« Les fonctionnaires ivoiriens ont été payés grâce à un transfert de la Bceao-Mali à deux banques ivoiriennes » : cette information donnée, vendredi, par un quotidien abidjanais a mis Bamako en ébullition et forçant l’agence malienne à publier un démenti. Dans son communiqué du 25 décembre, la Beceao-Mali affirme en effet, n’avoir aucun ordre de sa direction -basée à Dakar- pour transférer de l’argent aux banques citées par ledit journal. La direction de l’agence assure également n’avoir donné aucune instruction pour alimenter les comptes de ces banques. Le démenti est tout de suite repris par les médias publics du Mali avant d’être relayé par des sitewebs dont ceux de la présidence de la République et la primature malienne. Ce n’était pas trop tôt. Car les Maliens qui ferment les yeux sur beaucoup de choses ne goûtaient pas du tout cette affaire-là. Le citoyen lambda penche ici pour Alassane Ouattara. Par conséquent, il comprenait d’autant moins qu’ATT tende ainsi la perche à Gbagbo.
ATT entre le marteau et l’enclume
Même raisonnement pour de nombreux Maliens résidant en Côte d’Ivoire. Surtout que le Mali est membre de la Cedeao et de l’Union africaine dont les positions respectives sur la crise ivoirienne sont claires. Et surtout que le week-end, une chaîne internationale de télé annonçait que le président Touré était hostile à toute action militaire en Côte d’Ivoire. D’ailleurs, ATT recevait à Bamako les vœux de fin d’année et s’était fait remplacer par son ministre des Affaires étrangères, Moctar Ouane, au sommet décisif d’Abuja du vendredi 24 décembre. Il fallait le faire. Car le président doit bien savoir que la crise ivoirienne est en ce moment le sujet le plus débattu dans son pays et que ses dires et ses faits seront épluchés tant par ses compatriotes que les différentes parties ivoiriennes.
Justement, l’info du journal ivoirien qui, on le sait, est un organe du Pdci, donc proche d’Ado, indiquent les Houphouettistes, donne ATT pour un partisan de Gbagbo. Une partie de la presse burkinabé le pense aussi, de même que de nombreux Maliens. Pourquoi ? En fait, selon les fuites venant probablement de ses pairs, ATT ne veut pas cautionner d’action militaire en Côte d’Ivoire qui est la seconde patrie de 500 000 Maliens ou plus. En d’autres termes, en cas d’intervention militaire soutenue par le Mali, il craint des représailles contre ses compatriotes émigrés en Côte d’Ivoire. A cela s’ajoute le fait que le port d’Abidjan reste le débouché le plus viable pour les opérateurs économiques maliens. Toute prise de position pourrait, alors, affecter le ravitaillement du Mali. L’approvisionnement se fait au Sud tenu par Gbagbo mais la desserte se fait par le Nord, fief d’Ado. Bref, ne voulant pas placer son pays entre le marteau et l’enclume, le président malien, selon un analyste, évite de monter en première ligne.
Pro-Gbagbo et pro-Ouattara au Mali
Il y a peu de doute qu’à Bamako les partisans de Ouattara sont les plus nombreux. Raison majeure : le « président légitime » de Côte d’Ivoire est Dioula et il aimait faire savoir que sa mère a vécu au Mali où il aurait encore de la famille.
Il ne faut pas penser que Laurent Gbagbo manque d’inconditionnels au Mali. Bamako se donnait rendez-vous devant l’écran de la RTI qui aurait été « brouillé depuis moins d’une semaine » comme il le faisait pour le Dadis Show du bon vieux temps. Parmi ces inconditionnels, on trouve des partenaires ou des parents d’hommes d’affaires maliens vivant en Côte d’Ivoire et ayant fait leur beurre durant la crise de 2002 grâce à la « bienveillance » du Fpi. Ainsi, un proche d’un des opérateurs économiques les plus prospères du pays jure t-il que l’arrivée au pouvoir de Ado sera la fin du haricot pour les businessmen maliens. « N’oubliez pas que c’est cet homme qui, Premier ministre d’Houphouët, a institué la carte de séjour pour les étrangers et a durci les conditions pour faire des affaires en Côte d’Ivoire », justifie t-il. Certains d’entre ses fans vont jusqu’à dire que Gbagbo est plus pro malien qu’Ado. A cette catégorie, il faut ajouter des politiques. Le plus illustre d’entre eux, Ibrahim Boubacar Kéita, président du Rpm, n’a jamais fait mystère de ses relations avec le président sortant de Côte d’Ivoire. Ils sont d’anciens amis de fac et de militantisme politique en France.
Ils se sont retrouvés quand le Malien fut brièvement nommé ambassadeur en Côte d’Ivoire alors que le chef du Fpi animait l’opposition à Houphouët Boigny. Et ils se sont fréquentés dans les couloirs de l’Internationale Socialiste. L’ancien Premier ministre malien, selon la presse, est pourtant très gêné pour son « ami » qu’il tenterait de persuader de jeter l’éponge. Même embarras chez d’autres « amis » maliens de Gbagbo, les députés Housseyni Guindo et Safiatou Touré. Au total, en tout cas, le silence de la classe politique malienne sur la crise politique ivoirienne est assourdissant. A l’exception du RDS de Younouss Hamèye Dicko qui prend position pour Gbagbo et du Parena, parti de la famille socialiste qui, dans son communiqué du 23 décembre, déclare que le président légitime, c’est bien Alassane Ouattara avant de condamner les violences contre les résidents maliens en Côte d’Ivoire.
Adam Thiam