Les tensions et les guerres sauvages qui suivent les résultats des élections en Afrique prennent toujours leur source dans la période pré-électorale. Car, c’est justement au cours de cette période que les différents rêves d’accession au pouvoir divisent les populations en clans opposés, pire, en clans ennemis. C’est la période de floraison d’un nouveau lexique politicien construit sur des ‘’pro’’, des ‘’anti’’, des ‘’tout sauf’’. Un vocabulaire perfide, exécrable et méprisant qui véhicule la haine, la stigmatisation, l’exclusion et même le déni. C’est à ce moment-là que se cristallisent toutes les rancoeurs qui vont se libérer dès la proclamation des résultats. Mais pourquoi donc ne rien faire pour désarmer les cœurs et désenvoûter les esprits avant les élections ?
En vérité, cette période de confusion et de désordre semble profiter à tous les acteurs politiques du pays qui prépare les élections. Parce que désormais, en politique, il vaut mieux troubler l’eau avant d’y lancer son hameçon. Au temps des partis uniques tout puissants, les présidents, qui n’organisaient les élections que pour la forme, avaient une autre méthode : ils finissaient d’abord de pêcher, puis ils troublaient l’eau. Ainsi, personne ne verrait clair dans l’embrouillamini expressément généré et ne pourrait prendre le risque de se jeter à l’eau. Mais avec cette histoire de démocratie obligatoire où plus rien ne garantit, dans les conditions normales, la longévité sur le trône, c’est dangereux de vouloir pêcher dans une eau limpide. Tout le monde est censé partir avec les mêmes chances de gagner ou de perdre. Or, il se trouve que nos présidents sortants ne veulent pas sortir, donc ne veulent pas perdre. Même quand, coincé par quelque scrupule, ils décident de se retirer, ils ont toujours un successeur plus ou moins secret qu’ils souhaitent imposer ‘’démocratiquement’’. Solution ? Il faut troubler l’eau pour y pêcher. Ce qui signifie que tous les coups, même les plus bas possibles, sont permis. Mais si seulement cela pouvait rester au niveau de simple rivalité de circonstance qui prendrait fin avec la fin de la compétition, on le comprendrait mieux. Ce n’est malheureusement pas le cas.
Les élections, surtout quand il s’agit de présidentielles, ne sont plus du tout perçues comme l’honneur fait aux peuples de choisir souverainement les personnes qu’ils jugent le plus apte à les gouverner. Les élections, c’est la guerre. Voilà pourquoi dans beaucoup de pays, préparer les élections, c’est préparer la guerre. Il faut donc se réarmer, se surarmer, revoir à la hausse son effectif militaire. Il faut placer aux postes clés de l’armée, de la gendarmerie et de la police, des proches très proches. Tout comme on place à la tête de l’instance chargée de proclamer les résultats définitifs, un proche très proche. Jusque-là, nous sommes dans la sphère de la fine stratégie politique de conservation du pouvoir. Mais la politique africaine ne s’accommode pas de subtils stratagèmes. Il faut créer des fous qui râlent, qui diffusent des rumeurs qui provoquent peur et stupeur. Il faut créer pour la circonstance des journaux animés par des griots modernes, accrocs de la propagande bon marché et spécialistes du dénigrement, qui par leurs plumes, salissent, insultent, déshabillent, humilient tous ceux qui osent s’opposer à leurs mentors qui bien souvent ne sont que des menteurs !
Et le drame des élections commence là où la presse prête sa plume aux manipulateurs, aux enchanteurs, qui exploitent l’attente du peuple pour créer une psychose et une angoisse qui gonflent au fil du temps.
Les périodes pré-électorales sont celles où se sèment les germes de ce qu’on finit un jour par appeler crises post-électorales. Des crises qui peuvent être évitées si les politiciens de tous les bords éduquent leurs militants en leur inculquant les valeurs du civisme, du patriotisme, mais surtout en les prédisposant à l’humilité dans la victoire et à la sagesse dans la défaite. Des crises qui peuvent être évitées si la vérité, la bonne foi et l’honnêteté priment sur le mensonge, la duplicité et la supercherie.
La chienlit qui pousse au cours de cette période sensible doit être étouffée avant qu’elle n’étouffe. Aucun leader politique responsable ne peut souhaiter à son pays le chaos de la Côte d’Ivoire, après les drames kenyan et Zimbabwéen. On pourrait aussi parler du Togo et du Gabon, à moindre échelle certes, mais non sans graves répercussions sur les populations.
Tout ce passe en Afrique comme on ne tirait jamais de leçon du drame des voisins. Comme si le bruit des armes après les élections fait partie de l’ordre normal des choses. Comme si se battre avec les armes doit être une épreuve complémentaire obligatoire de la bataille dans les urnes. Comme si la guerre était une unité de mesure de la démocratie.
Quand j’entends les clameurs qui s’élèvent au Sénégal, quand j’entends la grogne qui s’amplifie en République démocratique du Congo, je me demande s’il y a un signe indien du désastre qui gouverne la politique africaine. Et je m’inquiète du sort des populations de ces pays au lendemain des élections. Et j’ai peur pour d’autres pays, dont Madagascar.
Alors, je me dis que le Mali a grand intérêt à ne pas écouter les appels des sirènes voisines ou lointaines, pour rester le plus longtemps possible cette locomotive de la démocratie qu’elle a été jusqu’ici en Afrique. Non pas parce que le Mali est l’exemple achevé de la démocratie. Mais parce qu’il donne un exemple aux autres rien que par le respect de certains principes clés de la Constitution comme la limitation du mandat présidentiel qui, en général, est le nerf de la guerre. Oui, le Mali est un bel exemple de cette démocratie qui, en fait, est un long processus de maturation, de rééducation politique, d’épuration mentale de tous les complexes de nanisme, de gigantisme ou de castration. Un long parcours sur une île de mille tentations !
Un jour, j’ai écouté un jeune malien très révolté qui semblait avoir beaucoup à dire : « J’ai mal à mon Mali ! Les choses doivent changer. Une mascarade se prépare pour nous imposer un homme dans ce pays. Et après on dira vive la démocratie malienne ! N’importe quoi !! ». Je lui ai répondu : « Attention ! Une vilaine suspicion peut se transformer un jour en une fausse certitude qui fera naître une douloureuse frustration qui à son tour peut déboucher sur un conflit… ». Il m’a traité de poète rêveur. Mais au-delà des mots, j’ai compris qu’il y a autant de manières d’apprécier un bonheur qu’il y a d’individus sur la terre. J’ai aussi compris qu’ici, au Mali, il y a des gens qui sortent des bois, des oiseaux de mauvais augure qui hululent et battent des aides pour annoncer la mauvaise nouvelle qui prépare le lit de la chienlit : on organise le vol, la tricherie aux élections… Le fichier électoral qui sera retenu le sera parce qu’il n’est pas le bon… Et bien d’autres formes d’incongruités qui, pour l’essentiel ne sont fondées que sur des a priori, de simples ressentis personnels, des préjugés…
Mais c’est cela aussi la période pré-électorale : la traite des maîtres chanteurs qui menacent de dire même ce qu’ils ne savent pas pour obtenir ce qu’ils n’ont pas. La foire des enchanteurs qui vendent le bon Dieu sans confession à tous ceux qui, pour être plus proches du paradis ont besoin du soutien de satan.
La scène des manipulateurs qui font croire que tout ce qui ne brille pas est de l’or parce que tout ce qui brille n’est pas de l’or.
Il appartient aux populations de savoir raison garder et d’avoir une capacité de discernement suffisante pour séparer le bon grain de l’ivraie. Il appartient à chacun de faire sa propre police pour éviter de tomber dans les pièges qui se tendent partout en ce moment crucial. Il vaut mieux rester serein, positif, plein d’espoir, mais vigilant. Le faux finit toujours par se révéler lui-même.
Alors, à quoi bon empoisonner l’air avant l’heure ? À qui cela profite-t-il de prendre la responsabilité d’une crise qui peut être aussi dangereuse qu’onéreuse pour le pays ? Qui veut jouer les apprentis sorciers, rien que pour troubler les coeurs et faire douter le peuple ? Je pense qu’il y a des jeux auxquels il ne faut même pas commencer à jouer, car après, ils nous échappent et font plus de dégâts qu’on ne l’avait imaginé.
Bien à vous
Par Minga S. Siddick