Intime conviction :Mue à la présidence de la République

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A quelque quatorze mois de la fin de son bail à Koulouba, le président Amadou Toumani Touré semble déterminer à laisser la meilleure image possible dans l’histoire du Mali. Et pour ce faire, celui qui a brigué le suffrage universel en 2002 au nom de la satisfaction de la “Demande sociale” veut se départir de l’image de “sentimental” qui lui colle à la peau depuis près de dix ans.

En effet, le locataire de Koulouba est réputé comme quelqu’un qui ne peut pas faire du mal même à une mouche. Ce qui en dit long sur sa tolérance et sa bonté du cœur. On sait aussi que ce leader atypique est à cheval sur nos valeurs culturelles qui font qu’il n’est pas bon d’humilier même son plus farouche ennemi à plus forte raison un citoyen lambda quelle que soit la gravité de la faute commise.

On peut alors comprendre que les rapports d’audits, de contrôles et de vérification n’aient jamais eu la suite escomptée par la grande majorité des Maliens. Une frange importante qui se demandait finalement si ce n’était pas ATT lui-même qui cautionnait la corruption, la délinquance financière encouragées par une certaine impunité !

Visiblement, en bon stratège, ATT attendait la fin de son mandat, pour démentir tous en lançant (enfin ?) la grande purge. Ainsi, lors de la session ordinaire du conseil des ministres du mercredi 13 avril 2011, les membres du gouvernement ont été informés du “limogeage” de tous les Directeurs administratifs et financiers (DAF) ou Directeurs des Finances et du Matériel (DFM) des départements ministériels. Il les a également autorisés à procéder aux changements qu’ils souhaiteraient. La semaine qui a suivi, les “assiettes” des recettes du Trésor (impôts, douanes et domaines et cadastres) les marchés publics ont fait l’objet de nettoyage méticuleux. A qui le tour ce mercredi ?

Carte blanche aux ministres pour leur mission
En tout cas, par ces décisions, le président conforte ce qu’il avait dit à ses ministres quelques jours auparavant : une large marge de manœuvre pour mener à bien la mission confiée collectivement et individuellement aux membres du gouvernement. Pour de nombreux observateurs, en limogeant les “argentiers”, le Chef de l’Etat veut signifier aux ministres qu’ils ont “les mains libres pour choisir les femmes et les hommes avec lesquels ils veulent travailler”.

C’est aussi un signal fort de sa détermination à mettre fin à l’impunité qui couvre délinquance financière parce que toutes les DAF ou DFM seront auditées par les structures de contrôle. Comme le dit un confrère, les nouveaux patrons de ces directions seront nommés dans un autre état d’esprit. Ils doivent surtout êtres conscients qu’ils ont l’obligation de mieux gérer que leurs prédécesseurs, “en gérant dans la plus grande transparence les deniers publics et en respectant les procédures de passation des marchés publics”.

Et contrairement à beaucoup de confrères qui pensent que ce “réveil” contre les malversations est tardif, nous pensons que le président ATT a le temps nécessaire pour donner un coup de pied dans la fourmilière. A défaut de tuer le monstre, il peut l’affaiblir avant de passer le témoin à son successeur le 8 juin 2012. La junte militaire nigérienne en a donné la preuve. En quelques mois de transition, elle a presque sérieusement ébranlé le réseau mafieux qui suçait une grande partie des richesses du Niger.
Mieux, en quelques semaines, l’opération de lutte contre la délinquance financière lancée par la junte militaire au lendemain de sa prise de pouvoir avait permis de recouvrer 6,5 milliards FCFA de sommes indument perçues ou soustraites des caisses de l’Etat sous le régime de l’ex-président Mamadou Tandja. Le Lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré avait brillamment bouclé la transition démocratique malienne presque dans les mêmes délais. Il est vrai que comparaison n’est pas raison. Mais, ce sont là autant d’éléments d’analyse en sa faveur pour mener à termes le combat de la moralisation de la gouvernance qu’il vient d’engager en prenant tout le monde au dépourvu.

Une meilleure approche pour combattre le mal à la racine
Et nous pensons qu’ATT a choisi la meilleure approche en s’attaquant aux racines du mal (les hommes) et non à ses manifestations. Le limogeage manu militari du précédent gouvernement a été le premier signal fort de l’intention présidentielle. Sa sortie contre le trafic d’influence lors du premier conseil des ministres du 9 avril a donné le ton. Ceux qui avaient encore des doutes, ont vite compris que c’était un vrai combat désormais engagé avec le limogeage de tous les Directeurs administratifs et financiers (DAF) ou Directeurs des Finances et du Matériel (DFM) et de certains Directeurs généraux avec l’adoption de nouveaux critères de recrutement. Une mesure qui a vite semé la panique dans le milieu des affaires. Qui seront les prochaines victimes du nouveau “Zorro” fruit d’une prometteuse mue à la présidence de la République du Mali ?

Les morveux ne sont plus en tout cas tranquilles. Et ils ont raison parce que le président est conscient que l’image de son pays a pris un sacré coup par rapport à la gestion du terrorisme dans la bande sahélo-saharienne. Et sa détermination à assurer la bonne gouvernance par une lutte acharnée contre les malversations financières était de plus en plus compromise auprès des Partenaires Techniques et Financiers à cause du manque de résultats tangibles. On le sait pourtant sincère dans sa volonté de faire du Mali un modèle de gouvernance en Afrique subsaharienne.

Il n’y a pas de doute que la purge va se poursuivre et touchera des couches insoupçonnées. Mais, là où il y a des doutes, c’est la moralité dans les nominations.

L’idéal est que ceux qui seront désignés à la place des victimes de la purge soient irréprochables sur toute la ligne, surtout au niveau de la morale et de l’intégrité professionnelle. Il ne faut pas non plus que leur nomination souffre d’une quelconque partialité de la part du Chef. Alors qu’en la matière, ATT a commis une erreur monumentale en nommant son beau-frère à la Direction des impôts. Comme l’a écrit un confrère le lendemain de cette nomination “controversée”, sur le plan de la compétence et du mérite, le nouveau DG est le candidat idéal.

“Disons-le franchement : Tous les collaborateurs du nouvel élu attestent bien que M. Bah Ali Traoré aurait obtenu cette promotion il y a des lustres n’eut été le fait que son beau frère soit président de la République. En clair, ce n’est pas le choix de la personne qui fâche, mais plutôt le moment”, pouvait-on ainsi lire dans le quotidien privé, Le Combat. Oui, le moment de la confiance placée en lui qui pose problème parce qu’il annihile tout le mérite qu’il a pour cette promotion. On comprendra difficilement que le Président de la République veuille donner des leçons en chassant des cadres pour les remplacer par ses proches. Cela ne peut qu’accentuer le doute sur le bien fondé, la moralité et la finalité de sa compagne d’assainissement.

Des pièges à éviter pour conforter sa neutralité
Pour prouver sa sincérité et son impartialité, ATT aurait dû ne jamais céder à cette tentation de vouloir caser tous ceux à qui il doit afin qu’ils gouttent au “miel” avant la fin de son mandat. L’autre piège qu’il doit éviter, c’est de dégarnir financièrement un camp au profit de l’autre. Et c’est pourtant le sentiment que beaucoup d’entre-nous éprouve. Nous avons l’amère impression que la purge ne touche que les proches de Modibo Sidibé, probable candidat à la présidentielle de 2012 et que d’aucuns voyaient comme son dauphin. Ce constat s’est imposé à la publication de la composition du nouveau gouvernement où les proches de l’ancien Premier ministre étaient les plus nombreux parmi les absents. Et l’assainissement de l’assiette des recettes touche aussi ceux qui étaient considérés, à tort ou à raison, comme ses protégés. Et à ce rythme, il est évident que d’autres vont payer le prix fort de la “disgrâce” (???) de leur mentor. Et selon certaines indiscrétions, c’étaient l’une des conditions de certains partis politiques pour siéger dans le nouveau gouvernement. La raison et la sagesse voudraient que, pour sa dernière ligne droite, Amadou Toumani Touré fasse confiance à des cadres intègres et compétents qui ne sont pas trop marqués politiquement comme le Premier ministre Mme Cissé Mariam Kaïdama Sidibé. Cela a surtout le mérite de donner plus de crédibilité à sa volonté d’impartialité par rapport aux reformes annoncées et surtout à l’organisation des élections de 2012.

Des erreurs pouvant entacher cette neutralité ont été déjà commises. Mais, le président qui vient de se donner un tempérament de “Zorro” dans la splendeur du Palais de Koulouba a tout le temps de rectifier le tir pour qu’aucun cadre, aucune formation politique et aucune entité géographique… ne se sente spécifiquement visé pour favoriser l’autre sur des raisons subjectives !

La tâche va être ardue parce qu’il s’agira d’assainir les finances publiques sans bafouer l’honneur et la dignité des gens. Un exercice presqu’assimilable à la volonté de faire une omelette sans casser des œufs. Le risque alors, c’est qu’on peut se retrouver sans œufs et sans omelette, donc perdant sur toute la ligne. Mais, à ce niveau de son second et dernier mandat, ATT n’a rien à perdre. Au contraire, son image a tout à gagner dans la prise de mesures courageuses qui vont dans le sens de l’intérêt de la nation. C’est le moment idéal pour faire preuve de plus fermeté dans la gestion des affaires publiques et laisser une forte impression aux Maliens comme à la fin de la transition démocratique en juin 1992.

Une troublante reconduction
Le président de la République est-il réellement déterminé à faire le ménage tant attendu et sans épargner aucune brebis galeuse ? Si cette volonté ne fait plus de doute, la façon d’agir suscite déjà des inquiétudes et des interrogations. Oui, on se demande si tout le monde sera traité à la même enseigne et si certains proches du Chef de l’Etat vont être touchés ou s’ils ne seront pas privilégiés pour occuper les places laissées vacantes ? Si la nomination du beau-frère national comme Directeur Général des impôts conforte le doute par rapport à l’opération de purge déclenchée avec la démission du gouvernement de Modibo Sidibé, le 30 mars 2011, la reconduction du Ministre des Transports et de l’Equipement dans l’actuelle équipe de Mme Cissé Mariam Kaïdama Sidibé est assez troublante. Après le scandale baptisé par la presse nationale “Affaires Air Cocaïne”, le sens de la responsabilité aurait dû pousser ce dernier à présenter sa démission.

Et à défaut, le Président aurait dû le mettre à la touche à partir du moment où la Directrice Générale de l’Agence Nationale de l’Aviation Civile (ANAC) a été écoutée dans cette affaire avant d’être relâchée. Il s’agit là d’un service relevant du Département des Transports et de l’Equipement qui aura du mal à convaincre de son innocence dans ce scandale qui ne cesse de ternir l’image du Mali.

Et beaucoup de gens pensent aujourd’hui que si la Directrice de l’ANAC a été relâchée, ce n’est pas parce que son service est exempt de toute incrimination, mais par crainte qu’elle ne se mette à table pour faire des révélations pouvant conduire au cerveau de cette affaire, l’un des barons du régime. En tout cas, ATT aurait rassuré la majorité des Maliens de frapper fort et sans distinction aucune s’il avait écarté son Ministre des Transports et de l’Equipement qui avait déjà fait couler beaucoup d’encre et de salive pour avoir consommé 11 millions de F Cfa de thé et de café en une matinée alors qu’il était le très puissant Ministre des Mines, de l’Energie et de l’Eau. Aujourd’hui, on se demande qu’est-ce qui lie ces deux hommes ? Par quoi le recordman du gouvernement tient-il son président ? Ce qui est sûr, un adage dit que pour faire son champ si on commence à couper les pieds de karité, tous les autres arbres auront peur ! Un adage qui doit inspirer le président ATT dans son opération de purge et d’assainissement des finances publiques !
K. Toé

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