L''avenir politique au Mali : La Précaution et l''ambition

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C”est en trouvant d”abord des solutions à l”immédiat que le gouvernement aura la latitude de s”atteler au stratégique.

C”est une vérité du moment qui pourrait paraître moyennement acceptable à certains, mais qu”il est pourtant difficile de contester. Parvenir à réunir un très large consensus autour de la composition du premier gouvernement du second mandat relevait de la pure gageure. Tout d”abord, parce qu”il n”était pas évident de trouver un nombre suffisant de personnalités capables tout à la fois de symboliser le renouvellement et d”attirer sur leur nom l”assentiment populaire. Ensuite, parce que la formation de l”équipe devait concilier des contraintes contradictoires, et donc amener des arbitrages discutables. Enfin, parce que l”installation de l”Exécutif a été rendue plus compliquée par une longue attente truffée des supputations les plus ubuesques et dominée par une intense agitation médiatique.

Si l”on prend en compte ces trois particularités, on admet qu”il était impossible que tous se retrouvent dans le résultat final et que la nouvelle équipe se voit gratifiée d”un préjugé unanimement favorable. Le gouvernement Modibo Sidibé va donc au devant d”importants défis. Il devra tout à la fois asseoir sa crédibilité face aux interrogations déjà posées sur la compétence de certains de ses membres ; rassurer quant à son ancrage dans les réalités de l”heure ; démontrer sa capacité à désamorcer les conflits catégoriels qui glissent vers une inquiétante radicalisation ; et enfin imposer son aptitude à remettre en route une administration qui depuis fin mars (date de la publication du bilan de l”action gouvernementale 2002-2007) s”est mise en apnée.

LA PART D”INCERTITUDES –

Il est évidemment trop tôt pour se livrer à un pronostic sur la qualité de tenue de route du nouvel Exécutif. On se limitera juste à commenter ce qui a présidé à la formation de l”actuelle équipe : un risque assumé en faveur du changement et de la rupture, risque qui s”est illustré par l”entrée au gouvernement de 18 nouvelles personnalités sur 26 membres. En ce qui concerne tout d”abord le changement, une question évidente se pose : fallait-il aller aussi loin ? Inévitablement, si on se rappelle que la demande pressante de renouvellement qui montait de l”opinion datait de pratiquement dix-huit mois.

C”est en effet au premier trimestre de 2006 que se sont fait entendre les premiers commentaires sur les signes d”usure au sein du gouvernement Ousmane I. Maïga et les premières rumeurs de remaniement confortées par l”attitude de plus en plus critique du RPM vis à vis du président de la République. La pression a encore enflé à la rentrée 2006 avec la création de l”Alliance pour la démocratie et le progrès, regroupement de partis soutenant l”action du chef de l”Etat et encourageant sa candidature à la présidentielle 2007. Il y eut été à ce moment fort possible de revoir la composition du gouvernement pour adapter celle-ci au nouveau paysage politique et à la reconfiguration du camp présidentiel. Le tsunami des rumeurs s”est cependant apaisé aussi piteusement qu”il s”était déclenché fougueusement. Et cela sans causer le moindre dégât dans le gouvernement.

Les adeptes du neuf revinrent à la charge juste après le 8 juin dernier en invoquant le précédent de 2002 qui avait vu le président Touré initier la formation d”un gouvernement de mission en attendant le résultat des législatives et l”installation du bureau de l”Assemblée nationale. Mais cette fois-ci le chef de l”Etat préféra le scénario de la continuité et l”équipe en place bénéficiera de sa confiance jusqu”au 27 septembre dernier. L”attente, comme nous le disions, a donc été longue et les changements devaient revêtir une ampleur proportionnelle au délai pris pour les faire. D”autant plus qu”intervenaient également la nouvelle donne partisane et l”engagement du président Touré d”améliorer la participation des femmes dans les instances de prise de décision.

Quant à l”effet de rupture qui a notamment amené le départ de personnalités présentées comme politiquement proches du président Touré, il est plus complexe à expliquer puisqu”il relève avant tout de l”appréciation portée par le chef de l”Etat sur la mission accomplie par chacun des partants et de sa volonté d”insuffler une âme nouvelle à l”équipe. Une volonté qui s”était déjà exprimée par le choix d”un Premier ministre nettement plus jeune que ses devanciers, d”un profil entièrement différent de ceux-ci et d”une vision du monde certainement plus ouverte vers la modernité. C”est donc un pari qui est tenté là avec sa part d”incertitudes et son lot de questionnements. Un pari qui peut désorienter comme tout ce qui est inattendu, mais aussi un pari qui pourrait être gagné par la qualité d”implication des nouveaux venus.

MIEUX TENIR LA ROUTE –

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En attendant que celle-ci ne s”exprime, l”appareil gouvernemental enregistre moins un resserrement (un gain de deux postes n”est pas fondamentalement bouleversant) qu”une mise en pertinence à travers certains réaménagements. Le regroupement de la matière économique dans un seul département met fin à la guérilla des prérogatives qui opposait auparavant l”Industrie, l”Investissement et l”ex-département de l”Économie et des finances. L”éclatement du département de l”Éducation nationale permettra sans aucun doute une gestion plus pointue de problèmes dissemblables qui par leur fréquence et leur ampleur submergeaient un cabinet unique. La création d”un département uniquement dédié aux Relations avec les institutions répond à la nécessité d”établir une meilleure qualité de relation avec notamment les élus nationaux. La précaution n”est pas inutile lorsqu”on sait la susceptibilité des parlementaires devant ce qu”ils considéreraient soit comme une faiblesse de concertation, soit plus prosaïquement comme un manque de considération.

Le gouvernement a donc été profilé pour mieux tenir la route dans un environnement économique annonciateur de sérieuses difficultés et dans une conjoncture sociale potentiellement turbulente. Il lui faut maintenant – et en urgence – désamorcer les tensions catégorielles qui persistent depuis plusieurs mois et qui rendent aléatoire toute projection stratégique. Il doit aussi aller au devant de la grogne sociale en indiquant clairement aux populations que le renchérissement des produits de première nécessité et (probablement) du carburant s”inscrit en tendance durable et que si des palliatifs peuvent en atténuer les effets, aucune amélioration ne peut être attendue sur le moyen terme. Il doit enfin se rappeler que la question du Nord mise momentanément en veilleuse par l”actualité politique reviendra très vite au premier plan avec l”exigence populaire d”une solution nette au cas Bahanga.

L”équipe Modibo Sidibé est aujourd”hui tout à la fois dans la précaution et dans l”ambition. La précaution pour éviter que n”empirent et ne dégénèrent les situations évoquées plus haut. L”ambition afin que soient tenus les engagements pris par le président Touré dans le PDES. Pour réussir, il a fait une mise délibérée sur l”esprit battant des entrants. Souhaitons donc que dans la situation présente, l”audace soit la mère des résultats.

G. DRABO

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