Dirigeants maliens , ces «dieux sur terre» :Les faces cachées de nos pouvoirs organisationnels

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Mon attention fut  attirée  sur les liens entre position de pouvoir (dirigeant), déification (majesté) de soi-même, fantasmes de toute-puissance et illusion d’immortalité et leurs subordonnés. Les employés qualifient leurs dirigeants de « pharaons », de « Dieux sur terre », de « vipères »…

Par ailleurs, les cas de conduite de ces dirigeants peuvent mettre la structure en danger ; en raison de l’obsession du pouvoir-contrôle dont les patrons font preuve. Mais on le sait : il n’y a pas de reconnaissance sans développement ;  un dirigeant doit savoir qu’il ne peut pas tout gérer et que des « subalternes », en particulier des employés, sont là pour  organiser et administrer. Or chez nous, tout ne se passe pas ainsi : à la participation fantasmatique de l’Être absolu du chef, sur quoi correspond une chosification nécessaire, un vide existentiel, un « non-être non-personne » du côté de l’employé.

Il ne faut pas les contredire, ils n’écoutent pas les préoccupations des employés et ne font presque attention à personne. En plus de se gratifier, ils se génèrent et entretiennent toute la panoplie des faits, gestes et signes concrets qui leur assurent une vie « réelle » au fantasme de toute-puissance, c’est-à-dire tout ce qui fait qu’on est celui qui «planifie, accommode, décide, contrôle ». 

Sinon, à quoi bon être chef?

 Le « chef » tolérera de moins en moins au fur et à mesure que se consolident ses fantasmes, que « son » organisation se comporte autrement que conformément à ses « visions » et à ses désirs. Il faudra alors éliminer tout ce qui peut contrarier ou décevoir et même, bientôt, tout ce qui ne glorifie pas son image royaliste. Tout cela serait, à la limite, amusant s’il ne s’agissait de mécanismes qui occasionnent souffrances, frustrations, dégâts considérables et destructions d’organisations entières. 

L’organisation, du point de vue de ce système, ne saurait que se profiler d’un danger et d’un dysfonctionnement qui accompagnent un processus tels que connivences, division, jugements et autocensures, ou qui recherchent systématique de boucs émissaires, etc.  Un patron croit qu’en faisant pression sur ses collaborateurs immédiats jusqu’à sa secrétaire, en passant par les chefs de divisions, fait de lui un chef compétent. Erreur! On imagine les conséquences fâcheuses qu’une telle conviction peut à la longue causer chez un être humain.

J’ai ainsi eu l’occasion d’écouter de braves gens qui souffrent de leurs conditions de travail,  et qui, chaque matin, en partant au boulot, ont un nœud au ventre de peur de ce que deviendra leur journée. Mais c’est hélas le prix que les Maliens, et surtout les Maliennes (sur lesquelles le harcèlement sexuel est perpétuel)  payent  pour obtenir une place dans la société. Comment le pouvoir peut-il ainsi pousser les personnes à des actes de désespoir, à l’inconscience aveuglante du mal qu’ils occasionnent?  Pourquoi alors tant d’échecs?  Pourquoi tant de mauvaise volonté et de lenteur au travail? Comment comprendre les facettes cachées de nos pouvoirs organisationnels actuels?

On en arrive à découvrir une curieuse et inquiétante dimension cachée de la nature du travail de ces responsables ; ils ont à concrétiser, dans le quotidien, une relation avec les autres quasi exclusivement basée sur le mode du donner-recevoir, harceler, contrôler, surveiller, ordonner, dominer.  Depuis  l’obsession du contrôle et de la domination jusqu’à l’autoritarisme, en passant par la possessivité compulsive, à peu près tout y est ! Tout cela serait, à la limite, banal s’il ne s’agit pas de mécanismes qui occasionnent souffrances, dégâts considérables et destructions de l’être humain.

L’insupportable ubiquité existentielle de ces dirigeants déchiquetés entre leur « mi-homme » et leur  « moi-dieu ».  Ce pouvoir absolu, lié au droit de propriété et s’exerçant selon des attributs et des modalités très proches de son archétype, serait alors soumis à des conditions, à des aléas et à des risques semblables, sinon identiques. Ce comportement du pouvoir absolu menace les employés d’autodestruction. Qui pourrait nier cette affirmation lorsqu’on songe à la démesure des pouvoirs des chefs de certaines de nos institutions?  Et même des « patrons-propriétaires » qui ont « tous les droits » sur la façon de conduire  « leur propriété », de quelque taille qu’elle soit, en mélangeant  l’angoisse existentielle qui sort de tout humain et du pouvoir quasi autoritaire ou autoritaire? 

Dans un pays comme le nôtre  où il n’y a aucun « contrepoids » qui fait face à ce genre d’attitude- procédure, un « contrepoids » qui pourrait  précisément limiter l’absolutisme et ainsi, par la modération qu’il lui impose, le rendre plus humain. A ce genre de pouvoir, il faut donc des dispositifs qui en permettent l’interpellation, l’exigence de rendre justice et de rendre compte. Ce qui aurait pour effet de l’obliger à se comporter selon un certain sens du bien commun, à réparer les torts (causés par lui ou par quelques autres de son organe).

Notre gouvernement doit veiller  à ce que les Dirigeants de notre Etat prennent garde à user de la puissance et des moyens que confère le pouvoir pour assurer un minimum de justice et d’équité, un minimum de redistribution des richesses et de sécurité des sujets. Ce qui implique donc un minimum de souci et de comportement « éthique » de la part des tenants du pouvoir, c’est-à-dire un comportement soucieux du bien-être de tous et des moyens pour y faire accéder jusqu’aux plus démunis. 

Nous ne pouvons pas dire qu’on est en démocratie tant que nous ne mesurons pas  le degré d’élévation et de stabilité de notre  civilisation  à la façon dont elle traite les plus faibles. Mais en même temps que l’obligation d’assurer justice et équité, nos dirigeants doivent se rendre accessibles (et aussi pour prévoir et faire appliquer des mécanismes qui le rendent susceptible d’interpellation, qui font parvenir jusqu’à lui, sans distorsions, les demandes, les critiques et les doléances du plus humble de ses « administrés »).

A chaque moment de notre existence, nous nous retrouvons avec cette angoisse de l’être non-être que nous sommes condamnés à inscrire dans notre mode de vie en tant qu’humains. Il y a déjà là de quoi provoquer l’inflation mégalomaniaque de bien des ego et c’est là  des principes fondateurs loin d’être négligeables pour la question qui nous préoccupe ; car le manager est en effet l’héritier.

Pourquoi  tant de difficultés à faire du dirigeant et de l’employé ces « partenaires »  tant désirés, engagés dans une aventure de plus en plus proclamée comme commune?  Mais voyons autour de nous : notre monde est plein d’hypocrites. Et si nous tournons notre regard vers nous-mêmes, nous nous trouverons hypocrites comme les autres, car nous donnons tous nos consentements  sur ce qui se passe. Convenons que nos pouvoirs se complaisent à établir des lois, mais ils se complaisent aussi à les violer.

Neïmatou  Naillé Coulibaly

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