Cinquante ans après l’indépendance, la manière de faire la politique n’a pas progressé au Mali. On peut même défier les " apprentis sorciers " (supposés politiciens) en disant que la politique est de plus en plus au rabais parce qu’elle ne parvient plus à combler les attentes d’un électorat de plus en plus exigeant et moins naïf. Cela parce que nos partis politiques brillent par leur manque d’idéologie, charpente de tout désir politique. Nos chapèles font toujours de la politique politicienne. L’ambition personnelle, les intérêts de groupe… prennent donc le pas sur l’aspiration politique, sur l’idéologie qui tend à un changement profond, à défaut radical, de la société.
La politique est l’ensemble des pratiques, faits, institutions et déterminations du gouvernement d’un État ou d’une société. Ainsi, selon Danic et Ian Parenteau de l’université du Québec (Canada), l’idéologie politique est un concentré de principes d’organisation, de régulation, de représentation, de décision des individus d’une société afin de rendre celle-ci unitaire, solidaire et de permettre la réalisation des objectifs qu’elle s’est fixée.
Il est en tous cas incontestable que les idéologies politiques sont au cœur du politique. " Véritables forces autour desquelles se configure tout jeu politique, elles représentent également des outils conceptuels pour penser la sphère politique. Elles remplissent donc, comme nul autre schème théorique, les fonctions essentielles de donner un sens à la réalité politique et de servir de guide à l’action politique ".
De l’analyse de Karl Marx, " l’idéologie est une doctrine politique qui propose un système unique et cohérent de représentation et d’explication du monde qui est accepté sans réflexion critique ". Anarchie, conservatismes, communisme, fascisme, féminisme, libéralisme, marxisme, nationalisme, nazisme, radicalisme, socialisme, ultralibéralisme, écologie… sont quelques exemples d’idéologies politiques ! Où se situent les partis politiques dans cette marre d’idéologie ? Il est vrai que l’Adema et le Rpm revendiquent leur appartenance à la grande famille de l’internationale socialiste. Mais, dans la pratique, leurs actions se conforment-elles réellement au socialisme ?
Il est indéniable que pendant les dix ans de pouvoir, l’Adema a beaucoup brillé par la mise en œuvre d’une politique libérale avec les privatisations comme toile de fonds. Une politique qui a aussi produit ses meilleurs effets avec Ibrahim Boubacar Kéïta à la Primature (4 février 1994-14 février 2000). Président de l’Assemblée nationale du Mali, IBK (comme le surnomment affectueusement ses fans) a aussi été vice-président de l’Internationale socialiste en 1999.
N’empêche que son action comme homme d’Etat s’apparente beaucoup plus à un socio-libéralisme adapté aux contraintes des bailleurs de fonds de son pays. Tout comme son mentor politique, Alpha Oumar Konaré, les convictions politiques de l’homme le rapprochent beaucoup plus de l’idéal de société préconisée par le premier président du Mali indépendant, le regretté Modibo Kéïta.
Mais, d’une façon générale, le contexte (insurrection populaire) de l’avènement de la démocratie imposait le multipartisme intégral ayant suscité une prolifération de partis politiques au Mali. Des organisations cantonnées dans la politique politicienne sans aucune idéologie, sans conviction autre que c’est la courte échelle pour assumer des responsabilités afin de réaliser ses ambitions personnelles, préserve sa position socioprofessionnelle… mieux défendre ses intérêts. C’est donc la politique du " ventre " et des " intérêts particuliers ". Si idéologie elles en ont, elle n’est alors qu’une philosophie qui spécule sur des idées creuses, vagues, coupées du réel et qui prône un idéal irréalisable.
Des critiques stériles
A l’approche des élections, comme nous le vivons aujourd’hui, ce sont donc des basses manœuvres qui l’emportent sur le vrai débat idéologique dont doit se nourrir toute vraie démocratie. Hélas, dans le contexte malien voire africain, le débat électoral est très pauvre parce qu’on se contente le plus souvent de s’attaquer au bilant du sortant sans proposer rien de plus concret.
Si on analyse les projets de sociétés des candidats à la présidentielle, depuis l’avènement de la démocratie en 1991, on ne voit pas de différence fondamentale. C’est à se demander sur les états-majors ne se plagient pas. Ce sont les mêmes " volontés " exprimées autrement. Ici, il n’y a vraiment ni Gauche, ni Centre, ni Droite ! On dénonce et on établi des stratégies sur la base des mêmes approches de développement critiquées car ayant déjà montré leurs limites. Que dalle !
Si le populisme l’emporte souvent, on ne peut parler réellement ni de nationalisme ni de panafricaniste. Et le socialisme n’est que pire utopie dans un pays dont la politique économique et sociale est imposée par des bailleurs de fonds qui ne croient qu’à l’économie de marché. Sur le plan idéologique, la politique africaine est sans doute en recule par rapport aux années d’indépendance avec des grands leaders comme Modibo Kéïta, Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba…
Pour ce qui est du cas du Mali, visiblement le coup d’Etat de 1968 marque la fin de l’idéologie politique. Le centralisme politique (parti unique) et le multipartisme ne sont pas parvenus à mettre en exergue un réel modèle de développement axé sur une idéologie claire. Même s’il est vrai qu’avec Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré la volonté de hisser le pays sur la voie de l’essor socioéconomique était incontestable. N’empêche que celle-ci ne répondait à aucun positionnement politique classique.
Avec la première République, par exemple, la politique intérieure des dirigeants maliens était notamment sans ambiguïté. Elle visait, entre autres objectifs, l’édification d’un socialisme adapté aux réalités maliennes, la décolonisation des mentalités et l’affirmation de la personnalité africaine et la consolidation de l’indépendance nationale dans tous les domaines.
Même sans idéologie, les dirigeants de l’époque incarnaient mieux le rêve de leur peuple. Ils avaient assez de charisme pour être des références pour les populations. C’est le cas de Modibo Kéïta unanimement reconnu (par adversaires et partisans) comme un " grand homme d’Etat " incarnant la volonté d’indépendance et de développement des Maliens.
" Modibo Kéïta avait le souci de l’homme, de l’homme responsable, du militant engagé… Je considère que le président Modibo Kéïta, homme intègre, dévoué, tolérant, militant valeureux et désintéressé représente toujours l’exemple des possibilités de lutte, de combat pour des changements réels dans des pays comme le Mali ", écrivait Jeune Afrique commentant le coup d’Etat militaire du 19 novembre 1968.
Modibo Kéïta, une référence politique objective
Tous les témoignages à reconnaître que le premier président du Mali avait une conviction idéologique qui a fait de lui un exceptionnel leader panafricaniste. " Modibo n’était autoritaire qu’en apparence. Il était autoritaire quand il s’agissait d’appliquer et de faire respecter les règles, mais il aimait écouter les autres et, éventuellement, changer de position ", se souvient Pr. Bakary Kamian qui l’a côtoyé en 1962 en tant que proviseur du lycée Askia Mohamed. " Dans les réunions, malgré sa forte personnalité, qui pourrait lui permettre d’imposer aisément son opinion, Modibo Kéïta s’efforce de susciter la discussion afin que tous les avis soient exposés,… ", reconnait un autre témoin de l’époque, Idrissa Diarra.
"Ce que je retins, tout d’abord, de Modibo Kéïta, c’était sa grande droiture, qui prenait ses racines dans sa foi profonde. C’était ce que j’appelle un vrai musulman, c’est-à-dire un homme qui suivait, dans leur esprit, les préceptes du Coran. Il ne croyait pas, il ne croit pas aux gris-gris et aux maraboutages, comme trop de musulmans et de chrétiens. Le deuxième trait du caractère de Modibo Kéïta est, précisément, son besoin de rationalité et son esprit de méthode…Pour revenir au Parti de la Fédération Africaine, je suis sûr que l’action de Modibo Kéïta, comme Secrétaire Général de ce Parti, n’a pas manqué de nous influencer, nous tous Sénégalais et Maliens. Car, encore une fois, cette action visait toujours à l’efficacité. Le troisième trait que je vais retenir de Modibo Kéïta est son humanité. Comme chacun le sait en Afrique, la voie malienne est une voie dure, sévère. Mais ce n’est pas une voie sanglante. Si Modibo Kéïta est tel, c’est, bien sûr, affaire de tempérament. C’est aussi, j’en suis convaincu, esprit d’objectivité, d’équité. Au temps du P.F.A., il ne manquait jamais de demander des sanctions pour les erreurs ou les fautes commises ; mais il évitait tout ce qui était excès, tout ce qui pouvait paraître comme ressentiment ou vengeance. Cela est très important. L’esprit d’équité, je dirais plus : l’esprit d’humanité, est un des traits fondamentaux de l’Africanité, singulièrement de la Négritude ", pensait de lui M. Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal à l’époque.
" Nous savons gré à Modibo Kéïta pour sa rigueur morale, pour son intégrité, pour son amour ardent du travail, du travail bien fait, pour son sens élevé du devoir. Personne ne doit oublier sa contribution exceptionnelle à l’œuvre d’édification d’une économie nationale indépendante, sa passion du Mali et de l’Afrique, son combat inlassable pour l’unité africaine, son engagement constant auprès des peuples du Tiers Monde à travers le Mouvement des non-alignés, sa lutte pour la paix dans le monde. Il a été de tous les combats justes, de tous les combats des opprimés ", témoignait ainsi Alpha Oumar Konaré, ancien président de la Commission de l’Union africaine (U.A.), ancien chef d’État, dans un discours officiel.
Modibo Kéïta, leader charismatique, écouté sur la scène internationale, a acquis, grâce à son action et à ses idées, prestige et respect. Il avait le verbe haut, le nationalisme à fleur de peau, de la dignité et de la distinction dans le comportement, le non-alignement comme principe et le panafricanisme dans la tête.
Sans conviction idéologique, nos leaders politiques actuelles n’incarnent pas leurs propres rêves à plus forte raison ceux d’un peuple dont les attentes sont de plus en plus nombreuses, mais précises. Ils incarnent leurs illusions et la désillusion du peuple. Parmi les potentiels candidats à la présidentiel, il y au maximum trois leaders qui peuvent réellement incarner le rêve de changement que nous nourrissons présentement à la veille des élections générales de 2012 ! Vous savez sans doute nous faisons allusion !
Kader Toé