Décryptage : L’insensible et l’infraternel

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Ce matin, je rédige ces lignes pour attirer l’attention concernant notre intolérable silence sur les supplices des citoyens. Criminalité, dégoût, mépris et violence constituent leur goulot d’étranglement. Les larmes coulent. Ne clignez pas les yeux.

 Fragile

Le 21 novembre 2022, 11 civils sont tués sur le site des déplacés de Kadji, Commune rurale de Gounzoureye, Gao. C’était à peine à 5 kms du Camp militaire Firhoun Ag Alinsar de Gao. Le 23 novembre 2022, deux villageois sont froidement fusillés à Tacharane, un autre village de la même Commune. L’EIGS est le principal auteur de ces tueries. En réalité, depuis mars 2022, l’EIGS sème la panique et la désolation sur son passage. Certains rescapés fuient. D’autres sont traumatisés à jamais. Le moindre bruit devient source d’anxiété et d’errance. La région du Liptako-Gourma est devenue un champ de ruines. L’armée malienne se résout à constater les dégâts. Mais sans plus de réactions. Désormais, le périmètre d’actions des narcoterroristes, Aqmi et EIGS, s’étend autour des grandes villes. Les dispositifs sécuritaires semblent inadaptés. À Bamako, avec sarcasme et dédain, on se congratule dans les cercles de pouvoir. Décevant ! Les Maliens sont menés en bateau. Tout passe sous silence. Quelle fragilité ! Comme le chantait Sting and the Police, « How fragile we are », « Combien nous sommes fragiles ». Défense d’émotions. Pourquoi tant de silence devant l’horreur ?

Silence coupable

Le comble : les associations maliennes, toutes communautés confondues, se taisent. Officiellement. A Bamako, ni communiqué, ni marche de soutien à l’endroit de leurs compatriotes. Un silence presque coupable ! On entend çà et là que des concertations sont en cours. Mon œil, c’est une façon de trainer le débat malgré les horreurs. Certains fuient devant les difficultés, croyant que ce sera mieux ailleurs. Or, la solution, c’est d’abord de faire la paix avec nous-mêmes en affrontant nos tensions internes. Emancipons-nous. D’autres sont déjà morts pour nous. Sachons que rien de durable ne se fera sans la sécurité. Cette ambiance de fin du monde est bien décrite par un de mes collègues : « Tant que nos intérêts ne sont pas menacés, on continue à spéculer sur les réseaux sociaux soit pour informer les tenants du pouvoir de ceux qui ne sont pas d’accord avec eux, soit pour trôler. Tu sais, mon cher ami, l’esprit de nation est presque mort chez nous ; c’est-à-dire que le Mali s’arrête à ma porte. Il y a ceux qui ne sont pas d’accord avec la façon de gérer la transition, mais qui n’osent pas le dire pour ne pas se déjuger, car ils soutenaient la transition au tout début. Il y a aussi ceux qui attendent que ça se passe de peur d’être traités de paria ». Tout est dit. On est devenus insensibles aux meurtres et infraternels à l’humain, condamnés à mourir par la main de nos bourreaux, les narcoterroristes.

Un Doux parfum de révolte flotte sur la terre 

Constat amer : la nation malienne est malade de ses inconstances et de ses incohérences. Inconstance liée à notre incapacité à mettre en avant l’idée de nation : le devoir pour chaque Malien de participer à la vie du pays. Or, la défense des intérêts communs s’enracine dans le sentiment d’appartenance à la même société, à la même terre. À ce propos, chaque citoyen doit fonder son concours sur la défense nationale des intérêts et le soutien des faibles. Cela s’appelle la démocratie. Quant à l’incohérence, elle est liée à notre tendance à faire la pluie et le beau temps. Pas de vision à long terme. Par exemple, nous sommes allés à la transition sans savoir ce que nous voulons réellement. Les différents flottements avec la communauté internationale illustrent ces moments d’indécision, caractéristiques d’un peuple en mal de leaders vertueux. Même le peu de conscience citoyenne collective, à l’origine de la chute du régime d’IBK, s’est évanoui dans les champs de maïs, derrière les collines de Bamako. Hélas ! Mais tous nos problèmes ne se résument pas à l’inconstance et à l’incohérence.

La liberté

Le déficit d’esprit de nation pourrait aussi expliciter nos problèmes. La difficulté de l’exécutif à lâcher le filon des faucons, est symptomatique de cette ambiance de grande kermesse où l’on ne veut pas voir le désastre, répété au quotidien. Ouvrons les yeux. Ailleurs, un doux parfum de révolte flotte sur la terre : Iran, Chine, etc. Ce qui se joue dans ces révoltes, c’est la liberté. La liberté, voilà, cette valeur fondamentale de toute société quel que soit le contexte et le lieu. La liberté, ce pouvoir d’exercer sa volonté et de choisir : droit de publier nos opinions, d’aller et venir, entreprendre, vivre, etc. C’est aussi le pouvoir de déterminer son mode de gouvernement sans avoir un fil à la patte. Eh bien, c’est pour cette liberté que les Chinois bravent depuis le 27 novembre 2022 le régime de Pékin pour demander la fin des confinements successifs, synonymes de privation. Une 1ere depuis Tian’anmen.

La démission du Président chinois, Xi Jinping, est même demandée. Toujours en Asie, les Iraniens défient le régime des Ayatollahs Chiites. En Europe, l’Ukraine tient tête à son puissant voisin Russe au point de le chasser de Kherson. Partout, on vit une période de vache maigre où les révoltes modifient les rapports de force. Propulsées par le numérique, ces révoltes traduisent le malaise politique des régimes actuels. Comprenons, il y a une limite à tout.

Construire un projet de maitrise sécuritaire

Le sparadrap des dirigeants ne suffit plus à cacher la misère. Tous les ingrédients semblaient réunis pour dire sa colère dans l’espace et le temps. Ici, au Mali, l’exaspération est palpable. Les conflits sociaux, aux allures de crise politique, secouent la transition. La hausse des prix des produits essentiels alerte. Même le sommet de la zone de libre-échange continentale africaine (Zleca) du 25 novembre 2022 à Niamey n’a pas fait encore d’effet. La façade harmonieuse de Bamako s’effritera tant que chacun de nous avancera au rythme de son Djandjo ou son Takamba. Enfin, face à l’horreur, la transition doit montrer en quoi sa manière de gouverner le Mali est désirable et novatrice dans le temps imparti. Elle ne peut plus s’arrêter aux motifs géopolitiques. Donc, sa gestion doit avoir des effets concrets sur le quotidien des Maliens. Pour cela, il est temps de construire un projet de maitrise sécuritaire. Il s’agit de développer des compétences locales d’atténuation des risques sécuritaires. L’identification, l’évaluation, l’analyse, la hiérarchisation et la surveillance constitueraient des grilles d’analyse des enjeux sécuritaires. Mais cela ne passera-t-il pas par une entente et une mobilisation sociale et politique ?

J’aurai aimé partager encore tant de choses avec vous au sujet de l’insensible et de l’infraternel. Mais le temps passe vite. J’espère activer un sentiment d’apaisement et d’esprit de nation chez vous. Je parie que nous résisterons. Je parie aussi que nous réinventerons le Mali pour qu’il redevienne moins monstrueux et plus apaisé. Le futur nous dira peut-être. Poursuivons le travail autour de ces questions :

Comment faire vivre le Mali ensemble ?

Que doit-on espérer pour notre pays ?

 

Mohamed Amara

Sociologue

 

           

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