Au moment où le monde vient de célébrer la 21ème journée (mondiale) de l’Enfant africain, il est important que nous réfléchissions un peu au sort réservé à l’enfant, qu’il soit d’Afrique ou d’ailleurs.
Enfant de la rue ou dans la rue, enfant soldat, enfant orphelin de la guerre ou du Sida, enfant mal aimé, maltraité, vendu ou sacrifié, enfant victime de violences sexuelles ou de sévices divers. Cet enfant-là, on sait ce qu’il en pense le citoyen ordinaire qui n’est pas aucun lien avec lui. Mais l’homme politique, le militant de l’organisation dite de la société civile engagée dans le combat pour la protection des enfants, qu’en pensent-ils vraiment ? Sont-ils sincères en organisant par an, à l’honneur des enfants, plus d’une demi-douzaine de cérémonies pompeuses dont le coût global peut aider de milliers d’autres enfants à sortir des tunnels où l’irresponsabilité d’adultes inconscients les a balancés ?
12 février : journée internationale des enfants soldats. 25 mai : journée internationale des enfants disparus. 1er juin : journée internationale des enfants. 4 juin : journée internationale des enfants victimes innocentes de l’agression. 12 juin : journée mondiale contre le travail des enfants. 16 juin : journée mondiale de l’Enfant africain. 20 novembre : journée internationale des Droits de l’Enfant. 2ème dimanche de décembre : journée internationale des enfants en faveur de la radio et de la télévision… On voit bien, à travers cette pléthore de journées dédiées rien qu’aux enfants, que le thème de l’enfance préoccupe le monde. Chaque journée commémorant un fait, un événement ou une déclaration, elle garde sa spécificité et reste différente d’une autre, d’où la nécessité de la célébrer à part. Soit. Mais à combien revient, financièrement parlant, l’organisation de chacune de ces journées ? Et pour quels résultats sur le terrain ? Les mises en scène faites pour l’occasion et toute la comédie des discours qui alignent des mots bien choisis pour émouvoir et attendrir juste le temps de la cérémonie, concourent-il vraiment à améliorer la situation des enfants dans le monde ? Toutes les ONG qui prétendent « protéger » ou « sauver » les enfants, sont-elles vraiment créées pour défendre la cause de l’enfance en difficulté ou pour servir d’écran à des actions odieuses mais surtout lucratives ? N’y a-t-il pas derrière tout ce concert autour de l’enfant une mafia incontrôlée qui s’organise pour exploiter la vie difficile des enfants, leur misère quotidienne, à des fins commerciales ?
Le spectacle de la souffrance des enfants en Afrique me pousse toujours à m’interroger : pourquoi, malgré toutes ces journées organisées en grandes pompes ici et là, on ne sent pas d’amélioration dans la situation de ces souffre-douleur, ces ’’Poil-de-carotte’’ ? Bien au contraire, ils sont nombreux ces personnalités influentes en costume gris pour célébrer l’enfant le jour qui, la nuit tombée, ont des hommes de main qui assassinent des enfants pour des rituels sataniques destinés à renforcer leur pouvoir. Ainsi, ces sorciers qui se proclament amis des enfants et jouissent des bénéfices de fonds alloués à ces derniers se réjouissent devant le sang des enfants qui arrosent leurs fétiches.
Les enfants de la rue constituent donc pour certains hommes politiques un réservoir sacré dans lequel ils puisent pour les besoins de leurs rites. Voilà pourquoi ils ont intérêt à ce qu’il y ait toujours dehors, des enfants sans famille, des enfants égarés, des enfants vulnérables.
C’est au sein de ces mêmes enfants que d’autres recruteront ceux à qui ils donneront des armes pour aller faire la guerre contre leurs ennemis politiques. Ces vies presque sans vie qui traînent dans les rues, qui croient avoir tout perdu, pourquoi n’accepteraient-ils pas de participer à une action qui pourrait les rendre utiles à quelque chose au moins, peu importe comment ? Eux qui en ont gros sur le cœur contre la société qui les néglige, les sous-estime, les ignore, pourquoi ne profiteraient-ils pas d’une occasion de lui verser leur rage sous forme de balles, dans la tête, dans le cœur, dans le ventre… ? Eux qui ont déjà côtoyé la mort, qui ont vécu avec la douleur, qui tutoient la solitude et la souffrance dans leur errance, tuer ou être tués peut-il leur faire peur ? Le kalachnikov qu’on leur offre ne leur donne-t-il pas un pouvoir sur ceux qui ont été méchants avec eux ? L’alcool et la drogue qu’on leur livre gratuitement ne les aident-ils pas à oublier la rudesse de la vie au profit d’un monde de lumière et de son dans lequel ils sont des anges, de petits dieux en puissance, même si éphémères ? Et pourtant, on aurait pu mettre fin à l’utilisation des enfants pour la guerre, ne serait-ce qu’en respectant les normes de la gouvernance démocratique qui évitera des mécontents qui formeront des rebellions qui donneront des armes aux enfants.
D’autre part, comment se fait-il que l’utilisation des enfants comme mendiants par des maîtres coraniques soit bien connue de toutes les autorités de l’Afrique, de l’Ouest notamment, mais que rien ne soit fait de façon concrète, pour mettre fin à cela ? Est-ce parce que ces maîtres soi-disant spirituels sont aussi des marabouts attitrés au service des décideurs ? Les services mystiques qu’ils rendent aux « patrons » sont-ils plus importants que la vie des enfants qu’ils déversent dans la ville pour leur rapporter du butin au risque de leur vie ? Une vie qui semble n’avoir aucune valeur pour des hommes de Dieu qui enseignent la bonté, la compassion, la pitié et la charité.
Mais ce que j’ai surtout beaucoup de mal à comprendre, c’est que dans des sociétés africaines où l’hospitalité et le sens du partage avec l’étranger, l’inconnu, sont si développés, il n’existe pas de politique pour encourager un système de familles d’accueil des enfants de la rue, en fonction des histoires de ces enfants. Ces familles, grâce à une subvention annuelle, s’occuperaient de l’éducation et de la formation de leurs pupilles. Les Etats eux-mêmes prenant la charge de tous les autres enfants. Les fonds qui permettent d’organiser plusieurs manifestations par an, partout à travers le monde serviraient, j’en suis convaincu, à une meilleure protection de l’enfant contre l’exploitation, le trafic, l’escroquerie et le mercantilisme d’adultes véreux.
Que l’hypocrisie règne en politique, cela peut se comprendre. Mais que cette hypocrisie atteigne des sommets dans la défense de grandes causes comme celle de l’Enfant, c’est impossible à comprendre ! Les enfants, ce n’est pas les logements sociaux qui sont censés donner un toit à des citoyens démunis mais qui en réalité ne profitent qu’à des hauts responsables disposant déjà de plusieurs immeubles ou à l’abri de tout besoin. Les enfants, c’est plus sérieux, je pense ! Et pourtant… Quand, dans certaines organisations, arrivent des fonds pour soutenir des enfants en difficulté à travers des projets, ce sont, dans plusieurs cas, des enfants de responsables, de fonctionnaires ou de privés bien nantis qui sont regroupés, pour bénéficier de ces fonds. Laissant ainsi de côté ceux qu’on pourrait appeler les bénéficiaires naturels. Comme s’il y avait un certain plaisir pour certains parents à ce que leurs enfants soient appelés « enfants défavorisés ». Imaginez qu’un jour, Dieu propose à ceux qui sont en enfer, de l’argent pour s’acheter de beaux habits et se faire beaux pour être reçus au paradis, et que, en apprenant cette nouvelle, des habitants du paradis se ruent vers les portes de l’enfer pour négocier avec les gardiens de la géhenne afin qu’ils les laissent y entrer, le temps d’avoir l’argent promis par Dieu.
Je considère une telle attitude comme une crise de bon sens et une grave escroquerie morale de gens qui se croient toujours plus malins que les autres. Comme quoi, aujourd’hui, il y a dans l’empire des enfants en difficulté, des vampires adultes, ivres de cupidité. L’écrivain français André Stil a intitulé un de ses romans « Dieu est un enfant ». En y réfléchissant, j’ai envie de dire à tous ceux qui se nourrissent de la sueur, des larmes et du sang des enfants, même en se cachant derrière le voile de la religion : attention, l’enfant est un dieu !
Bien à vous.
Par Minga S. Siddick