Les humeurs de Facoh : La mode thé au Mali

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Nos communautés villageoises de même que celles des agglomérations urbaines ignoraient jusqu’à une date récente, la consommation du thé comme nous le faisons maintenant. Même le café introduit chez nous par la colonisation, n’était consommé que lors des grandes fêtes, avec comme compagnons le lait et le pain, parfois des galettes de mil.

La France, notre pays de colonisation, consommait peu le thé vert de Chine que nous buvons aujourd’hui contrairement à la Grande-Bretagne où existait depuis le début du XIXè siècle une tradition populaire de consommation du thé produit par la Chine et l’Île de Ceylan. Le « tea times » était observé dans les firmes anglaises depuis l’époque victorienne pour permettre aux ouvriers anglais de se reposer tout en buvant du thé.

Pratiquement toutes les couches sociales britanniques, à partir de cette époque de civilisation, commencèrent à sacrifier au rite du thé en se donnant un petit moment de la journée pour le prendre soit individuellement soit en groupe. Vraisemblablement, la tradition du thé au Mali date de la Ière République (1960-1968) où les autorités de cette époque, considérant l’alcoolisme comme un fléau de la colonisation, avaient fait ce choix dans la foulée de l’option socialiste du régime qui rapprochait le Mali de la Chine populaire et des autres pays de l’est communiste.

Des usines de thé furent alors implantées dans le pays avec l’aide des techniciens agricoles chinois dans la 3è région pour produire du thé destiné à la consommation intérieure. Le thé se répandit de cette manière dans le pays en raison de son coût modique par rapport à l’alcool mais dans un premier temps principalement dans les grandes villes.

Sa consommation fut un phénomène urbain jusque vers 1971 où elle commença à se développer dans les campagnes sur l’initiative des lycéens et des normaliens qui avaient attrapé cette passion dans les internats tout en s’abreuvant de pensées marxistes comme la base économique détermine la conscience sociale.

Maintenant la consommation du breuvage chinois est si entrée dans nos mœurs alimentaires qu’on croirait que cette habitude existe chez nous depuis le moyen âge. On imagine mal une cérémonie de baptême, de mariage et même d’enterrement sans la théière qui bouillonne à côté. Dans les champs, en hivernage, les jeunes gens ne peuvent plus aller travailler sans le matériel de thé. Même les bergers sont incapables de conduire les troupeaux aux pâturages sans dans leurs bagages 2 ou 3 sachets de thé qu’ils trouveront moyen de boire quelque part sous un arbre, perdant ainsi le contrôle de leurs bêtes.

Dans les bureaux et dans les entreprises, officieusement est organisé un service de thé financé par la direction et que se dispute le personnel. Les gares routières sont encombrées de vendeurs de thé ambulants qui mènent une rude concurrence aux marchandes de sucreries et autres jus de fruits. On ne compte plus le nombre de ménagères battues par leurs maris parce qu’elles ont laissé cramer le repas dans la marmite en s’occupant plus de son thé que de sa marmite. Pour tout dire, d’un plaisir au départ pour enrayer la consommation abusive de l’alcool et des autres stupéfiants, la prise du thé est devenue une servitude gênante qui nuit à notre économie et déstabilise nos ménages.

Les responsables de l’US-RDA avaient tout vu sauf ça !

Facoh Donki Diarra

(écrivain, Konibabougou)

 

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