Le droit d’en parler : Le coq et le paon. Ou les limites du pouvoir

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Il y a longtemps, très longtemps, une basse-cour où vivaient en parfaite harmonie tous les oiseaux domestiques possibles. Ils s’aimaient et jamais ne faisaient allusion à la différence de leurs espèces qu’ils considéraient comme un simple accident de la nature. Ils s’appelaient, d’une espèce à l’autre,  « frère » ou « sœur ». Ils vivaient tous en bonne santé, sous le même toit, mangeaient ensemble, s’accouplaient entre eux…

 

Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusqu’au jour où le propriétaire de la ferme fit entrer un poussin ramassé sur le chemin des champs. L’arrivée de ce poussin malade dans la basse-cour créa des sentiments nouveaux qu’aucun pensionnaire de la ferme ne connaissait : la peur et l’angoisse. La peur parce qu’ils se demandaient ce qui avait bien pu arriver à la mère du pauvre poussin et si eux-mêmes n’allaient pas être attaqués un jour. L’angoisse parce qu’ils craignaient tous qu’un jour le poussin étranger ne rendît l’âme. Mais, grâce à leurs soins associés, à leur amour et à leur sollicitude, le poussin grandit et devint un coq très bien portant.
Devenu donc coq, le poussin ramassé fut baptisé Tôgontin. Il s’arrogea vite la chefferie de la basse-cour très nombreuse sur laquelle il régnait en maître absolu. Il finit par faire accepter de tous qu’il était le plus fort, le plus beau, le plus… bon. A la vue des autres coqs de la basse-cour pour lesquels il n’avait aucun respect, il se dressait sur les ergots, battait arrogamment des ailes et lançait un tonitruant « cocorico » qui faisait frissonner tous les habitants de la ferme. Toutes les poules lui étaient soumises et celles qui avaient le malheur de se montrer indifférente face à ses opérations de charme et de conquête, il les empêchait de pondre des œufs. Tout autre coq qui s’apprêtait à s’accoupler avec une pensionnaire de la basse-cour, préférait étouffer sa libido et attendre un autre jour, en voyant s’approcher  Tôgontin. Tous les poussins et jeunes poulets se couchaient carrément au sol, étirant d’un côté leurs pattes qu’ils recouvraient de l’aile, le bec dans le sable. Dans leur monde, il n’y avait pas meilleure marque de politesse, d’obséquiosité.
Il était devenu si puissant que, finalement, il avait réussi à réunir autour de lui, la plupart des coqs et des poules de la basse-cour, devenus ses disciples,  parlant pour lui ou en son nom. Ces apôtres zélés présentaient leur gourou comme un envoyé de Dieu pour gouverner tous les gallinacés du monde. Ils se montraient même plus royalistes que le roi, allant jusqu’à dire qu’aucun autre gallinacé ne pouvait se comparer à Tôgontin du point de vue de l’autorité et de la beauté de son plumage rouge et noir. Ce dernier se moquait du dindon qu’il appelait « Le goitreux », à cause de l’excroissance qui pend sous son bec. Le dindon avait fini par dire aux membres de sa famille d’éviter le quartier des poulets pour ne pas s’attirer le courroux de celui qui se passait pour le roi des oiseaux. Le canard que le coq insolent appelait « Le bancal », à cause de sa démarche claudicante, avait donné à sa famille les mêmes consignes de sécurité. Petit à petit, la ferme se divisa. Le fermier qui assistait à toutes les scènes avec calme et sérénité, finit par en avoir ras-le-bol. Il alla construire une nouvelle basse-cour dans un autre endroit de la ferme. Il voyagea et revint avec un paon qu’il déposa dans ce nouvel espace. Puis il fit en sorte  que les oiseaux de la première basse-cour puissent sortir de temps en temps pour aller un peu plus loin dans la ferme. Un jour, un jeune poulet alla du côté où se trouvait le paon. En voyant un grand oiseau élégant et au plumage d’un bleu sublime, il resta planté net et ne vit pas le temps passé. Très tôt le lendemain matin, Tôgontin donna l’ordre pour que le pensionnaire disparu soit recherché partout dans la ferme et ramené en famille. Par esprit de solidarité, toutes les espèces, même celles qui avaient volontairement coupé tout lien avec les poulets à cause du comportement insolent du coq rouge, vinrent s’ajouter aux autres et la battue commença. Seuls Tôgontin et ses plus proches conseillers étaient restés sur place, parce qu’ils n’avaient pas le droit de travailler ou de faire un effort, si minime soit-il. Le soleil acheva sa course journalière et se retrouva au dessus des cimes de l’ouest. Le crépuscule ! Tôgontin, fou de rage, demanda à tous ses conseillers d’aller voir dans la ferme. Il ne pouvait pas comprendre que tous ses sujets passassent toute la journée dans la ferme sans retrouver le poulet perdu et se dit qu’ils devaient être en train de se prélasser au soleil. Les conseillers lui dirent qu’ils avaient peur de s’aventurer à la suite des autres car une bête sauvage pourrait être quelque part dans la ferme qui avalerait tout oiseau ayant mis les pattes sur son territoire. Mais face à la colère noire de Tôgontin qui menaça de les tuer s’ils ne s’exécutaient pas, ils partirent eux aussi.
Après quelques minutes de marche, les conseillers aperçurent quelque part, loin devant eux, une douce lumière bleutée. Autour de cette extatique réverbération, ils virent tout le peuple de leur basse-cour, perclus de fascination devant un oiseau d’une beauté divine. Les conseillers allèrent jusqu’à l’étrange oiseau et, dominant leur perturbation intérieure, demandèrent au paon d’aller avec eux dans leur basse-cour pour vivre avec eux.
Quand le coq vit le paon arriver, au milieu de « ses sujets » visiblement émerveillés par la beauté de l’oiseau bleu lumineux, il s’évanouit et se réveilla atteint de paraplégie aviaire à vie. Il avait compris trop tard que c’était trop facile de rester chez soi pour se considérer comme le meilleur du monde en ceci ou en cela.
Bien à vous.
Par Minga S. Siddick

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