont inaptes à assurer le développement de nos pays, on dira à la suite de certains linguistes que les langues nationales sont pour l’instant plus pour la communication que pour le développement.
Facoh Donki Diarra,
écrivain
MICRO-TROTTOIR
La promotion des langues nationales contribue-t-elles au développement du Mali ?
De plus en plus, les débats s’enflent au sein de l’opinion malienne concernant la mise en valeur de nos langues nationales. Cependant la promotion des langues nationales contribuent-elles au développement du Mali ? Les Bamakois s’expriment dans ce micro-trottoir.
Drissa Tangara (Professeur à l’université de Bamako) :
« Dans la mesure où tout le monde ne comprend pas le français, la langue nationale permet de faire participer les gens de cette catégorie aux actions de développement du pays dans les domaines sociaux, économiques, culturels et éducatifs. Les langues nationales permettent à tous citoyens intellectuels ou non intellectuels d’être au même niveau de développement et de compréhension. Par exemple, quand le gouvernement communique en français avec la promotion des langues nationales, même celui qui n’a pas été à l’école peut bien comprendre ce qu’on veut dire. Les langues nationales permettent de former les femmes et hommes qui évoluent dans le secteur comme le commerce et l’élevage pour booster la croissance économique ».
Michel Somboro (professeur assistant) :
« Les langues nationales contribuent au développement du Mali parce que ce sont les langues les plus parlées au Mali. Par exemple, dans le domaine de la communication et de l’information, qu’un message ou une information passe en langue nationale, la population comprend mieux et porte plus d’importance et d’intérêt à cette information ou communication que les informations qui passent dans une autre langue étrangère.
Je crois que les langues nationales contribuent plus au développement du pays si ces langues-là sont officialisées. C’est-à-dire au lieu d’utiliser d’autres langues si à côté du français, on a une autre langue officielle ça serait mieux ».
Amadou Inoogon (étudiant à l’université) :
« Les langues nationales contribuent beaucoup au développement du Mali. Le développement d’une nation est impossible sans ses langues nationales car pour qu’une nation se développe, il faut la contribution de tous les citoyens pour son développement. Pour ce fait, on a forcément besoin d’utiliser nos langues maternelles puisqu’elles sont une partie de nous-mêmes. Or perdre sa langue c’est perdre une partie de soi-même. De ce fait, les langues nationales jouent un rôle capital dans le développement du Mali. Une nation n’est rien sans ses enfants et ses enfants sont aussi inséparables de leurs langues nationales car ce sont ses langues nationales qui font pour eux des bons enfants du Mali et comble leurs cultures ».
Mohamed Konaté (étudiant en Sociologie) :
« La question de la langue nationale pour le développement d’un pays a été une interrogation après l’indépendance des pays africains. La plupart des pays Soudano-saharien ont une langue officielle. Le Rwanda de Paul Kagamé est parvenu à imposer ses langues nationales comme la langue officielle. Elle est enseignée dans leurs différentes structures que ce soit dans les administrations et établissements éducatifs. Les langues nationales ont une place importante et participent au développement du Mali ».
Djigui Bakayoko (étudiant à l’Institut universitaire de technologie) :
«Les langues nationales contribuent au développement du Mali. Tous les pays développés du monde ont utilisé leurs langues nationales dans le système éducatif. Ce qui leur a permis d’accomplir des exploits les plus prodigieux. Parce que quand on apprend dans la langue maternelle la compréhension devient plus facile ».
Propos recueillis par
Salimata Tolofoudié
(stagiaire)