Décryptage : L’enfer du mépris

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Ce matin, au cœur de décryptage : la notion de mépris, une dimension importante de la gouvernance en contexte sécuritaire et géopolitique troubles.

Les Songhays désignent le mot mépris par kaynandi. En Bambara, c’est mafinéya. Il exprime un sentiment dé-hiérarchisation des rapports humains. Il se traduit par la mise à l’écart de toute personne mésestimée. Par exemple, une remarque désobligeante, un regard de haut, une insulte dit quelque chose des situations de mépris. Etre méprisant envers quelqu’un, c’est lui rappeler sa situation sociale. Etre méprisant, c’est être intolérant. L’abandon des populations rurales par certains régimes illustre les situations de mépris politique. De ce point de vue, ces populations font l’objet d’un déni identitaire. Elles sont privées de tout au profit de populations urbaines.

Lorsqu’à Ouagadougou, Niamey ou Bamako, un citoyen se convainc de ne pas être touché par l’insécurité alors qu’à Tabatol, Koumbri ou Dioura ses compatriotes sont assassinés par les narcoterroristes, on est en présence d’une attitude méprisante. Espérons que cette attitude soit minoritaire dans nos sociétés. Ne généralisons pas. Néanmoins, cela signifie qu’il faut créer des dispositifs politiques plus inclusifs pour sortir du mépris, cette indifférence envers autrui. Mettons en place des dispositifs permettant au citoyen de ne pas être privé du droit d’apporter sa contribution à la construction de l’édifice national.

Le mépris, règle implicite de la gouvernance

Ceci dit, la notion de mépris a été explorée par la sociologie. Par exemple, le terme de mépris de classe renseigne ces comportements stigmatisants et indifférents à l’encontre d’un groupe social. Contraire du respect absolu, le mépris peut être économique, identitaire, politique ou communautaire. En général, toute situation de mépris se solde par un conflit. L’homme méprisé finit par s’inscrire dans une épreuve d’émancipation redoutable.

Comment se traduit le mépris dans la gouvernance ? D’un point de vue pragmatique, l’analyse des différents régimes au Mali montre que les situations de mépris se confondent avec les situations de contrôle autoritaire remettant en cause la liberté des personnes. Elles sont destructives. Rares sont les institutions étatiques (ministère, ambassade, etc.) où le mépris n’est pas érigé en une règle implicite de gouvernance. Au point que les relations de travail sont devenues nocives pour certains.

De l’assistante de direction au directeur adjoint, le rapport de mépris n’a pas de limite. Il est parsemé d’abus d’ordre de pouvoir avec les risques d’affaissement de l’Etat. Et, comme dans tout rapport de mépris, ce sont les populations qui subissent en premier, privées de tout : éducation, emploi, justice, santé, sécurité, etc.

Le mépris pour la liberté

En 1968, le mépris et la brutalité des miliciens de la politique de “révolution active” du président Modibo Kéita à l’égard d’une partie de la jeunesse dite “déviante” ont contribué à la chute de son régime. Pourtant reconnu pour ses qualités d’homme politique intègre, Modibo Kéita est balayé en novembre 1968 par le putsch du lieutenant Moussa Traoré.  Ce qui dénote de la rupture de confiance entre l’homme d’Etat et ses concitoyens faute d’un pouvoir inclusif.

En mars 1991, Moussa Traoré chute lorsqu’il déclare vouloir “… attacher une couronne d’enfer autour de la tête des manifestants…” pour l’Etat de droit, des élections libres, la liberté de manifester… Son mépris pour la liberté a eu raison de son régime. Le putsch militaire de mars 1991, conduit par Amadou Toumani Touré, met fin au régime autoritaire de Traoré. Presque 30 ans après, même régime, même mépris.

En août 2020, le président Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) est déposé par le colonel Assimi Goïta sous la pression des manifestations du M5-RFP. Le manque de transparence dans la gestion des affaires de l’Etat (hélicoptères Puma) et la dégradation sécuritaire précipitent la fin de son régime. En réalité, les Maliens se sont sentis abusés et méprisés par le régime d’IBK. L’analyse de ces trois régimes montre l’enfer du mépris dans lequel vivent les populations.

L’odeur fade du pouvoir

A vive allure, de Niamey à Ouagadougou en passant par Conakry et Bamako, seul le respect des personnes et des engagements et la gestion pragmatique et transparente des deniers publics éviteraient les situations de mépris, source des désaveux et de révoltes. Souvenons-nous, la révolte est un des langages des méprisés, ces citoyens sans reconnaissance morale et symbolique.

Ni le lobby français, ni le lobby américain, ni le lobby russe, ni les contrepieds narratifs, ni les achats de loyauté, ne doivent avoir raison de notre capacité à marcher ensemble dans les pas de nos célèbres prédécesseurs pour faire l’éloge de la vérité et repousser l’odeur fade du mépris et de son corollaire, le pouvoir.

Mohamed Amara

Sociologue

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3 COMMENTAIRES

  1. Amara comme d´habitude ton raisonnement reflète ce qui te donne des marchés.
    Tu es fait express de passer sous silence la gestion des régimes de mars 1991 à août 2020. Ce n´est pas un hasard c´est aussi ton mépris pour ceux qui ont souffert et que toi tu y trouvais ton compte.

  2. “L’analyse de ces trois régimes montre l’enfer du mépris dans lequel vivent les populations.”

    De l’intellectualisme avec Mohamed Amara, comme toujours. Des belles phrases pour rien. Des phrases qui nous font tourner en rond pour rien.

    Le mépris envers les Africains, le mépris de la France colonialiste et néocolonialiste envers ses anciennes colonies empêchées d’évoluer, comme le montre d’ailleurs l’analyse comparative des pays dits anglophones et francophones ? Ou encore le mépris envers l’Afrique de la France et de ses amis occidentaux lorsqu’ils ont envahi la Libye “sans la demande” des Africains ?

    A quand aussi un article de monsieur Mohamed Amara sur le mépris et le rôle déstabilisateur en Afrique depuis les indépendances des années 1959-1960 de la France, à l’égard de laquelle notre sociologue de service s’est toujours gardé d’émettre la moindre critique ?

    La réalité et le concret. Le Mali, mais aussi le Burkina-Faso et le Niger s’étaient basés dans leur lutte contre le terrorisme sur la France qui est par ailleurs le pays ayant introduit le terrorisme dans toute la région consécutivement à la destruction de la Libye. Ce pays étranger a “méprisé” les armées nationales et les peuples des pays du Sahel pendant près d’une décennie d’occupation militaire occidentale du Sahel. Les armées nationales africaines étaient maintenues par la France et ses amis occidentaux dans un état délabrement et de sous-équipement inadmissible. Du matériel de guerre et des aéronefs de l’armée nationale du Mali étaient souvent bloqués dans les ports et aéroports étrangers à la demande des Occidentaux pour ôter toute idée, volonté ou possibilité aux Africains de sécuriser et maîtriser entièrement leurs territoires. Les peuples et les armées nationales des pays du Sahel ont compris le jeu de la France et de ses amis occidentaux. Ils se sont organisés. Le Mali a noué de nouvelles alliances militaires avec d’autres partenaires étrangers et acquis une grande quantité de matériels militaires, plus fiables et plus efficaces, pour reprendre les mots du ministre de la défense Sadio Camara. L’armée française a été mise à la porte, la MINUSMA aussi. Aujourd’hui, les FAMA sont aux portes de Kidal qui était devenue le bastion du terrorisme dans tout le Sahel.

    Les autorités publiques de transition au Mali ont conclu tacitement un pacte avec le peuple pour diriger vers la défense une grande partie des ressources de l’Etat, au détriment d’autres secteurs vitaux comme la santé et l’école. Les militaires de l’armée nationale du Mali accomplissent héroïquement tous les jours leur devoir et perdent parfois la vie au combat, comme en ce moment, par dizaines.

    Dans ce contexte historique et difficile où un “régime” fait ce qui n’a jamais été réalisé au Mali en si peu de temps, ce qui bizarrement inspire ce matin notre sociologue c’est “la notion de mépris” comme “une dimension importante de la gouvernance en contexte sécuritaire et géopolitique troubles”.

  3. Le mépris, c’est l’absence du POUVOIR DU PEUPLE PAR LE POUVOIR POUR LE PEUPLE.
    L’échec des différents régimes,c’est la non prise en compte des ASPIRATIONS DU PEUPLE.
    Ce n’est pas fortuit, si ALPHA OUMAR KONARE EST SEUL À DONNER LE TÉMOIN À SON SUCCESSEUR.
    Il est issu du peuple,a exercé le pouvoir en tenant compte de ses aspirations malgré la situation économique très difficile.
    Le MOIS DE SOLIDARITÉ est son œuvre!!!
    Ce qui fait que malgré les dérapages de certains de ses camarades logés dans le parti politique qui a la majorité parlementaire,la population n’est pas allée dans le sens voulu par ses adversaires politiques.
    Il est possible de prendre en compte la prise en charge des aspirations du peuple par des RÉFORMES INSTITUTIONNELLES.
    Un PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE au dessus de la mêlée par son mode d’élection écartant la candidature de tout homme politique.
    Il aura pour mission d’assurer l’intérêt général par la NOMINATION DES HAUTS FONCTIONNAIRES favorisant ainsi l’autonomie de l’administration publique des AUTORITÉS POLITIQUES.
    Il s’agit là d’un RÉGIME PARLEMENTAIRE.
    Ce régime est seul capable d’assurer la SÉPARATION DES POUVOIRS permettant la prise en compte des aspirations du peuple, surtout en terme de rendre justice convenablement.
    Le mépris du peuple est surtout lié au RÉGIME PRÉSIDENTIEL consacrant le pouvoir entre les mains d’une seule personne.
    Engageons nous, non pas pour un HOMME PROVIDENTIEL,mais pour la DÉMOCRATIE.

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