«Je me porte à merveille, j’ai parfois mauvaise mine, mais je suis en bonne santé», ainsi parlait Amadou Toumani Touré, devant un parterre de journalistes nationaux et étrangers, dimanche dernier pour sa traditionnelle conférence de presse marquant la célébration de l’anniversaire de son investiture. Cette «précision» faisait suite à certaines rumeurs sur son état de santé. Et pour en donner la preuve, le chef de l’Etat a mobilisé l’attention des uns et des autres pendant près de quatre heures d’horloge. On ne peut pas parler pendant tout ce temps et être un malade, surtout après avoir couru quatre kilomètres.
Néanmoins, on pourrait douter à juste titre de cette précision. En effet, parlant du fichier électoral tiré du Recensement Administratif à Caractère Electoral (RACE), ATT aurait affirmé que ce document a servi de base à l’organisation et à la tenue d’une vingtaine de scrutins de 2002 à nos jours (L’Indépendant, 13 juin). Il doit être malade de la calculette, ATT, car en 2002, il n’y a eu que quatre élections (deux tours pour la présidentielle et autant pour les législatives), une en 2005, trois en 2007, une en 2009. Donc, même pas la moitié (sauf si on y ajoutait les partielles) de ce qu’aurait avancé l’illustre chef d’Etat. Pour lui donner raison et prouver sa bonne santé, en tout cas intellectuelle, on pourrait se projeter dans l’avenir et compter les scrutins de 2012. Mais, cela y sera-t-il ? Pas sûr.
En effet, si, comme on le croit, le Gouvernement s’entête à utiliser ce fichier qui n’aurait pas pu servir une vingtaine de fois, c’est-à-dire le fameux RACE, l’on court tout droit au tour unique de facto, les états-majors de la plupart des candidats étant en train d’affûter leurs armes en vue de la grande contestation générale des résultats électoraux. On n’aurait même pas droit au tour unique, genre 1997, quand Alpha Oumar Konaré s’est fabriqué ou payé un challenger. Peut-être même qu’en 2012, on n’aura pas non plus droit aux élections législatives. Ce ne serait même pas un remake de 1997, quand la quasi-totalité des partis politiques ont boudé les élections pour se radicaliser dans une opposition inorganisée et brouillonne qui n’a pas pu contraindre l’Adema à respecter les textes. Non ! Cette fois, les politiciens sont prêts à tout. Y compris à plagier le grand voisin du Sud, la Côte d’Ivoire. Mais contrairement à ce pays, les Maliens n’ont pas l’habitude de prendre le pouvoir, par les armes ou par les urnes, pour le rendre en toute démocratie. Modibo Kéita ne l’a pas fait de 1960 à 1968. Il a été renversé. Moussa Traoré ne l’a pas fait de 1968 à 1991. Il a été renversé. ATT ne l’a pas fait de 1991 à 1992. Il a servi l’Adema.
Modibo a passé toute sa carrière avec moi, il m’a suivi partout avec beaucoup de loyauté. Nous nous sommes quittés, mais nos relations demeurent cordiales. Je vais donc l’aider à me succéder. Alpha Oumar Konaré ne l’a pas fait de 1992 à 2002. Il a passé un deal avec son ami général. ATT n’est pas sur le point de le faire. Il veut imposer un candidat RACE contesté d’avance.
Toujours selon les confrères, ATT aurait dit avoir intérêt à terminer son mandat en beauté. «Le 8 juin 2012, on installera le nouveau président. Je n’ai pas un candidat (mais cela ne veut pas dire que je ne serai pas candidat, NDLR), et je ne serais ni juge ni arbitre», selon le président. Il ne précise pas qu’il ne sera pas non plus bourreau. Donc…Mais, difficile quand même de croire qu’après dix ans de règne, ATT n’ait pas de dauphin. Serait-il son propre dauphin ? Ou bien, se dirait-il après moi, le déluge ? On sait qu’il aime son pays, qu’il est patriote, démocrate et sincère. Par conséquent, il ne léguera jamais le Mali à quelque aventurier, vacancier, pantouflard, pilleur, apatride, etc. Il ne laissera pas non plus s’installer l’inquisition, la fouine, la chasse aux sorcières, etc. Et puis, il a ouvert beaucoup de chantiers, il faut veiller à ce qu’ils soient achevés après lui. Il a ouvert beaucoup de dossiers devant la justice. Il faut veiller à ce qu’ils soient traités régulièrement, que les coupables soient punis, et les innocents blanchis. Il a mis trop de cadavres dans les placards. Il faut veiller à ce qu’ils y restent ad vitam aeternam.
Pour toutes ces raisons, le candidat idéal, quoique fasse ATT, et il en fait trop, quoiqu’en disent les observateurs, et ils parlent beaucoup, quoiqu’en pense le citoyen lambda, et il ne sait plus quoi penser, le pauvre, le candidat idéal donc reste Modibo Sidibé. ATT ne dit-il pas que son ancien Premier Ministre «a passé toute sa carrière avec lui et l’a suivi partout avec beaucoup de loyauté» ? «Nous nous sommes quittés mais nos relations demeurent cordiales», renchérit le chef de l’Etat. A ce rythme, c’est le peuple tout entier qui se retrouvera dindon de la farce. Bonne continuité, son général.
Cheick TANDINA