La géostratégie du Mali comme élément d’analyse de la crise actuelle : Facteurs favorables et pesanteurs

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La 1ère des quatre (4) lois fondamentales de l’Univers nous dit ceci : «Tout ce qui existe, existe, a toujours existé et existera toujours, rien de ce qui existe ne peut faire partie de la non-existence car par définition, la non-existence n’existe pas».

Nous voyons déjà le lecteur prendre un coup de stress, mais qu’il ne s’emballe guère, ça n’est ni un cours de physique, ni un cours de philosophie qui l’attend, nous n’en sommes d’ailleurs pas compétents.

Cela dit, il faut ajouter que tout ce qui existe (y compris le Mali), existe bien quelque part dans le temps et dans l’espace entre l’infiniment petit et l’infiniment grand.

Ainsi donc, le Mali, situé au cœur de l’Afrique de l’Ouest, partage sept (7) frontières qui constituent son premier cercle géostratégique. Nos analyses tenteront donc de prendre d’abord pour paramètre dans le traitement de la crise, ce premier cercle géostratégique ensuite, les deux derniers (2ème et 3ème cercles). Mais avant, nous tenons à rappeler au lecteur que ce travail ne constitue en aucune manière la panacée, notre objectif est de contribuer humblement aux débats, susciter des réflexions substantielles en donnant les clés de l’analyse à savoir : la quête de cause et de sens.

Le premier cercle géostratégique du Mali

Il s’agit là de son voisinage immédiat, des pays qui l’entourent dont les réalités socio-politiques et économiques, les rapports non seulement avec lui mais aussi avec le reste du monde, peuvent être des paramètres dans le traitement des problèmes qui l’assaillent actuellement. Comme évoqué en sus, ces pays sont au nombre de sept (7) à savoir : -le Niger au sud-est ;-le Sénégal et la Mauritanie à l’ouest ; – l’Algérie au nord-est ; -le Burkina, la Côte d’Ivoire et la Guinée Conakry au sud.

En effet, en prenant la géographie et en en faisant un outil de prospection stratégique, nous comprenons tout de suite que notre pays occupe une position qui lui procure avantages et inconvénients, facteurs favorables et pesanteurs.

Les facteurs favorables à la position du Gouvernement du Mali

Pour parler d’abord des facteurs favorables, nous dirons que le premier qui par ailleurs est non négligeable, demeure le climat de bon voisinage qu’il entretient avec son entourage.

Cependant, il faut noter que la nécessité d’entretenir des relations de fraternité et de compréhension mutuelle avec les voisins, figurait déjà en bonne place parmi les grandes lignes de la politique extérieure du Mali et ce, dès son accession à l’indépendance. Cette volonté du jeune Etat d’alors combinait à la fois idéalisme et réalisme de la part du Président Modibo KEITA et ses compagnons de lutte.

Idéalisme, parce que nos pères, artisans de notre indépendance, étaient portés par des convictions fortes, ils croyaient en un idéal qui est celui de la fraternité, la vraie fraternité entre tous les fils du continent dans une Afrique unie et prospère.

Réalisme, parce qu’ils avaient pleine conscience de notre fragilité due à l’enclavement du pays. N’ayant pas de frontière maritime, le Mali compte beaucoup sur ses voisins pour ses transactions avec le reste du monde. Ainsi, de 1960 (l’année de l’indépendance du Mali) à nos jours, la diplomatie malienne a observé une constance dans le respect de ce principe.

C’est pourquoi, contrairement à d’autres conflits en d’autres lieux, les groupes armés qui l’ont agressé, mutilé et vilipendé en 2012, n’ont pu avoir de base arrière solide et pérenne ou de complicité avérée (ouvertement assumée) dans aucun des pays voisins. Nous avons tendance à négliger cet aspect alors que les choses pouvaient se passer différemment. N’eût été cette relation fraternelle, nous aurions pu être dans un schéma où c’est le voisin qui sert de base arrière à l’ennemi et épouse sa cause (reconnaître par exemple l’indépendance de l’Azawad). La reconnaissance d’Etat dans les Relations internationales étant discrétionnaire, chaque pays est libre en la matière et agit souverainement.

Nous souhaiterions tout de même noter que ce climat de bon voisinage n’explique pas en lui seul le comportement bienveillant de nos voisins (il existe d’autres engagements pris notamment dans le cadre des grands ensembles sous-régionaux et régionaux comme la CEDEAO et l’Union africaine), même s’il reste d’une importance de premier ordre.

Outre ce premier facteur, certaines réalités historico-sociétales de l’Algérie et du Niger (qui suivent avec un intérêt particulier la situation du Mali) semblent influencer la position de ces pays sur un éventuel statut propre à l’Azawad. N’oublions pas que le plus grand enjeu de cette crise reste territorial, c’est une ‘’guerre’’ pour le contrôle stratégique des territoires (nous voyons ça en filigrane même à présent).

En effet, la crise malienne, née du nationalisme (c’est la dimension idéologique du problème qui ne semble d’ailleurs pas avoir de réponse de la part du Gouvernement malien) porté par une petite fraction des tributs touaregs, correspond par ailleurs à des réalités historiques et en Algérie et au Niger. Le sud algérien, qui paraît être une excroissance ethnolinguistique du nord du Mali ou l’inverse, n’est pas exempt des germes du nationalisme touareg. De la même manière, le Niger, qui a également connu ce même spectre, ne souhaiterait jamais une partition du Mali qui, par un effet mimétisme, pourrait raviver les démons sécessionnistes dans ses territoires.

En dehors de ces deux pays, il faut également citer un autre qui vit actuellement sur le plan socio-politique, une dynamique ‘’sankariste’’ (la prospective malienne ne semble pas voir ça). Depuis l’éjection du Président Blaise Compaoré du pouvoir au Burkina Faso, le nationalisme africain qui sommeillait dans le pays depuis la mort du Président Thomas SANKARA, semble progressivement se reconstruire à travers notamment une société civile qui s’organise de mieux en mieux et continue de se structurer intellectuellement mais aussi idéologiquement.

La reconstruction de ce nationalisme africain se voit également à travers le retour du fameux ‘’consommer africain’’ qui formait l’ossature de la politique économique du Président SANKARA. Cette nouvelle donne intervenue à la faveur du changement de pouvoir (le renversement du Président COMPAORE) est à considérer comme un terreau fertile à la solidarité africaine dont l’expression conforterait les causes maliennes en ces temps difficiles.

Au-delà, il faut dire que le Burkina Faso est également un pays qui compte parmi son Peuple, ‘’une section touarègue’’. Son unité nationale commanderait donc d’aider un pays comme le Mali à maintenir sa nation tel un bloc compact (pour ne pas avoir à gérer dans le futur, une contagion).

Aussi, disons que le Sénégal, la Guinée Conakry, la Mauritanie, la Côte d’Ivoire, ont chacun autant de bonnes raisons d’être solidaires au Peuple et au Gouvernement du Mali au moins en ce qui concerne la préservation de l’intégrité territoriale du pays. Vous comprendrez aisément que nous ne puissions, le temps d’un article de presse, opiner sur ces diverses raisons. Enfin, un élément très important ne doit pas échapper à notre analyse, il est relatif à l’Algérie.

En effet, les Algériens verraient derrière les velléités indépendantistes de certains groupes armés, une volonté inébranlable de l’Etat français de retrouver sa position stratégique d’antan dans le Sahara. Ainsi, considèrent-ils que l’indépendance de l’Azawad correspondrait à l’érection d’un Etat pro-français ou du moins d’une province française aux portes de leur pays (ce qui n’est pas du tout acceptable par le pays connaissant son passé colonial).

Cette lecture de la question justifie en outre le soutien algérien à la ligne rouge du Gouvernement malien (le respect de son intégrité territoriale).  Il faut également croire que cette réalité serait la principale raison qui a motivé la décision du Président IBK de transférer les négociations de Ouaga à Alger, un détail qui n’en est pas un.  Retenons donc que cette déduction algérienne conforte bien évidemment la position malienne et lui offre un soutien de taille.

À présent, parlons des situations que l’on pourrait retrouver dans ce premier cercle géostratégique et assimilables à des pesanteurs qui compliqueraient la gestion de cette crise.

Les facteurs qui desservent le Mali (les pesanteurs)

Toujours selon le principe qui considère la géographie comme un outil de prospection stratégique ou encore un élément d’analyse stratégique, tout est lié et interconnecté, tout est interdépendant tel que posé par la loi économique qui dit ceci : «les choses étant ce qu’elles sont et ne pouvant être autrement, toute chose est égale par ailleurs…».

Ainsi donc, l’effondrement de l’Etat en Libye consécutif aux évènements de 2011, a, semble-t-il, engendré un effet domino. Après la chute de Mouammar KHADAFI, l’arsenal de guerre libyen et les armes larguées à Benghazi depuis les avions de la coalition, se sont retrouvés sur le marché noir sahélien (avec 200 dollars vous vous procurez une kalachnikov russe à 3 étoiles). Ces armes en plus d’alimenter les réseaux narcoterroristes, qui y existaient déjà depuis plus d’une dizaine d’années, a servi aux groupes armés dans leur offensive contre l’Etat malien.

Le plus grave est que jusqu’à présent, le foyer libyen n’a pu être stabilisé et ce malgré les efforts de la communauté internationale. Autrement dit, la perfusion n’a pu être serrée, ce qui facilite l’approvisionnement des groupes de défiance en mercenaires, armes et munitions en reliant tout simplement Kidal (qui est devenu un sanctuaire) à la Libye. Le fait est que la région de Kidal échappe à tout contrôle de l’Etat malien, cette région est de facto hors souveraineté de l’Etat central malien avec certainement de graves conséquences sur la dégradation de la sécurité intérieure et extérieure du pays. Certaines sources disent que les mercenaires qui massacrent à Mopti seraient recrutés et entraînés quelque part dans la région de Kidal.

Il faut donc dire que la situation en Libye, pays frontalier du Niger voisin, demeure une pesanteur non seulement dans la crise malienne mais aussi dans le traitement des questions sécuritaires au Sahel de manière générale. Elle paraît comme étant la plus importante des pesanteurs dans ce premier cercle.

Un autre fait qu’il faut souligner : la porosité des frontières. La plupart des Etats frontaliers du Mali (à l’exception de l’Algérie peut-être) sont confrontés à d’énormes difficultés liées à la gouvernance de leur territoire, leur faiblesse explique cette non-maîtrise des frontières facilitant ainsi les déplacements d’éléments criminels.

Ensuite, faut-il parler de la défaillance des mécanismes sous-régionaux de gestion des crises. À ce niveau, nous pensons au rôle de la CEDEAO dans le traitement des problèmes qui naissent dans son giron. Ainsi, cette expérience malienne est assez évocatrice, les internationaux semblent effacer sinon supplanter les initiatives sous-régionales. Les prochains débats doivent porter sur la réforme des grands ensembles qu’ils soient sous-régionaux ou régionaux. Voyons à présent le deuxième cercle.

Le deuxième cercle géostratégique

Ce deuxième cercle couvre le niveau régional, l’Afrique. Tout comme dans le premier cercle, aucun Etat ici n’a joué contre le Mali. En effet, tous les Etats africains semblent inscrire leurs actions dans le cadre de l’Union africaine, très peu de canaux bilatéraux. Notons que l’un des principes cardinaux de cette Organisation est l’intangibilité des frontières issues de la colonisation. À ce propos, le Président Julius Nyerere disait ceci : «Ces frontières aussi stupides que nécessaires…». Comme pour souligner le caractère sacro-saint de ce principe qui figure dans l’acte constitutif de l’Union africaine.

La solidarité africaine en faveur du Mali a donc été exprimée sous forme de soutien politique (en refusant toute forme de partition du pays), ce qui est déjà extrêmement important.

Le troisième et dernier cercle géostratégique du Mali

Il s’agit ici de présenter le Mali dans le monde, estimer «son poids» sur le plan des influences géostratégiques. Nous entendons par influences géostratégiques, l’ensemble des moyens de pouvoir (soft power and hard power) et de pression qu’un Etat peut avoir dans ses rapports avec le reste du monde. Autrement dit, l’ensemble des atouts dont disposent les Etats pour s’entourer, se positionner, dessiner les jeux d’alliances et de contre-alliances dans les Relations internationales.

Par exemple : le gaz russe comme élément d’appréciation dans les rapports russo-européens, les entreprises américaines dans le monde et le leadership de l’économie mondiale, les réserves de dollar US de la Chine dans les luttes de pouvoir sino-américaines ou encore la présence américaine dans la péninsule coréenne et le nucléaire nord-coréen, etc. Toutes ces choses-là que les Etats peuvent vendre et obtenir en retour, soutien, protection, sécurité, etc. Ainsi, il faut dire que le Mali d’aujourd’hui ne dispose malheureusement d’aucun élément d’influence au-delà des frontières africaines.

Sur le plan économique, le pays ne compte aucune firme multinationale, il ne vend pas de service non plus. Sa faible capacité de prospection fait qu’il ne dispose même pas de données fiables sur les potentielles richesses de son sous-sol. L’or dont il dispose est quasiment bradé au lieu d’en faire un enjeu stratégique.

Sur les plans politique et diplomatique, nous ne semblons pas non plus avoir d’alliances au compteur. En effet, dans un passé relativement récent (de 1960 jusqu’en 1988), le Mali disposait d’une diplomatie très active avec des entrées dans les clubs de l’époque. Nous étions acteurs du non-alignement stratégique et dans le même temps apparentés au bloc de l’Est ; ce qui nous garantissait notre assurance vie. À présent, notons que le contexte a évolué, les apparentements et les alliances qui se forgeaient sur des fondements idéologiques se font maintenant sur des intérêts économiques, ce qui les complique davantage surtout pour un pays économiquement faible comme le nôtre.

Cela dit, tout n’est pas toujours économique, les ressources humaines d’un pays, notamment sa diaspora, peuvent également avoir un enjeu stratégique. En la matière, le cas d’un Etat nous paraît intéressant, il s’agit de l’Etat d’Israël. Israël qui, au départ, n’était qu’un «agneau entre les loups», a pu très rapidement développer une diplomatie d’influence appuyée par ses citoyens de l’extérieur en hauts lieux aux Etats-Unis et en Europe. C’est pourquoi parle-t-on de lobby juif.

Imaginez donc un Mali avec un réseau d’intellectuels et d’hommes d’affaires bien intégrés dans les hautes sphères américaines, européennes et asiatiques, les problèmes qu’il connaît actuellement seraient déjà résolus. Il faut cependant noter que ce réseautage stratégique n’est possible qu’à partir d’une vision cohérente et affichée qui soutiendrait une diplomatie de positionnement plutôt que de simple représentation (comme c’est le cas à présent).

La France qui est le métronome dans le dispositif global de réponse à la crise malienne reçoit une importante part de la diaspora malienne (étudiants, chercheurs, immigrés économiques etc.) depuis au moins 50 ans. Le gouvernement malien n’a aucune stratégie pour ces expatriés. Il créa un Ministère des Maliens de l’Extérieur pour des raisons uniquement électoralistes et entretient les conseils représentatifs à ce même effet. Pourtant, ces Maliens, pris en compte dans le cadre d’une stratégie, pourraient créer des cercles d’influence en France et agir utilement sur l’approche française.

Nous l’avons donc compris, sur le plan des influences géostratégiques, le Mali dans le monde est une plume dans l’air.

Mamadou Lamine SIBY

Analyste et homme politique

Source : LE WAGADU

 

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