Peu importe les moyens dont on dispose pour utiliser la parole : la voix, l”écrit, l”image…
L”important c”est de savoir faire l”économie de nos moyens et de notre temps pour ne pas faire pleurer la parole. La parole verse ses larmes de déception dans ces trois occasions : Lorsqu”on la prononce avant le moment convenable. Quand on l”utilise après le moment qu”il faut. Dès qu”on la prononce au bon moment avec un manque de clarté, d”intégrité et d”intrépidité. Lorsqu”on tient compte de ces trois conditions de communication, on parviendra, plus souvent, à bien user de la parole tout en évitant d”être usé par la parole.
En novembre 1989, j”ai été invité à une émission de la Radio télévision malienne pour parler de mes poèmes écrits en bambara et en français. Un de mes poèmes en bambara intitulé Dégoun (La peine) que j”ai présenté a causé d”énormes désagréments professionnels au journaliste culturel qui m”a interviewé. Depuis que je me suis réfugié au Canada en janvier 1990 jusqu”à maintenant, je n”ai jamais fait d”intervention médiatique sur ce poème. Seize ans plus tard, j”estime que le moment est opportun d”introduire cet article par un court extrait de ce poème Dégoun :
Fara fin ya tè mogoya dégoun fen yé
Nka farafin dégoun nen don bi !
N farin fin nen don fiew nka n hakili ma fin dè
N hakili nogo len de don iko den misen ni noun dji to…
La traduction en français de ces vers donne à peu près ceci :
La noirceur de la peau n”est pas pénible pour l”humanité
Pourtant le noir peine beaucoup aujourd”hui !
J”ai la peau toute noire mais mon esprit n”est pas du tout noir
Mon esprit est foncièrement sale comme un enfant morveux…
Devant ce tableau imagé, jetons ensemble un regard analytique sur l”aspect contextuel et conceptuel de cette saleté ruinant la démocratie africaine.
Ainsi, face à un enfant au visage laidement salit par la morve, doit-on en vouloir à qui ? Car cette image infantilise l”esprit africain dans le processus d”assainissement démocratique de son environnement socio-politique. Depuis 1960, considérée comme l”année des indépendances en Afrique, les dirigeants et peuples africains ne sont pas parvenus à instaurer une relation de confiance réciproque par le respect des règles élémentaires de la démocratie. Cette constante immaturité de l”esprit africain émane plus d”une dérive comportementale que d”une carence congénitale.
Dans la mesure où il y a une exception : La République du Bénin dont la bonne démarche démocratique reste remarquable par la transparence de ses consultations populaires du 04 avril 1991 au 06 avril 2006. En 15 ans, trois présidents se sont succédés élégamment à la tête du Bénin.
Dans les autres 52 pays africains, les champs des expressions électorales sont parsemés de falsification et de confiscation des résultats de scrutins par des dirigeants ayant un goût démesuré du pouvoir. Certains d”entre eux ont constitutionnalisé leur présidence à vie sans pour autant arrêter d”organiser des parodies d”élections. Pendant 30 ans (1960 à 1990), les dirigeants africains n”ont jamais accepté de partager, avec d”autres citoyens du pays, la moindre parcelle de leur pouvoir unique.
Ces africains musclés et leurs acolytes se soumettent au multipartisme tout en raccommodant en leur faveur les résultats des scrutins issus d”élections démocratiques iniques. Dans l”exercice de ce pouvoir unique et de cette démocratie inique, ces bras lourds oppriment systématiquement tous ceux qui, considérés comme des ennemies, ne pensent pas comme eux. En même temps, ils entourent de leurs gros bras des béni-oui-oui et y choisissent des laudateurs zélés comme successeurs pour bien assurer leurs biens mal acquis.
Farouches opposants
La dictature dans le monopartisme est facilement identifiable, combattable et destructible. Par contre lorsqu”on entretient l”autocratie dans l”environnement politique du multipartisme, elle se déguise en démocratie et devient plus destructrice et plus difficile à diagnostiquer à plus forte raison à anéantir. L”Afrique, dans sa quasi-totalité, s”est mise à pratiquer ce genre de démocratie musclée mais maquillée pour continuer à bénéficier, de façon éhontée, des aides des pays occidentaux.
Le Mali aussi évolue dans cette logique africaine de démocratie lourdement handicapée.
En mars 1991 beaucoup de maliens, croyant que le parti unique s”écroule avec la dictature et que le multipartisme s”instaure avec la démocratie, se sont donnés corps et âmes pour l”avènement de la pluralité politique. Afin d”endiguer toutes les formes d”usurpation du pouvoir, ces maliens sont parvenus à faire enchâsser dans leur constitution, par l”article 30, la limitation du mandat présidentiel à 5 ans renouvelables une seule fois. C”était sans douter de la subtilité évasive de leurs dirigeants maliens très malins.
Le premier président malien élu dans le cadre du multipartisme, Alpha Oumar Konaré, faisait face, à la fin de son premier quinquennat, à de farouches opposants politiques regroupés dans une alliance nommée COPPO, Collectif des partis politiques de l”opposition. En 1997, confronté à cette violente contestation du COPPO, le président Konaré, candidat à sa propre succession, a su esquiver les pressions des opposants en suscitant la candidature présidentielle, au moins, d”un chef de minuscule parti pour se tailler aisément un second mandat. Vers la fin de ce mandat houleux de Konaré, les responsables de son parti, Adema, commençaient à se dévorer et les opposants continuaient à le désavouer.
Turbulences politiques
Pour sanctionner ces turbulences politiques interne et externe, le président sortant, qui contrôlait encore les structures organisatrices d”élections, n”a pas manqué d”imagination pour recaler les candidats des partis politiques et encadrer le candidat indépendant, Amadou Toumani Touré, ATT lors de l”élection présidentielle de 2002. Konaré a ainsi hermétiquement fermé la porte du Palais de Koulouba au président du RPM, Ibrahim Boubacar Keita, IBK et au candidat officiel de son propre parti, Adema, Soumaila Cissé.
Étant aussi président de Espoir 2002 (groupe des partis de l”opposition), IBK a, sans doute eu une mention mémorable et honorable, malgré l”amertume de sa 3eme place imposée, en convainquant ses innombrables partisans révoltés de ne commettre aucun acte de violence. Mais, son appui public au candidat ATT était anodin du fait que l”élection de ce dernier au deuxième tour était définitivement programmée. Ces quelques indices ne trompaient pas.
Quand le président sortant, ayant dix années au pouvoir, demande aux membres de son parti Adema de ne pas considérer le candidat indépendant, ATT comme un adversaire tout en refusant d”adresser la moindre parole au candidat choisi par son parti, Soumaila Cissé, on n”a pas besoin d”être politologue pour comprendre le choix du plus fort. Prononcés pendant la campagne électorale de 2002, ces deux brefs extraits de discours de Soumaila Cissé en disent long : " Peut-on croire que je n”ai même pas eu droit au traditionnel " Bonne chance" (de) ceux-là mêmes qui devaient défendre bec et ongles ma candidature ? ", enfin il dénonce " A moins que le "deal" souvent murmuré existe et que le passage de témoin n”avait besoin que d”un habillage savant, comme chacun de vous le sentait depuis de longs mois ".
Devoir de patriotisme
Pendant la phase d”organisation de l”élection présidentielle du 29 avril 2007, Amadou Toumani Touré, ATT, candidat à sa propre succession, a mis en œuvre les moyens nécessaires au renouvellement de son loyer au palais de Koulouba. Cela est tout à fait normal. L”anormalité se situe dans la nature de ces moyens et la manière de les mettre en application. Je ne soulignerai ici qu”un seul cas dont l”importance peut déterminer le réel contexte du déroulement du scrutin. Il s”agit du processus de conception, de confection de distribution et d”utilisation du bulletin unique de vote.
Le bulletin de vote a été conçu et accepté par toutes les équipes des 08 candidats en lice pour permettre aux électeurs d”identifier facilement leur choix et à l”État de beaucoup diminuer ses dépenses électorales.
C”est au niveau de la confection de ce bulletin unique que commença à planer le gros doute de l”opposition sur la transparence de l”élection présidentielle. Car, c”est monsieur Jeamille Bittar, président du Mouvement des entreprises du Mali (Medem), de la Chambre du commerce et d”industrie du Mali (CCIM) et d”un groupement d”imprimeurs, qui a eu le contrat de confection desdits bulletins. Vivement contesté à la tête de la CCIM suite à son élection tachée, Jeamille Bittar a déclaré lors d”un meeting son intention :" Nous demandons à ATT de déposer sa candidature pour un second mandat par devoir de patriotisme.
Nous allons le soutenir sans condition ", a-t-il lancé, le mercredi 07 mars 2007, en présence de deux ministres en exercice dont l”un est aussi porte-parole du gouvernement. Poussé par la bénédiction du Ministère de l”Administration Territoriale et des Collectivités Locales dans son élan de concrétisation de son intention, monsieur Bittar a confectionné des bulletins uniques de votes sans numérotation ni souche pour faciliter leur utilisation frauduleuse par les souteneurs du camp présidentiel. De tels documents de vote qui ont été distribués avant le jour du scrutin (j”en ai vu quelques uns) sont semblables à des chèques bancaires sans numéro ni souche que la direction d”une banque valide au besoin.
Médiocrité morale
Une telle mentalité émaillée de médiocrité morale surtout de partialité avérée, qu”on trouve acceptable au sommet de l”État malien, est sévèrement condamnable en république du Bénin. Dans un cas similaire de grave irrégularité, de vrais démocrates béninois ont ainsi assumé leur responsabilité : " Le président de la Commission électorale nationale autonome du Bénin (Cena), chargée de l”organisation des législatives de dimanche, a été destitué dans la nuit du lundi à mardi, a appris l”AFP de source officielle…" il a été destitué par 18 voix contre 2 et 2 absentions" par la CENA pour avoir confié à une société, sans appel d”offre, l”impression des bulletins de vote pour le scrutin…"
Nous devrons être fiers d”une telle disposition morale, mentale et comportementale des béninois à faire respecter la légalité au moment où de nombreux dirigeants africains à la moralité douteuse entachent l”image de leurs concitoyens à travers le monde.
Laissez-moi vous raconter une anecdote. En janvier 2006, en pleine campagne électorale, un camarade canadien blanc et moi, nous étions tous deux candidats dans un même parti politique pour devenir député à l”Assemblée Nationale du Canada. J”ai développé une bonne relation avec lui. Au regard des sondages serrés, on craignait la défaite même si notre parti était dirigé par le premier homme fort du Canada. Mon compagnon politique m”a importuné sans le savoir en me laissant entendre : " Toi et moi, nous avons été vu souvent avec le Premier Ministre dans ses campagnes à Montréal. Celui-ci aurait pu profiter de son influence pour nous faire élire dans nos circonscriptions si nous étions dans le contexte électoral africain. Mais ici, au Canada, ce sont les électeurs seuls qui décident…Dommage pour nous".
Cause africaine
Très gêné par ce propos, je suis resté bouche bée. Que pouvais-je dire ? Ce n”est que quelques mois plus tard que j”ai réagi positivement à cette vérité crue par la création d”une association nommée Regroupement International pour la Solidarité et la Démocratie en Afrique ( RISDA) grâce à la collaboration des gens dévoués à la cause africaine. Tous les africanistes ont le devoir moral de contribuer au nettoyage de la saleté contaminatrice engendrée par la mauvaise moralité politique africaine. Joignez-nous : uacbaro@yahoo.frCet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir.
Aujourd”hui, au Mali, la mentalité dominante, dans les milieux socio-politiques, consiste à admettre avec fatalité qu”un président élu force son deuxième mandat et forge son successeur au détriment de la volonté des électeurs. Ce n”est pas pour rien que la direction d”un grand parti comme l”Adema a décidé de ne pas présenter de candidat à cette élection présidentielle de 2007. Coincé par des questions des militants sur le refus de chercher le pouvoir, le président de l”Adema a fait un aveu historique : "Si nous n”avions pas soutenu ATT, nous aurions l”administration, la Sécurité d”Etat et la justice sur le dos ". N”affirme-t-il pas implicitement que mieux vaut soutenir la candidature du président sortant ATT pour profiter de l”impunité ?
Usurpation démocratique
Ne serait-il pas mieux de passer par un référendum ou une conférence nationale pour déterminer un mandat présidentiel d”une durée de 5, 7 ou 10 ans non renouvelable ? Ainsi la trentaine de milliards de francs CFA investie dans la préparation des élections dont les résultats sont connus d”avance, ne servira-t-elle pas à améliorer les conditions de vie des populations maliennes ?
Me référant à tout ce que j”ai vu, entendu et observé à Bamako comme à l”intérieur du pays, je crois, jusqu”à preuve du contraire, qu”aucun des 8 candidats n”était capable de gagner la majorité des 50% plus 1 lors du premier tour de l”élection présidentielle du 29 avril 2007. Ainsi, les considérations contextuelle et conceptuelle de l”atmosphère électorale dans laquelle j”étais me font douter profondément des résultats confirmés par des institutions sous influence du pouvoir dont : Le ministère de l”administration territoriale et des collectivités locales proclame 70,89 %. La Cour constitutionnelle confirme et accentue à 71,20 % pour la réélection de ATT dès le premier tour.
Un vieil adage du Mali dit que : Kami bè a nyè mogo dé ton flè. C”est-à-dire que la pintade suit sa devancière. Donc ATT n”a fait que suivre les traces de Alpha. Qui suivra celles d”ATT ?
Le Mali peut-il sortir de ce système africain de comédie électorale incommodante ? Je réponds par un oui. Mais ce pays aura besoin, pour ce faire, d”un grand Homme qui saura marquer l”enclume de l”histoire sans être marqué par le marteau de l”histoire. C”est-à-dire un homme intègre qui peut résister aux pressions des intérêts personnels pour extirper la culture politique d”usurpation démocratique par la conscientisation et l”assainissement de la société civile, de l”administration publique et du pouvoir judiciaire. Ces grands Hommes sont certes très rares mais le Mali en a. Le nouveau Amadou Toumani Touré ATT peut-il devenir ce grand Homme ?
Lacine Diawara, animateur de radio et écrivain à Montréal
Les intertitres sont de la rédaction
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