Les dirigeants africains héritiers des (ex) colonies françaises n’aiment pas entendre dire qu’ils ne sont que des marionnettes aux mains de Quai d’Orsay, de Matignon et de l’Élysée. Et pourtant, la présence de la France dans la gestion quotidienne de la politique intérieure des États africains francophones est très visible, trop visible même ! Il n’y a qu’à s’en tenir aux déclarations faites, ici et là, par un député, un secrétaire d’État, un ministre ou le président français himself, à un moindre événement politique qui survient en Afrique. Élections ? Paris félicite ou condamne selon ses intérêts. Entrave à la liberté de la presse ? Paris se réserve ou s’indigne selon ses intérêts. Assassinats politiques ? Paris s’émeut ou se tait, selon ses intérêts. Atteintes flagrantes aux droits de l’homme ? Paris réagit avec vigueur ou suit avec attention, selon ses intérêts. Arrestations ou bastonnades d’opposants ? Paris dépêche un émissaire ou observe, selon ses intérêts. Et tutti quanti !
Mais pourquoi cette bienveillance outrancière qui peut aussi s’appeler ingérence dans les affaires intérieures d’une nation souveraine ? Et pourquoi cette attitude passive de nos dirigeants qui laissent la France les manipuler par ses déclarations ? Au nom de quoi la France a-t-elle le droit de toujours donner son opinion ou de faire connaître sa position sur les événements politiques africains ? Pourquoi les chefs d’État des ex-colonies n’en font-ils pas de même quand il y a en France des affaires scabreuses, des mensonges d’État, des propos racistes ou honteux et déshumanisants ? Pourquoi Bamako ne condamne-t-elle pas Paris quant à la façon dont les Roms sont expulsés ? Pourquoi Ouagadougou ne s’indigne-t-elle pas face à la tournure que prend l’affaire Woerth- Bettencourt ? Pourquoi Dakar ne réagit-elle pas par rapport à la grande démonstration de force des syndicats de travailleurs français contre la loi sur les retraites ? Où est-elle donc l’équilibre dans les relations entre la France et ses ex ( ?) colonies ?
L’évolution actuelle de la situation politique en Côte d’Ivoire et en Guinée-Conakry va certainement offrir à la "métropole" un terrain fertile d’interventions et de déclarations. En effet, le démon des reports de dates d’élections qui est sorti du pays d’Houphouët-Boigny est entré dans le corps de la Guinée de Sékou Touré. Alors, pendant qu’une lueur d’espoir pointe à l’horizon chez les Ivoiriens, le ciel guinéen est en train de s’assombrir dangereusement. Bien sûr, la France s’est déjà réjouie de l’éclaircie en Éburnie et s’est dite inquiète de l’évolution de la situation en Guinée. Mais les déclarations de loin ne suffisent pas toujours. A moins d’un mois d’un scrutin présidentiel ivoirien, le président français a envoyé son "bras droit" auprès des principaux protagonistes. Pourquoi ? Pour dire quoi ? Pour faire quoi ? Tout se passe comme si la France ne faisait pas confiance à la maturité de ses colonies. Alors, elle veut toujours les suivre de près, pour des suggestions, des conseils, des observations, des mises en garde, des réglages de proximité…
Mais comment ne pas donner raison au Français quand nos responsables semblent n’avoir aucun sens des priorités. La situation au Sénégal est un bel exemple de l’insouciance de ces dirigeants malades de snobisme et d’excentricité qui sacrifient le bien-être de leurs populations sur l’autel de leur prestige. Voilà un pays qui s’est offert, à coût d’or, un majestueux monument pour célébrer son cinquantenaire mais dont les populations n’ont pas d’électricité, juste parce que des turbines vieillissantes et mal entretenues sont en panne ! Ceux qui souffrent des conséquences de cette incurie du pouvoir sont les responsables de petites et moyennes entreprises qui ne doivent leur survie qu’aux fruits de leurs labeurs qui dépendent essentiellement de l’électricité… Les autres peuvent s’offrir des générateurs pour pallier le déficit énergétique, mais eux n’ont pas ces moyens. Et les populations, partout dans le pays, continuent de manifester. Le pouvoir, qui va se sentir humilié, va pousser la répression au sommet du drame. Et, bien sûr, la France, notre mère – poule, aura raison de condamner, de s’indigner, de fustiger…
Au Nigeria, on a attendu le jour même de la célébration du cinquantenaire pour faire exploser deux bombes qui ont tué une douzaine de personnes, des innocents qui n’ont rien à voir avec le cercle du pouvoir. Peu importe ceux qui ont commis ces actes sauvages : mouvement des indépendantistes du Delta du Niger ou terroristes. On a une preuve de plus de l’infantilisme chronique de nos oppositions et de nos rébellions en Afrique ! Comment donc la France et tous les autres (Union européenne, Nations Unies, Etats-Unis) ne continueront-ils pas de nous traiter comme des enfants, des idiots, des imbéciles ? Nous n’avons donc à nous en prendre qu’à nous-mêmes, mal réveillés que nous sommes, au pied du monument majestueux d’une indépendance obtenue par de vrais leaders, monument dont la lumière nous aveugle et nous embrume. Allez France, continue de nous guider et de nous sermonner ! Nous ne sommes pas encore indépendants…
Bien à vous !
Par MINGA S.Siddick