" Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. " Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. C’est certainement pour aider tout individu à mieux s’informer et à mieux s’exprimer que la Journée mondiale de la liberté de la presse a été instaurée en décembre 1993 par l’Assemblée générale des Nations Unies. Depuis, ceux qui, en Afrique, détiennent le pouvoir d’informer, jouent-ils leur rôle comme il faut ?
Il est important de rappeler que l’idée de cette Journée du 3 mai est partie de l’Afrique. En effet, c’est à la faveur d’un séminaire organisé à Windhoek en Namibie, qu’une Déclaration dite de Windhoek a été adoptée pour garantir le maintien et la promotion d’une presse libre, pluraliste et indépendante. Cette Déclaration mettait l’accent sur le rôle important que devrait jouer la presse pour aider les États non seulement à développer et à préserver la démocratie, mais aussi à impulser le développement économique et social. C’est la date de l’adoption de cette Déclaration qui a été retenue pour célébrer partout dans le monde la Journée mondiale de la liberté de la presse.
Mais comment nous, journalistes ou soi-disant tels, exploitons-nous cette belle opportunité de nous exprimer et d’informer nos peuples ? Eh bien, nous nous prévalons de notre titre prestigieux pour revêtir des habits de griots modernes, pour battre le tambour pour ceux qui sont puissants et qui rêvent d’écraser tous les autres, y compris nous-mêmes. Nous choisissons toujours le camp de celui qui peut nous faire manger en nous piétinant et en nous faisant piétiner notre métier si noble. Tellement noble qu’il est considéré comme le quatrième pouvoir, après les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Tellement noble qu’il est le véhicule d’un cinquième pouvoir: l’opinion publique.
Et pourtant, le paysage médiatique africain nous offre des spectacles si désolants ! Comme si le journalisme avait changé d’éthique pour être l’arme de combat de politiciens qui se réjouissent de trouver aux côtés des porteurs de kalachs des tueurs par la plume. Ainsi, les journalistes sont devenus un nouveau type d’hommes de main, des mercenaires écrivants, des plumitifs malfaisants qui travaillent non plus pour informer après collecte et vérification des faits, mais pour conditionner les populations, pour les remplir de haine et de colère contre tous ceux qui ne soutiennent pas l’homme politique pour lequel ils prêchent.
Je n’ai point l’envie de refaire l’histoire des forfaitures de la presse en Afrique où, en lieu et place d’un journalisme d’investigation sérieuse qui fait des recherches courageuses pour dénoncer, preuves à l’appui, les sales affaires du pouvoir (malversations, corruption, comportements délictueux, actes crapuleux), pour édifier le peuple et l’instruire sur le sens de son vote, nous avons un journalisme d’instigation du peuple à la révolte contre une ethnie, une race, une religion, un parti politique, sur la base de préjugés obscurantistes, d’idées reçues tendancieuses, de rumeurs malveillantes…
Non, je n’ai point l’intention d’apprendre à qui que ce soit, l’étendue des drames provoqués par un journalisme politicien vicieux dirigé, orienté, partisan et ethnocentriste. Les cas du Rwanda et de la Côte d’Ivoire sont connus de tous et doivent être les plus célèbres en Afrique de ce journalisme déviant, décadent et destructeur.
J’aurais compris que les journalistes pris en faute fussent ceux de la presse privée qui, en général, est formée de jeunes gens pas très bien formés à la base et dont la plume ne brille pas encore de la quintessence de la conscience professionnelle. J’aurais compris que les fautes reprochées aux journalistes, si graves soient-elles, fussent le fait de l’ignorance, car un ignorant peut s’instruire et devenir sage. Hélas, ce sont des journalistes aguerris dans leur art qui, en connaissance de cause, montent avec minutie des informations truquées, agencent avec précision des tissus de mensonges, sèment avec ferveur le doute et le trouble dans l’esprit du peuple, désorientent avec emphase le lecteur, pour aboutir à leur fin : révéler le côté ange de leur « patron » et le côté démon de tous les autres qui s’opposent à lui.
Pire, ce sont les journaux dits gouvernementaux, comme Fraternité – Matin en Côte d’Ivoire, qui frayent le chemin du déshonneur, de l’ignominie, de la guerre, du sang. Juste pour un homme, contre la majorité du peuple !
Les journalistes d’en face, qui contre-attaquent, sont malmenés, emprisonnés, torturés… Un ancien président éburnéen, devenu très sage semble-t-il, quand il était encore aux affaires, avait des mots assez durs pour décrire les journalistes de l’opposition qui critiquaient son arrogance d’alors et ses autres travers : « écrivaillons », « scribouillards », « hypocondriaques »… Juste parce qu’ils n’étaient pas de son bord politique et même s’ils étaient plus professionnels que ses zélateurs, ses panégyristes. Alors, peut-on réinventer la presse en Afrique ? Peut-on en faire le véritable premier contre-pouvoir qui ne s’embarrasse pas des turpitudes politiciennes et qui s’engage à informer, rien qu’informer sur la base de faits justes et vérifiables, en laissant le monopole du pathos aux militants ? Mais re-inventer la presse suppose re-inventer la politique, pour sûr. Car, tant qu’il y aura d’un côté des politiciens financièrement puissants prêts à débourser les centimes pour faire chanter leur louange et, de l’autre, une presse truffée de désargentés réduits à chercher du «gombo» pour arrondir leurs fins de mois, certains journalistes se travestiront toujours en griots pour mieux vivre, au détriment du bon sens, de la morale, de la déontologie. Peu importe si leur plume peut conduire à des massacres d’innocents de tous les âges, de tous les sexes. Malheureusement !
En conclusion, je trouve que la médiacratie qui devait faire trembler le pouvoir est contaminée par la médiocratie du pouvoir ! C’est dommage, mais faut-il pour autant vraiment désespérer de la presse ? Moi, je ne crois pas. Mais c’est votre avis qui compte.
Bien à vous.
Par Minga S. Siddick