Le fait était assez insolite pour ne pas attirer l’attention. Lorsqu’Abdoulaye Idrissa Maïga quitte les bureaux du président IBK à qui il venait de remettre sa démission, c’est un communiqué signé du Secrétaire général de la Présidence de l’époque, Soumeylou Boubèye Maïga, qui l’annonce aux médias. Cette “corvée” convenait bien mieux à la direction de la communication de la Présidence à la fois pour le respect des usages, mais surtout parce que le signataire de la missive n’était autre que celui qui allait prendre la succession du chef de gouvernement démissionnaire.
L’empressement à faire savoir le départ de AIM était sans doute proportionnel à la hâte de SBM de s’installer dans le fauteuil. Il avait désiré ardemment cette ascension, rêvé follement de cette position que l’élégance protocolaire avait, pour lui, un côté superfétatoire. Son prédécesseur lui manifestera sa mauvaise humeur à la passation de charges qui restera une des plus glaciales entre deux Premiers ministres.
A l’heure du bilan, quinze mois après, le 5ème premier ministre de IBK, s’il n’a qu’un mérite, ça serait d’avoir sauvé la mise à son patron en évitant au pays un vide constitutionnel par l’organisation d’une élection présidentielle fort peu certaine quelques mois plus tôt. Cerise sur le gâteau, il réussit la prouesse de faire réélire un président sans bilan et au sommet de son impopularité. Il n’y a pas beaucoup de mystères sur les graves irrégularités qui ont conduit à ce résultat contre l’évidence, mais l’épisode aura montré jusqu’où SBM pouvait aller dans l’utilisation de l’appareil d’Etat pour arriver à ses fins.
Plus surprenante encore sera la découverte de la piètre estime dans laquelle il tient la classe politique et d’autres acteurs majeurs de la vie publique dès lors qu’ils exprimaient un désaccord avec ses choix ou s’opposaient à sa personne. S’il couvait cette tentation au mépris, le contexte de son exercice a sans doute aggravé ce manque d’humilité. Comment se sentir quand on vous livre l’Etat clés en main parce que le président de la République rechigne à l’effort pour occuper toute sa place? Comment se laisser gagner par la modestie quand le même président doit à son premier ministre Tout et demi à la fois pour sa réélection et pour lancer son nouveau mandat sous de meilleurs auspices ?
En roue libre, SBM a déroulé son agenda gouvernemental en faisant de la stabilisation du Centre son axe d’effort. Au final, c’est son échec le plus patent! La montée en puissance de l’armée n’a pas résisté à l’épreuve de l’assaut djihadiste à Dioura qui a secoué jusqu’aux fondements de la hiérarchie militaire.
En revanche les massacres de populations civiles ont continué de plus belle avec des bilans jamais atteints à Nantaga, Koulongo, Djenné, avec le point d’orgue de l’horreur à Ogossagou, dont les 160 morts ont été la pire publicité pour un Etat incapable, lui-même dans le déni comme mode de communication.
La détérioration continue du Front social a fini de fragiliser la position de SBM aux yeux de tous, sauf de son patron qui, dans cette affaire, a fait preuve d’une cécité inouïe en politique, sauf à penser qu’il n’était plus libre de son soutien pour cause de redevabilité à son PM!
Assiégé par les problèmes dont la tension de trésorerie n’est pas des moindres, SBM, comme en judo, va offrir des points de prise à deux redoutables adversaires, l’imam Dicko et le chérif de Nioro M’Bouillé qui ont sonné le 10 février au Stade du 26 mars, la charge qui va se révéler décisive dans sa chute.
L’opinion découvrit à cette occasion le degré d’irritabilité de son premier ministre qui, dans un accès de colère rentrée, traita les deux religieux de personnages “hybrides”, changeant de position et de casquettes pour les combattre (IBK et lui) en fonction des contextes. Il oubliait que IBK fut candidat en 2018 parce que ces “hybrides” se sont engagés à ses côtés en 2013 sur la foi d’arguments parfois discutables et furent même obligés de reconnaître que leur choix n’a pas fait du bien au pays !
Ce refus de souffrir la contestation va lui faire commettre une faute politique grave d’atteinte à la liberté de manifestation à travers l’arrêté n°054 du 04 décembre 2018 signé par le Gouverneur de Bamako sous l’inspiration du premier ministre et interdisant marches et rassemblements sur presque tout le territoire du District. Pour une figure du mouvement démocratique, cette mesure restera une tâche au revers de son veston! Il n’y a aucun précédent d’une manifestation politique dans notre capitale ayant donné lieu à la violence, encore moins à un acte terroriste pour se donner le bon prétexte des nécessités de l’état d’urgence qui fonctionne partout sauf là où les populations ont besoin que cela les protège contre les attentats et la mort.
Au bout du compte, l’histoire retiendra du passage de SBM la volonté forcenée de l’homme à s’accrocher à un poste comme jamais un autre Premier ministre malgré l’évidence d’un isolement politique qui ne lui permettait plus de conduire aucun chantier d’envergure dans un pays où les défis sont partout. Son impopularité record restera aussi dans les annales politiques. Même si on peut se risquer à une explication: au cours des 15 mois passés, le président de la République s’est contenté, sans doute à sa satisfaction, de l’accessoire protocolaire ; pendant que le Premier ministre s’emparait de tous les leviers de l’Etat. Les résultats n’ayant pas été à la hauteur des attentes, le chef du gouvernement s’est pris la part d’impopularité de son patron et la sienne propre. Sa posture “jupitérienne” pour asséner piques et apostrophes à l’opposition, à la majorité, aux chefs religieux contestataires n’était pas non plus pour attirer la sympathie sur son action. Pour finir, le communiqué annonçant la démission de SBM était anonymement signé du Secrétaire général. Juste un détail !
Sambou Diarra