Intime conviction : La nécessaire révision du modèle démocratique

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 processus ? Quels sont les ajustements nécessaires pour répartir sur une base saine et éviter au pays le scénario catastrophe qu’il est en train de vivre présentement ?

Avant d’être un concept applicable partout, la démocratie doit d’abord être une réalité. Elle doit partir du peuple, le concerner dans son quotidien, dans la manière dont il gère et dirige sa vie. A ce titre, la démocratie n’est pas une théorie abstraite, mais le produit d’un contexte et d’une aspiration voire d’une conviction.

Ainsi, il n’y saurait avoir de forme abstraite de ce système considéré comme le meilleur des pires formes de gouvernance. De la monarchie constitutionnelle à la représentation populaire directe, la démocratie doit être avant tout conforme aux aspirations, à l’histoire et à la culture du peuple au sein duquel elle prétend s’enraciner, sous peine de courir à l’échec lamentable que comme nous venons de le vivre au Mali.

Dans les années 90, en faveur du vent de l’Est, on a imposé aux Africains le modèle occidental. Même si, en termes de libertés, de représentativité et de prospérité, les Africains ne se distinguent pas des autres peuples, nous avons notre propre histoire, nos traditions et surtout notre organisation sociale. Pour ce qui est du cas du Mali par exemple, il est vrai qu’il y a une part de manipulation des masses dans les révoltes de 1991. Mais, il faut reconnaître que la démocratie était aussi une aspiration populaire. Elle a été une longue et douloureuse quête de l’indépendance au 26 mars 1991. La révolte populaire de janvier et mars 91 se comprend aisément après 23 ans de dictature, d’oppression et de privation de toutes sortes.

Malheureusement, nous nous sommes rués par la brèche ouverte par cette soudaine liberté sans réellement savoir ce que nous voulions et vers où nous allions. La Conférence nationale, n’a pas échappé à ce vent de liberté, à cette euphorie. Ainsi, les participants ont mis la charrue avant les bœufs dans bien de domaines.

La question essentielle était de savoir avant tout ce qui convenait aux Maliens comme modèle démocratique. A notre avis, le choix du multipartisme intégral n’a pas été judicieux. Il fallait constitutionnellement verrouiller le nombre des chapelles politiques le temps d’expérimenter cette nouvelle liberté chèrement acquise. Ce qui aurait permis l’existence de partis bien structurés autour d’un idéal démocratique très solide. Dans une démocratie, quand les partis sont défaillants, rien ne marche comme il se doit…

La charpente s’est effondrée

C’est la faillite des partis politiques qui a conduit le Mali à la crise actuelle. Et cela d’autant plus qu’ils constituent les charpentes d’une démocratie. Le chaos actuel est le fruit d’une démocratie de façade, encensée comme une référence africaine par l’Occident et ses Ong ainsi que ses médias. Et comme le disait récemment le président du Rwanda, Paul Kagamé dans une interview à Jeune Afrique (N° 2677, du 29 avril au 5 mai 2012), «plus on ne bâtie une maison en oubliant sa fondation, on ne construit pas une démocratie sur du sable».

Le modèle démocratique qui vient de s’écrouler au Mali a été malheureusement construit sur du sable, sur du bluff et l’illusion politiques, sur la démagogie et l’injustice sociale… Un peuple n’a besoin d’une dictature  qui sème la peur, la terreur… pour se maintenir. Il ne peut pas non plus s’épanouir dans une démocratie laxiste sans aucune autorité réelle sur les leviers du pouvoir. Une démocratie où il n’a existé aucune vraie alternance, le pouvoir se transmettant selon des deals à l’encontre des intérêts réels de la nation.

Et cela, comme le dénonçait récemment une amie artiste, parce que «nous avons des politiques incultes, cupides et donc limités. Ce qui les rend susceptibles en plus. C’est triste pour le Mali». Malheureusement, nous les avons laissé «borner le Mali au niveau de leurs limites à eux» ! D’où la décadence actuelle avec un coup d’arrêt prévisible.

«Le coup d’Etat militaire au Mali, était évidemment funeste et indésirable. Mais, il met en évidence les menaces mortelles qui planent sur la démocratie en Afrique», analyse Charles Onunaiju, un journaliste nigérian, dans une chronique publiée dans CHINAFRIQUE (Mai 2012). Pour lui, les élections au Mali comme en Afrique sont généralement devenues une «énigme, un rituel creux, un simple rite de passage».

«Le libre choix démocratique est, en Afrique, largement tributaire des activités maladroites des élites pour parvenir au résultat escompté qui, dans la plupart des cas, renforce le creuset du  déficit social», poursuit-il. Mais, ce n’est un secret pour personne, que ces errements de la démocratie en Afrique sont en partie liés au fait que le modèle libéral occidental exporté sur le continent ne correspond pas à notre culture politique, à nos valeurs morales et à nos caractéristiques socioculturelles

C’est le déficit social inhérent aux modèles démocratiques de l’Occident qui est à la base de l’essentiel de nos crises actuelles. Aujourd’hui, il nous faut un modèle démocratique qui tient compte des aspirations des peuples, dans le sens le plus noble et le plus large du terme. Une démocratie socialiste ou une social-démocratie.

 

Faire le deuil de la politique politicienne

Un choix que le Mali se doit de faire aujourd’hui pour rapidement remonter la pente et surtout éviter tout autre retour à la case-départ dans une ou deux décennies. Ce qui nécessite que nous fassions la politique autrement, que nous refusons de ne plus perdre le temps dans des futilités et que nous cultivions l’excellence et la justice dans tous les actes que nous allons désormais poser.

«Il y a un temps pour la politique politicienne, un temps pour les ambitions personnelles, pour les intérêts individuels et corporatistes, un temps pour les querelles partisanes. Mais aujourd’hui, c’est le temps de la mobilisation de toutes et de tous pour sauver notre Pays en danger. C’est le temps du dépassement et de l’oubli de soi» ! Voila l’un des passages qui nous ont le plus marqué dans le message adressé à la Nation par le président de la Transition, Pr. Dioncounda Traoré, le 29 juillet 2012.

Comme lui, nous pensons qu’il est plus que nécessaire aujourd’hui «d’observer une trêve dans ces guéguerres improbables» afin de nous focaliser sur l’essentiel : rebâtir notre modèle démocratique et reconstituer ce Mali légué par les grandes figures de notre histoire et par les pères de l’indépendance. La démagogie a causé suffisamment de torts à ce pays. Il est donc temps, sincèrement, de faire «du Mali notre seule priorité». Ce qui nous éviterait de plus de temps «dans des polémiques stériles» alors que  «nous sommes engagés dans une course contre la montre et chaque seconde qui passe complique davantage les solutions requises».

Et comme l’a si bien dit le président Dioncounda Traoré, «chacun et chacune d’entre nous a une dette envers le Mali. Il est grand temps pour chacun et chacune d’entre nous de payer une petite part de cette dette, de payer ne serait-ce qu’une toute petite part» !

Nous sommes d’accord avec lui que les Maliens montrent la voie d’une issue heureuse à cette crise pour que les autres nous accompagnent. La solution ne viendra de nulle part ! Il faut compter sur nous-mêmes, renoncer à nous entre-tuer pour des parcelles de pouvoir à Bamako.

Il est urgent de sacrifier nos égos démesurés pour nous engager dans la difficile tâche de reconstruction démocratique. Et cela, tout en sachant que les Maliens n’ont plus besoin d’un régime qui leur fera peur comme celui du Général Moussa Traoré. Ils ne veulent pas non plus de cette démocratie anarchiste sans aucune autorité et qui sacrifie des valeurs comme la justice sociale, la culture de l’excellence… comme nous l’avons vécu sous le défunt régime. Mais,  les Maliens veulent un pouvoir dans lequel ils se reconnaissent et qu’ils respectent sans avoir besoin d’être terrorisés pour ce faire.

«C’est étrange, mais j’ai comme le sentiment que c’est maintenant que nous avons la possibilité de réellement construire le pays économiquement, mais idéologiquement également. Car là il ne s’agit pas de rafistolage, mais de réellement rebâtir à partir des ruines. Rebâtir une philosophie et toute une économie», nous disait récemment un aîné.

Comme le disait notre amie Rokia Traoré (artiste), on ne peut pas être tombé aussi bas sans que cela nous serve à nous enrichir et mieux avancer. Nous n’avons d’autres choix que nous donner la main et aller maintenant de l’avant ! C’est ce qu’espèrent, en tout cas, tous ceux qui se soucient réellement de l’avenir de ce pays. Il faut donc que chacun sacrifie son égo et cultive l’excellence, la méritocratie et non la médiocratie.

Kader Toé

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