ATT, Compaoré, IBK, Kaboré, ces chefs d’Etat n’ont pas survécu à l’insécurité.
Malheur aux dirigeants en contexte de crise
Ce n’est pas une fatalité de voir qu’à la sortie de crises majeures – changements de régime, crise politique -, les détenteurs du pouvoir, c’est-à-dire les chefs de l’exécutif sont honnis par leurs peuples. Cela vaut pour ceux qui ont pris le pouvoir par un putsch militaire comme pour ceux qui l’ont pris par un scrutin présidentiel.
En 2012, Amadou Toumani Touré (ATT) est vaincu par une simple mutinerie transformée en coup d’Etat par des militaires mécontents du Camp de Kati. ATT doit partir sur le champ en exil à Dakar. En 2014, Blaise Compaoré, président du Burkina Faso, doit à son tour s’exiler à Abidjan en Côte d’Ivoire sous la pression des manifestants et suite à sa tentative de modification de la Constitution.
Dans la même tourmente, à des degrés différents, c’est aussi le cas de Roch Marc Christian Kaboré et d’Ibrahim Boubacar Kéita, IBK. Malheur aux dirigeants en contexte de crise !
Etre chef d’Etat, c’est susciter le rejet
Mais malédiction aux applaudis, notamment au Mali. Modibo Kéita, après avoir conduit le Mali à l’indépendance, est arrivé à créer de grandes entreprises et l’esprit de souveraineté économique, à semer la graine de l’émancipation idéologique et à organiser l’Etat. Il a été malheureusement écarté par l’armée en 1968 au bénéfice de l’improbable lieutenant Moussa Traoré sous la coupe du CMLN, Comité militaire de libération nationale.
ATT, c’est bien connu, symbole choyé de la victoire de mars 1991 du Mouvement démocratique contre le régime dictatorial de Moussa Traoré est blackboulé. Quant à IBK, qui pensait incarner le Mali comme personne, il accepte la démission en août 2020 sous la pression du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), dirigé par le colonel Assimi Goïta.
Bah N’Daw, à la tête de la Transition malienne, est remercié par le CNSP, après seulement sept mois et vingt-neuf jours pour avoir affirmé son indépendance. Dans les crises au Mali, être chef d’Etat, c’est attirer le rejet. Pas exclusivement au Mali.
Une crise sécuritaire sans précédent
Thomas Sankara, un des plus grands chefs d’Etat du Sahel et parmi les plus populaires, a été assassiné par son frère d’arme Blaise Compaoré. Comme s’il fallait retrouver une espèce de banalité du pouvoir après ses efforts surhumains pour donner un visage et un sens à la vie des Burkinabés. Burkina Faso encore, Marc Christian Kaboré, après avoir rallumé la flamme de la démocratie, est tout brutalement chassé par Paul-Henri Sandaogo Damiba le 24 janvier 2022.
En avril 1999, Ibrahim Baré Maïnassara du Niger est assassiné à Niamey par les éléments de sa garde personnelle. En septembre 2021, Alpha Condé, l’homme ayant eu le courage de défier ses prédécesseurs, est balayé par le putsch du colonel Doumbouya.
Les crises sont voraces, peu importe. Ce qui n’est pas un bon signe pour ceux qui détiennent le pouvoir au Mali comme au Burkina Faso, au Niger comme en Guinée-Conakry ou en Côte d’Ivoire. La crise sécuritaire actuelle n’a toutefois pas de précédent.
La crise sécuritaire déferle
Partout la crise sécuritaire déferle. Elle domine le débat public, mais à faible intensité dans les capitales qui ne sont pas les plus impactées. Dans le Liptako-Gourma, des villages entiers sont dépossédés, humiliés, meurtris, violentés par les groupes narcoterroristes. Le 24 avril dernier, dans le village de Bara à une vingtaine de kilomètres du camp militaire d’Ansongo, les habitants ont été spoliés de leurs biens.
Certains ont fui la terreur pour se mettre à l’abri à Ansongo et à Gao. D’autres villageois ont été sauvagement exécutés devant leur famille. Quatre jours après, le 28 avril, de nuit, à Tacharane, un groupe narcoterroriste en moto a dépouillé les habitants de leurs bêtes : 800 vaches. Pour rappel, Tacharane est à une dizaine de kilomètres du camp Firhoun, plus grand camp militaire du Nord. Ni l’intervention de l’armée, le lendemain, ni les sacrifices des bonnes âmes n’a permis de retrouver les bêtes. Pourtant, l’armée n’a jamais mobilisé autant de moyens.
Crise d’identification
Lorsque la crise sécuritaire s’estompera, une crise d’identification se déchainera. Elle prendra des formes inhabituelles. On changera d’univers. On ignore encore où l’on va. D’ailleurs, le soutien des populations de Gao ou de Kidal au maintien de la Minusma dit quelque chose de la montée de leur désaffection à l’endroit des détenteurs du pouvoir. Comme une tempête, ce soutien fait exploser tous les calculs et transforme cette année préélectorale en horizon indéchiffrable.
Mais, avec une seule certitude : ne marchons pas les yeux voilés. Les cris homériques des stakhanovistes et les appels des milieux populistes ne doivent pas faire échouer la volonté de ramener la paix et la sécurité et d’œuvrer au retour à un pouvoir civil. Ce sera une surprise inestimable pour défaire l’idée que l’insécurité est devenue un fonds de commerce pour certains d’entre nous.
Terminons par cette phrase d’Albert Camus “pour être révolutionnaire, il faut croire à quelque chose là où il n’y a rien à croire” (l’homme révolté).
Mohamed Amara
Sociologue