Le Droit d’en Parler : D. E. F Diplôme des Experts en Fraude ?

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Les élèves des classes de 9ème Année, partout au Mali, viennent de composer dans le cadre de l’examen de fin du cycle fondamental ou DEF (Diplôme d’Etudes Fondamentales). Ce diplôme malien pourrait être considéré comme l’équivalent de ce que la majorité des pays francophones appelle le BEPC ou Brevet d’Etudes du Premier Cycle. Mais la différence, c’est que l’élève malien passe son DEF trois ans seulement après l’entrée en sixième alors les autres passent le BEPC quatre ans après. C’est d’ailleurs ce qui explique le fait qu’au Mali le parcours de la première année au Baccalauréat dure onze ans au lieu de douze dans les pays du BEPC.

Mais là n’est pas le principal sujet de la présente chronique. Je voudrais partager avec les lecteurs mon indignation sur l’organisation chaotique d’un examen dont l’obtention devrait en principe rendre fiers et heureux des élèves et leurs parents, parce qu’il ouvre la porte du lycée ou de la formation professionnelle. J’aurais pu intituler mon papier « DEF 2011 : Chroniques honteuses d’un centre d’examen ». Mais j’ai préféré un titre qui reflète mon impression face à un examen dont les sujets sont vendus sans scrupule et sans cagoule, dans les alentours, dans la cour comme dans les salles des centres d’examen. Avec des personnages devenus célèbres dans la fraude qui mobilisent ouvertement les élèves et leur font sans vergogne leurs propositions indécentes de 2 500 FCFA contre un sujet pour certains et rien que 500 FCFA contre le même sujet pour d’autres.

Je me suis intéressé au centre de Missira (Commune II, CAP d’Hippodrome) où la taille de la fraude a été gigantesque le premier et le deuxième jour. Là, même des policiers allaient vers les surveillants pour leur tenir des propos du genre : « Mon frère, moi je me débrouille bien en mathématiques, alors si tu as des cas, fais-moi signe ». Et eux, les policiers, ne demandaient que 500 FCFA par sujet traité ! Et ce n’était pas des cas isolés. Aux alentours du centre, on voyait des groupuscules d’individus lugubres traitant frénétiquement des sujets pour les faire ensuite passer grâce aux policiers qui servaient parfois d’entremetteurs.

Un enseignant du groupe scolaire Nelson Mandela, Monsieur B.M., très connu dans le milieu de la fraude au DEF était très sollicité et très agité au centre de Missira. Aux dires de certains candidats et de jeunes surveillants que j’ai entendus, cet homme semblait être aidé par une dame du CAP d’Hippodrome, son ex-collègue. Dès qu’un sujet tombait, il s’empressait de le faire traiter par un  complice et allait rapidement faire des photocopies de la correction pour ensuite revenir dans les salles et les distribuer à ses protégés principaux et à tous les autres qui, sur place, pouvaient payer.

Une candidate explique : « Dans ma salle, Monsieur B.M. avait un protégé qui recevait toujours une copie du corrigé des sujets. Après, il disait que ceux qui avaient de l’argent pouvaient se déclarer afin d’avoir aussi les sujets. On voyait l’argent sortir et circuler dans la salle… » Ce récit ne fait allusion qu’aux deux premiers jours de l’examen. Car, le dernier jour, même si en anglais les copies du corrigé ont circulé, la fièvre de la fraude était tombée comme au point mort, à Missira, avec l’arrivée matinale sur les lieux d’une envoyée de l’Académie Rive Gauche. Il y aura eu certainement des alertes, entre-temps !

Il n’était pas rare non plus de voir, aux abords du centre de Missira des parents d’élèves qui sortaient de l’argent pour faire corriger un sujet pour leurs enfants par des ‘’volontaires’’ qui n’attendaient que ça. De petits grins spontanés se sont même créés derrière les fenêtres des habitations à proximité du centre, le temps de la journée, pour les « commis à la correction ». Sans se douter de celui qui pouvait être de l’autre côté du mur, les experts en fraude corrigeaient en devisant sur leurs recettes et parfois sur les bénéfices extra comme ces filles qui n’ont pas d’argent à payer mais qui proposent mieux et pour qui ils sont prêts à tout pour qu’elles réussissent au DEF.

D’ailleurs, à la fin de la première journée, une jeune candidate expliquait à une camarade, avec un rire coquin, que le surveillant lui avait donné le corrigé de la dictée et de la rédaction. « Il le donnait aux gens à 2 500 FCFA le sujet, mais moi je ne lui ai rien donné. Je compte sur lui pour les épreuves de maths et de bio, demain. Après le BEPC, je verrai ce que je peux faire pour lui… » Sans commentaire. C’était étrange de voir un centre d’examen où les mouvements étaient aussi libres et où on pouvait voir des surveillants se partager le butin à la fin d’une épreuve. Comme si tous les responsables du centre étaient des complices de cette mafia. Mais, comme le dirait l’autre : « Si policier même est dedans, tout est gâté ! » En effet. A Missira, la police était complice des fraudeurs. Hélas ! Il m’a été rapporté qu’une même ambiance a régné au centre de Nelson Mandela (Commune II, CAP d’Hippodrome) où les fraudeurs se sont bien amusés comme à Missira et dans bien d’autres centres où la légèreté l’emportait sur le sérieux. Par contre, il semble que dans un autre centre (OPAM, Commune II, CAP de Bozola), « c’était trop serré », ce qui signifie qu’il n’y avait pas de place pour la fraude massive, quoi que… Mais combien de centres sérieux y a-t-il eu à Bamako lors du DEF ? Divers témoignages montrent qu’ils étaient trop peu !

Et pourtant, l’arrivée du Ministre Salikou Sanogo avait donné bien des espoirs à tous ceux qui en avaient marre d’une école gangrenée par la fraude, le laxisme, la médiocrité et la violence. On avait espéré donc des lendemains radieux pour l’école malienne qui sortirait ainsi de l’ornière où l’avaient projetée ceux qui voient des occasions de « deal » partout ! On croyait sonner à jamais le glas de la concupiscence et de l’immoralité à l’école. Mais c’est vrai que l’habitude est une seconde nature et que le molosse ne peut abandonner du jour au lendemain sa façon éhontée de s’asseoir. C’est vrai que la meilleure réforme au monde qui ne prend pas en compte le changement profond des mentalités est vouée à l’échec. C’est vrai qu’aucune institution ne peut être forte par elle-même si elle n’est pas constituée de personnalités fortes, qui ont décidé d’entrer dans l’histoire en imposant une rupture douloureuse mais  salutaire. Rupture dans le comportement, dans la pensée, dans la mentalité, rupture dans la vision. Des personnalités fortes qui sont conscientes qu’à la douleur d’une rupture salutaire, succèdera un état de bonheur durable. Au lieu de cela, on parle de changement en maintenant à leurs postes de vieux corps gangrenés qui puent et contaminent les nouveaux corps supposés être à l’avant-garde de la réforme.

Alors, M. le ministre Salikou, l’heure est encore plus grave aujourd’hui qu’hier. Il y a certainement des esprits tordus qui veulent vous torpiller en se disant : « Il na pa di i pé, i naka pé on va voir ! » Juste pour vous mettre les bâtons dans les roues et révéler au monde que malgré vos grandes décisions, vous avez des points faibles ! Vous voici driblé donc, M. le ministre, par le réseau des tricheurs. Un réseau ignoble constitué de chefs d’établissements inconscients, d’enseignants malhonnêtes, d’élèves paresseux et de parents d’élèves irresponsables pour qui la facilité est la panacée de tous les maux. C’est vrai qu’il faut de tout pour faire un monde, mais quand on sait où l’on va, on doit savoir avec qui marcher.

Chers lecteurs, en attendant la prochaine sortie de M. le Ministre de l’éducation, de l’alphabétisation et des langues nationales, pour nous dire ce qu’il pense de tout ce qui se dit du DEF 2011, je voudrais formuler avec vous le vœu que le DEF soit vraiment réhabilité et qu’il ne soit plus considéré comme le Diplôme des Experts en Fraude !
Bien à vous.
Par Minga S. Siddick

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