La gestion des imprimés de candidature à l’élection présidentielle n’est nullement du ressort de la Cour constitutionnelle, mais relève de la compétence du ministre chargé des élections. Voilà l’analyse du constitutionnaliste et politique F. Diakité, suite à un avis de la Cour constitutionnelle sur les imprimés de candidature.
La Cour constitutionnelle serait-elle en passe de succomber à la tentation de faire feu de tout bois en vue de donner le plus de crédibilité possible à la tenue du scrutin présidentiel du 29 avril 2012?
Serait-elle devenue à ce point fébrile pour se laisser entraîner dans la stratégie du gouvernement qui, depuis ces derniers temps, ne cesse de lancer des signaux pour rassurer les plus pessimistes sur sa détermination et son engagement à tenir le scrutin présidentiel à date échue?
Si ce n’est peut-être pas encore le cas, son communiqué impromptu et alambiqué publié dans l’Essor du jeudi 23 février 2012 laisse tout de même perplexe. Moins par le rappel dans ce communiqué des articles 146, 147 et 148 de la loi électorale relatifs aux formalités de candidature à l’élection présidentielle que par l’interprétation qu’elle semble en tirer pour son propre profit, au dépens du Ministère en chargé de l’organisation matérielle des élections.
Dans le dit communiqué, il est écrit : «En application des dispositions de l’article 33 de la Constitution et de l’article 146 de la loi n°06-044 du 4 septembre 2006 modifiée portant loi électorale, la Cour constitutionnelle a l’honneur de porter à la connaissance des citoyens que les imprimés de déclaration de candidature à l’élection du Président sont disponibles au niveau du Secrétaire général…». L’économie de ce passage induit forcement l’idée que les textes évoqués forment l’assise juridique de la compétence de la Cour constitutionnelle en matière de gestion des imprimés de déclaration de candidature à l’élection du Président de la République. Or il se trouve que cette interprétation, ne peut véritablement prospérer ni de par les textes évoqués, encore moins de par la pratique si l’on se réfère aux élections présidentielles passées où c’est le Ministère chargé de l’Administration territoriale qui a toujours géré les imprimés de déclaration de candidature. S’agissant des textes de référence visés, voici in extenso ce qui figure à l’article 33 de la Constitution : « La loi détermine la procédure, les conditions d’éligibilité et de présentation des candidatures aux élections présidentielles, du déroulement du scrutin, du dépouillement et de la proclamation des résultats. Elle prévoit toutes les dispositions requises pour que les élections soient libres et régulières.
Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci n’est pas obtenue au premier tour de scrutin, il est procédé à un second tour, le deuxième dimanche suivant. Ce second tour est ouvert seulement aux deux candidats ayant réuni le plus grand nombre de suffrages. Si l’un des deux candidats se désiste, le scrutin reste ouvert au candidat venant après dans l’ordre des suffrages exprimés. Si dans les sept jours précédant la date limite de dépôt des présentations de candidature une des personnes, ayant moins de trente jours avant cette date, annoncée publiquement sa décision d’être candidate, décède ou se trouve empêchée, la Cour Constitutionnelle peut décider du report de l’élection. Si avant le premier tour, un des candidats décède ou se trouve empêché, la Cour Constitutionnelle prononce le report de l’élection. En cas de décès ou d’empêchement de l’un des deux candidats les plus favorisés au premier tour avant les retraits éventuels ou de l’un des deux candidats restés en présence à la suite de ces retraits, la Cour Constitutionnelle décidera de la reprise de l’ensemble des opérations électorales. La convocation des électeurs se fait par décret pris en Conseil des Ministres. La Cour Constitutionnelle contrôle la régularité de ces opérations, statue sur les réclamations, proclame les résultats du scrutin ».
Que dit l’article 146 de la loi électorale
Sans qu’une exégèse de cet article ne soit même nécessaire, on voit clairement qu’il ne peut aucunement servir de fondement juridique à une quelconque compétence de la Cour constitutionnelle dans la gestion des imprimés de candidature à la présidentielle. Quid de l’article 146 de la loi électorale sur lequel s’appuie également la Cour constitutionnelle? Il ne paraît guère davantage plus opérationnel, puisqu’il ne dit pas plus que ceci : « La déclaration des candidatures est faite à titre personnel à partir de la publication du décret convoquant les électeurs au plus tard le trentième jour précédant le scrutin et adressée au président de la Cour constitutionnelle qui en délivre récépissé. Elle est faite en double exemplaire revêtu de la signature du candidat intéressé et portant attestation sur l’honneur qu’il remplit les conditions d’éligibilité requises.
Elle est accompagnée des pièces suivantes :
• une photo d’identité ;
• un certificat de nationalité ;
• un extrait de naissance ou de jugement supplétif en tenant lieu ;
• un bulletin n 3 du casier judiciaire datant de moins de trois mois».
L’article 146 atteste bien que l’intervention de la Cour constitutionnelle dans la procédure des déclarations de candidatures à la présidentielle a lieu non pas en amont comme le suggère le fameux communiqué, mais plutôt en aval, c’est-à-dire à la fin lors du dépôt des différentes pièces constitutives dont l’imprimé renseigné de la déclaration de candidature «adressé au président de la Cour constitutionnelle qui en délivre récépissé ».
Les articles 33 de la Constitution et 146 de la loi électorale irrégulièrement cités pour les besoins de la cause, ne doivent pas servir de cheval de Troie à une incursion non souhaitable de la Cour constitutionnelle dans les opérations matérielles d’organisation des élections. Ni le constituant, ni le législateur n’ont voulu de cette effraction qui, si elle se consommait, ferait de la Cour constitutionnelle, une sorte de monstre au double visage hideux de juge et partie à la fois dans le processus électoral. En tant qu’instance juridictionnelle, elle n’a d’ailleurs pas intérêt à s’aventurer au-delà de sa sphère d’organe de contrôle de la régularité des élections.
C’est pourquoi on peut bien lire à l’article 67 de la loi électorale que «le modèle de déclaration sera déterminé par décret pris en Conseil des Ministres après avis de la Cour Constitutionnelle en ce qui concerne les élections présidentielles et législatives et avis de la Cour Suprême en ce qui concerne l’élection des conseillers nationaux et des conseillers communaux ».
C’est en application de cette disposition que ce décret est initié et présenté au Conseil des Ministres par le Ministre chargé des Elections, qui en assure également l’application, à savoir l’édition et la mise à disposition des candidats présidentiels des imprimés du modèle de déclaration.
Là également, la Cour constitutionnelle n’intervient qu’en aval de ce processus à travers l’avis qu’elle donne sur le projet de décret portant modèle de déclaration de candidature.
Dans la même veine, le législateur n’a pas non plus jugé opportun d’impliquer la Cour constitutionnelle dans les opérations matérielles du système de parrainage entièrement gérées par le Ministre chargé des Elections, notamment à travers des imprimés dont la Cour n’a connaissance que lors du dépôt auprès d’elle des dossiers de candidatures. La gestion des imprimés de candidature par la Cour constitutionnelle manque de base légale. La sagesse commanderait de sa part, à surseoir à cet empiètement sur les compétences du Ministère chargé des Elections. Il paraît que les juges constitutionnels sont des «sages»! C’est rassurant.
Dr Fangatigui T. DIAKITE
Constitutionnaliste et politologue