La faim justifie les moyens

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Après avoir longtemps fait illusion avec une situation pluviométrique «bonne à excédentaire», les alchimistes du ministère de l’agriculture ont dû revoir leur copie. Récemment, le secrétaire général de ce département a fait une sortie sur l’ORTM, qui a toujours une oreille attentive, pour «avouer» que plusieurs poches d’insécurité alimentaire (près de 200 communes) et d’incertitude (plus de 200 communes) pourraient se déclarer à travers le pays. Bien entendu, il ne s’agit là que de chiffres officiels, et chacun sait ce qu’ils valent même avancés au conditionnel.

En réalité, et pour parler sans fard ni mascara, selon plusieurs spécialistes, connaisseurs et acteurs du développement rural, 2012 s’annonce extrêmement difficile. Les moins pessimistes parlent d’une famine que même la zone office du Niger, avec ses récoltes prometteuses, ne pourra circonscrire. Mais ces autres alchimistes, ceux du gouvernement, ne semblent pas encore trop pressés de tirer sur la sonnette d’alarme, à l’instar de certains pays voisins. Ils ne veulent, du moins pour l’instant, placer le pays en état d’urgence alimentaire.

Ils ont sans doute raison : nous sommes en année préélectorale. Il faut entretenir l’illusion que l’office du Niger, qui se montre beaucoup à la télé, et les stocks de sécurité, que personne ne voit nulle part, seront suffisants pour combler le déficit céréalier. Tout en sachant que la catastrophe est irréversible.

Pour d’autres alchimistes, de la pensée biscornue, ceux-là, cela procède de simples calculs politiciens basés sur deux scénarios possibles.

Le premier va du postulat de la tenue, dans les délais, des prochaines élections générales. Déjà mal vues à cause d’une CENI monochrome «aux ordres» et d’un fichier électoral confectionné sur mesures et donc contesté d’avance, ces élections générales interviendront dans un contexte où la faim, la famine et le dénuement auront leur mot à dire. Ce n’est sans doute pas un hasard si, depuis quelques mois, l’argent se fait extrêmement rare. Le pouvoir d’achat est systématiquement et progressivement réduit, la pauvreté se développe au même rythme et dans les mêmes proportions, l’insécurité alimentaire grossit à l’horizon. Ceux qui détiennent à la fois les clés du grenier et les cordons de la bourse n’ont pour seul but que de placer le citoyen dans un état de total dénuement, le moment venu. Ce moment n’étant autre que la proximité des élections, période pendant laquelle les électeurs potentiels seront suffisamment «mûrs», vulnérables et exposés à la tentation. C’est seulement à ce moment que l’argent thésaurisé et l’alimentation ensilée feront leur réapparition pour appâter les nombreux nécessiteux, c’est-à-dire la quasi-totalité des populations. Les élections, alors, ne pourraient se faire que sur la corruption, l’achat des voix et les compromissions : ventre affamé n’a ni oreille pour entendre les candidats dont le programme de société pourrait effectivement sortir le pays de l’ornière et le placer sur le chemin, ni œil pour déceler l’hypocrisie et la convoitise sur le visage de nombreux candidats qui se bousculent au portillon en usant de la faim qui sévit.

Le deuxième scénario possible est le report des élections ou l’annulation des résultats du 29 avril (référendum et premier tour de la présidentielle) pour cause de contestations populaires volontairement suscitées et entretenue.

Nul ne conteste la sincérité du président Touré quant à sa volonté de rendre le tablier à l’issue d’un deuxième et dernier mandat constitutionnel. Mais le cafouillage et le silence au sein du parti PDES, créé avec l’autorisation expresse d’ATT pour le servir ; la réserve et le délitement au sein de l’Adema, incontestablement le parti le plus représentatif et structuré à même de remporter les prochaines élections ; l’habit d’observateur attentif dont s’est revêtu l’URD, qui a pour candidat investi l’homme politique que l’on crédite de la plus grande stature internationale ; le mutisme dubitatif et circonspect du RPM dont personne n’ignore les ambitions de son président déjà échaudé en 2007 ; l’égarement et l’indécision des observateurs et analystes de la scène nationale ; le mutisme d’Alpha Oumar Konaré qui a dirigé le pays pendant dix ans ; tout cela démontre le désarroi général. De fait, ce n’est pas (pas encore) la volonté d’ATT lui-même qui est en cause mais plutôt les agissements et agitations de certains de ses conseillers occultes. Ceux-ci s’activent si bien qu’ATT, malgré ses promesses au peuple malien et à la communauté internationale, serait de plus en plus attiré à écouter les chants des sirènes du Djoliba. Va-t-il plonger ?

Dans l’affirmative, il pourrait se prévaloir de prétextes et arguments de taille. Il peut se prévaloir d’un bilan largement positif dont la consolidation des acquis requiert qu’il achève les chantiers et parachève son œuvre. Le président qui n’a officiellement désigné aucun dauphin peut, à juste titre, se méfier des prétendants à sa succession. Les plus sérieux étant ceux qui ont le plus d’ancrage politique, de popularité et de fonds de campagne. Ils ont tous occupé les plus hautes fonctions dans ce pays sans résultats concrets.

Par ailleurs, le chef de l’Etat peut se saisir d’autres prétextes et arguments parfaitement valables aux yeux du militaire qu’il est : l’autre insécurité, celle qui menace le nord du pays. Dans lequel, quoi qu’on dise sur les promesses des ex-combattants en Libye, sur les actions «salvatrices» du PSPSDN et sur la pseudo-réinsertion bricolée par l’ADN, de sérieux nuages planent.

Mais   ATT ne doit pas oublier que l’Etat étant une continuité, il ne doit pas se prévaloir de ces prétextes et arguments, et se préparer à laisser la place à d’autres candidats, en donnant même un coup de main à ceux d’entre eux qui ont les mains propres et le sens de l’Etat.

Cheick TANDINA

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