Le Droit d’en Parler :Chute des Gbagbo et leur humiliationDe quelle dignité parle-t-on ?

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Depuis le lundi 11 avril 2011, Laurent Koudou et Simone Ehivet Gbagbo ne sont plus sur le trône du pouvoir ivoirien. La force a changé de camp, le pouvoir aussi. Mais ce qui semble avoir plus retenu les attentions, ici et là, c’est bien les images à la fois simples et surréalistes qui montrent l’ancien président et son épouse comme des êtres humains ordinaires frappés par la douleur et la souffrance. Des images qui, aux dires des uns et des autres, n’étaient pas à montrer. Au nom des valeurs morales africaines. Au nom de la dignité humaine.

Toutes ces réactions ne me surprennent pas, parce que je sais qu’il y a toujours des gardiens de la morale humaine partout aux aguets et toujours prêts à exploiter un événement pour démontrer leur talent de bons diseurs. Certains défendent les droits de l’homme par conviction. D’autres le font par snobisme ou pour plaire en donnant dans le politiquement correct. Tant pis ! A chaque fou sa marotte, dit-on. Mais comme George Walker Bush un certain jour, je m’interroge : « Qu’est-ce que ça veut dire atteinte à la dignité humaine ? » Un roi a-t-il de la dignité s’il ne fait pas de la dignité de chacun de ses sujets une pierre précieuse à défendre contre les égarements possibles auxquels un pouvoir vacillant peut conduire ? La dignité d’un homme ne réside-t-elle pas dans le respect de la dignité de l’autre ?

Les Gbagbo ont laissé leur dignité se dissoudre dans leur ivresse du pouvoir. Ils ont laissé leur dignité se faner sous le soleil de la méchanceté, du mépris, de la haine. Leur volonté de puissance et leur irrésistible envie de prendre leur revanche sur la vie qui leur a fait connaître des moments de misère politique ont fini par dévorer toute leur dignité. Pour moi, parler de la dignité d’un homme qui a fait tuer d’autres hommes, de la dignité d’une femme qui n’a pas empêché que des femmes soient honnies, humiliées, bafouées et assassinées et qui n’a pas condamné ces crimes, c’est faire du moralisme petitement scrupuleux. Parce que j’estime qu’un homme, fût-il président d’une République, mérite d’être montré entier comme un être humain ordinaire, si, pendant son règne, il a laissé croire qu’il avait rang de Dieu, qu’il était au-dessus des autres, qu’il avait pouvoir de vie et de mort sur les hommes qu’il gouverne.

Je veux bien comprendre la vague de pudibonderie qui envahit des cœurs trop sensibles, mais pour moi, les temps ont changé et désormais l’information va à la même vitesse que la lumière. Etre africain n’y changera rien car il n’y a plus de barrière entre les peuples, entre les races, entre les cultures. Il n’y a plus d’images taboues. Alors il appartient à chaque individu de se protéger, de faire en sorte que son image ne lui échappe pas, de faire en sorte qu’il reste toujours maître de lui-même, c’est-à-dire qu’il ne soit jamais dans cette situation de fragilité et de faiblesse qui fait que les autres prennent le dessus sur lui et décident de gérer sa vie à travers ses propos, ses actes et son image.

Que des vendeurs de sensations fortes et d’émotions vives volent des images d’honnêtes personnes et, par les moyens de la technologie numérique falsifient ces images, font des montages pour travestir des faits et punir injustement ces honnêtes personnes, cela est intolérable et condamnable. Car il s’agit là d’actes de méchanceté gratuite. Par contre, si des images nous montrent « nus » et impuissants des chefs tyrans et assassins qu’on n’a connu que couverts d’or et de diamant, quels que soient leur race et leur pays d’origine, moi je trouve cela heureux. Parce que ces images font partie de l’histoire de l’humanité, de la marche du monde et surtout de la vie de l’Homme. Parce que ces images sont en elles-mêmes des leçons de la vie qui peuvent aider chacun à réfléchir, philosophiquement, sur le sens du pouvoir, le sens du devoir, le sens du savoir. Parce que ces images peuvent nous rappeler notre fragilité et l’instabilité permanente de notre situation. Parce que, grâce à ces images, nous pouvons mieux comprendre que ceux qui flirtent avec les cimes, ne doivent jamais oublier que l’abîme n’est pas loin. Le vertige de la gloire ne doit jamais nous faire ignorer qu’un rien peut nous faire déchoir et boire jusqu’à la lie les déboires de notre pouvoir.

Ces images de Laurent Gbagbo et de son épouse Simone ne sont pas à rejeter au nom d’une quelconque pudeur « africaine ». Elles doivent aussi nous enseigner l’extrême solitude dans laquelle nous nous trouvons quand nous perdons les attributs qui faisaient de nous une personne puissante, incontournable, nécessaire, indispensable… La dignité ? Je pense, comme Platon, que c’est «une majesté qui résulte d’une raison droite et sérieuse ». Il ne suffit pas d’avoir été roi pour revendiquer sa dignité ni pour la mériter. Il faut prouver qu’on a toujours respecté celle des autres, même dans ses moments les plus sombres et les plus désespérés.

Le romancier marocain Driss Chraïbi a écrit : « La noblesse du fauteuil détermine la dignité humaine de celui qui est assis dessus…». Moi je voudrais bien y ajouter ceci : « Mais si celui qui occupe un fauteuil noble est de mauvaise moralité, au lieu de porter sa dignité comme une couronne d’honneur, il s’assoit dessus et l’anéantit avec son pet ». La nudité d’un tel « noble » ne devrait pas choquer.
Pauvres Gbagbo, ils ont bien mérité ce qui leur arrive ! N’en déplaise aux cœurs trop pieux pour qui le diable une fois mort peut être considéré comme un saint. Pour une fois, j’accepte de paraître iconoclaste.
Bien à vous
Par Minga S. Siddick

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