Le Mali que nous célébrons aujourd’hui

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La nation malienne a cinquante ans jour pour jour. Elle a dépassé de trois ans l’espérance de vie des Maliens mais il lui faut encore deux décennies pour avoir celle d’un ressortissant d’un pays nanti. C’est dire le chemin qui nous reste à parcourir. Les indicateurs du bien-être sont loin de nous être favorables et l’exemple de Corée du Sud qui a émergé en trois décennies est un joli pied de nez à ceux qui tombent d’admiration devant nos progrès. Tout est relatif, dira t-on. De ce point de vue, le pays a bien évolué par rapport à où il était en 1960. Il va falloir y revenir après le salut aux couleurs, l’exaltation des pionniers de l’indépendance. Le salut aux couleurs et l’hymne national chantonné ou remémoré la main sur le cœur, il le faut et pas pour amuser la galerie mais éduquer à notre histoire, à nos mythes et à nos plaies, une jeunesse échappée à la famille, citoyenne illusoire d’un monde faussement unifié  par la révolution technologique. Une jeunesse qui ne connut pas la fierté soudanaise et qui, osons-le dire, ne comprendrait ni ne tolérerait qu’un être humain doté de tous ses sens puisse préférer la mort à la honte. Elle doit s’approprier sa terre, elle doit savoir qu’elle a les ressorts pour la tirer vers le haut, que c’est à elle qu’échoit la mission de demain. Rien ne doit être épargné pour la préparer à cette mission.

Impératif d’appropriation

 Ainsi, forte de ses valeurs et de ses racines, elle irait vers les citoyennetés supranationales que commandent ces temps hostiles aux micro-états. Car, le Mali seul au milieu des cinquante Afrique n’est rien et l’Afrique des cinquante Etats sera autant de voix dispersées, d’énergies gaspillées et de rendez-vous manqués. Le Mali vers l’Afrique, l’Afrique plus présente au monde, c’est cela le cap. Cette vocation panafricaine a été ressentie par les pères de l’indépendance. Il est normal qu’ils en soient salués, ce jour qui est de mémoire. Il faut le faire sans fausse modestie mais sans verser dans une griotique qui transforme en qualité ce qui fond est un défaut. Mamadou Konaté, Modibo Kéita et tous ceux qui, illustres ou méconnus, ont œuvré à l’indépendance du pays   doivent continuer de mériter notre respect et notre considération pour l’acte fondateur qu’ils ont posé le 22 septembre 1960. Tel était le sens de l’histoire, telle devait être la direction à prendre. D’ailleurs, aucun des présidents du Mali n’a remis en cause la vocation africaine du Mali. Moussa Traoré a été de ce combat, à la fois en tant qu’instructeur dans le maquis tanzanien pour les mouvements de libération et en tant que chef d’Etat qui pendant, deux décennies, répondra à l’appel de l’Afrique décolonisée. Au point que lors de son historique visite malienne, Nelson Mandela l’en saluât. Panafricaniste également, Alpha Oumar Konaré le fut et le demeure. Peut-être avec une des visions les plus achevées et une des stratégies les plus prêtes pour mener son continent de la dispersion à la vision partagée et de la vision partagée à l’intégration. Non pas l’intégration déclamée mais concédée avec la part de souveraineté à laquelle chaque Etat doit renoncer. Le problème de l’ancien président de la République et de la Commission de l’Union africaine sera, du reste, d’y avoir cru et d’y être allé plus vite que ne le pouvaient les palais mais dans le seul but de sortir l’Afrique de son cercle vicieux. Autres temps, autre style : Amadou Toumani Touré n’est pas tombé sur la période des ferveurs progressistes de l’époque de Modibo Keita. Contrairement à l’ère de Moussa Traoré, il a trouvé l’Afrique autant libérée que possible. Il n’a pas la passion âpre de Alpha Oumar Konaré. Mais de celui-ci, il endossa la candidature à l’Union africaine. Il s’aligne sur les positions des organisations sous-régionales et de l’UA concernant, notamment, les coups d’état. Enfin, la politique de bon voisinage qui est l’épine dorsale de sa diplomatie est un facteur d’intégration.

Etat versus citoyen

 Tout cela pour dire que sur l’Afrique, en cinquante ans, notre pays a été d’une cohérence et d’une constance conforme à l’esprit des différentes constitutions nationales qui stipulent que notre pays pourrait renoncer à sa souveraine pour l’intégration africaine. Au plan intérieur cependant qu’avons-nous fait de nos cinquante ans ? En d’autres termes, sommes-nous une nation ? Toutes les composantes de cette nation sont-elles intégrées de manière égale ? A ce sujet, il faudra noter qu’à part les soubresauts du Nord, il n’y eut de risque de partition nationale avec aucune autre région. Le septentrion, cependant, a donné des soucis à chaque régime de Modibo Kéita à Amadou Toumani Touré. Etait-ce et est-ce encore une question d’intégration nationale mal réglée ? Il n’y a pas là-dessus l’ombre d’un doute. En 1963 comme en 1990, il s’agissait bien de la remise en cause de l’Etat central qui aurait pu déboucher sur une sécession si elle n’avait pas été réprimée avec brutalité en 1963 ou gérée avec tact à partir de 1990 en dépit des sanglantes dérives vécues. Malgré l’argumentaire de l’irrédentisme, il est peu recevable que ce qu’on a appelé l’abandon des régions nord était une politique de discrimination consciente sous les vingt trois ans de Moussa Traoré. La vérité peut-être, est que l’équidistance entre les régions administratives du pays eut pour conséquences d’aggraver les vulnérabilités du septentrion qui traversait une longue période de sécheresses avec deux pointes dramatiques en 1973 et 1984 avec pour résultats : la paupérisation des couches nomades, l’exil des Ishumar et leur retour, cette fois-ci, armé et revendicateur. Aujourd’hui, le Nord en proie à de nouvelles formes de menaces, reste une préoccupation majeure et aucun défi pour l’unité nationale et pour notre souveraineté tout court n’est aussi grand malgré notre solide capital social. En fait, le tact en question c’était la décentralisation, cet appel d’une autre forme d’Etat et de gouvernance que charriait mars 1991, la révolution qui mit fin au monolithisme politique au profit de la démocratie libérale à laquelle nous nous essayons depuis bientôt vingt ans.

Quid de la démocratie libérale ?

La réforme de décentralisation, sans doute, anticipait pour le reste du pays les exigences qui venaient déjà du Nord-Mali et elle constitue à cet égard, un salutaire bouclier dans un contexte pluraliste propice à toutes sortes de revendications. Celles-ci, le bâton pouvait les gérer en parti unique mais en démocratie libérale, il faut d’autres arguments comme l’Etat de droit, des dirigeants élus, les trois pouvoirs séparés, des médias libres, le pluralisme politique. Sur ce point, reconnaissons-que les libertés fondamentales ne sont pas menacées dans notre pays. Pourtant l’incivisme et la relative impunité qui en découle sont une tare qu’on retrouve dans chaque segment de notre vie et nous lui devons de tragiques bilans : une école en constant débrayage ; une corruption qui, pour la majeure partie de nos compatriotes, ne se sera accrue et n’aura été banalisée que durant l’ère démocratique ; des élections mal organisées, corrompues et dont le faible taux de participation pose un problème de légitimité. Pour ce qui est de la liberté des médias, il n’y a pas non plus de problèmes. Mais les trois cent radios et les cinquante journaux ne sont pas un indice décisif de démocratie. Le Mali nous l’enseigne à condition qu’on s’intéresse à l’origine généralement peu avouable des ressources peu qui nourrissent ce maelstrom. L’indicateur-clé ici est la mesure dans laquelle les médias publics, eux, bénéficient de la liberté d’informer les contribuables. Une des plaies de la démocratie réside là en même temps que dans la séparation effective des trois pouvoirs et la capacité de chacun d’entre eux de jouer leur rôle. La justice a encore à conquérir son indépendance et la confiance des justiciables, l’Assemblée nationale à être le parlement du peuple et non une simple chambre d’enregistrement. Reste le gouvernement : il ne peut pas être indépendant mais il peut être plus stable et plus restreint autour de ses priorités. Surtout, vingt ans d’exercice démocratique nous enseignent que ce pays ne mourra pas s’il se passait de Premier ministre. Au contraire, le jeu en serait plus clair. Daba Diawara, hélas, en a décidé autrement. Mais comme le disait Me Demba Diallo, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Le Mali est là, debout, susceptible d’émerger ou de trébucher mais attendant de nous qu’on le relève, le cas échéant.    

Adam Thiam 

 

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