Décryptage : Comment soigner la gouvernance ?

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Les transitions sahéliennes ont suscité beaucoup d’espoir chez une partie des citoyens, stimulés par l’idéal de gouvernance probe et de paix. Mais, les rivalités au sommet des États et les horreurs narcoterroristes ont vite mis à mal la gouvernance.

 La notion de gouvernance a été largement traitée par les sciences de la gestion, l’économie et les sciences politiques. « Structure et processus de prise de décision et de responsabilisation » (Ferguson, 2009), la gouvernance, Laamayan en Songhay, est une manière d’imaginer et de conduire les politiques publiques dans un écosystème favorable à l’application des règles et des textes. Loin d’une gestion tyrannique, elle concourt au bien-être des populations : accès juste à l’alimentation, à l’eau, à l’éducation, à l’électricité, à l’emploi, à l’information, à la justice, à la santé, à la sécurité, etc. Loin d’une passion idéologique, elle constitue un des vecteurs majeurs du développement quand elle est transparente. Loin de la corruption, de la confusion du public et du privé, elle permet d’améliorer la qualité des offres des services publics et privés. En définitive, ce sont ces différents dispositifs qui permettent à une société de « résoudre les problèmes communs » (David, 2006). Un des ingrédients d’une gouvernance réussie consiste à s’appuyer sur la volonté du peuple et des groupes d’intérêt : syndicats, politiques, partenaires, associations. La transparence, la participation citoyenne et le partage de responsabilité constituent les outils d’évaluation indispensables d’une bonne gouvernance. Qu’en est-il de la gouvernance dans nos pays ?

Dans la bonne humeur

Face à l’épreuve de la gouvernance, notre pays se montre anxiogène même si la situation n’est pas pire qu’en République démocratique du Congo, au Togo ou au Tchad. Le 20 décembre 2023, la rébellion du M23 dans l’Est de la République démocratique du Congo n’a toutefois pas empêché les Congolais de voter à la présidentielle, consacrant la réélection du président Félix Tshisekedi. Le 6 mai 2024, Mahamat Idriss Déby devient président de la République du Tchad après trois ans de transition. Au Congo comme au Tchad, l’unanimité autour des processus électoraux est toujours recherchée. Le 29 mai 2024, dans la bonne humeur, les Sud-Africains ont élu leurs parlementaires. Lesquels parlementaires élisent, dans quelques jours, le futur président de la nation arc-en-ciel. D’autres Africains, Ghanéens ou Malgaches, votent en 2024 pour choisir leurs gouvernants. Les processus électoraux charpentent la vie des nations démocratiques. Ils permettent aux citoyens de choisir et de contrôler leurs mandataires. Démocratie oblige !

Nous avons l’intelligence d’aller sur la lune, mais…

Ici, à Bamako, les réflexes de division nous possèdent. La peur du lendemain et les pantalonnades inhibent toute aptitude à nous réinventer. Certains tentent de dicter la vérité. D’autres essayent de l’imposer par la pression. Mais comme me le fait remarquer un spécialiste de la gouvernance dans le Sahel : « Nous avons l’intelligence d’aller sur la lune, mais il nous manque la capacité et la patience pour construire le fuselage du vaisseau ». La fragilité des équilibres, la guerre des narratifs et la privation des libertés nuisent à notre ingéniosité. Comment en être autrement dans un Sahel où on est aussi prompt à s’accommoder des incohérences qu’à satisfaire les demandes des populations ? Comment en faire autrement dans un espace où la crise énergétique paralyse les économies ? Comment agir dans une région où les conflits de pouvoir rongent les exécutifs ? 24 mai 2024, sous une température à 40°, le mémorandum du M5-RFP agite les esprits : « Plusieurs questions majeures de la gestion gouvernementale ont été traitées sans y associer le chef du gouvernement : […] meeting de la honte du 8 juin 2023, report des élections, etc. […]. La déclinaison de certaines recommandations tendancieuses phares du DIM ont heurté l’opinion […] : prorogation de la durée de la transition, élévation de six colonels aux grades de généraux […] ». Tentative pour inverser les rapports de force ? Maladresse ?

Au-dessus de tout soupçon

De nouvelles fractures s’ouvrent entre les discoureurs et les regimbeurs. Badaboum, voilà un pastiche (le mémorandum) qui excite les tensions. Le 28 mai 2024, le signataire du pastiche, Boubacar K. Traoré, a été placé sous mandat de dépôt pour « atteinte au crédit de l’Etat… ». Sur les bords du Djoliba, il se joue un moment d’un Kotéba national où seuls les figurants sont visibles. Pourvu que cela ne dure pas. Chacun tente de se mettre au-dessus de tout soupçon. Les 5 ans de rab du dialogue inter-Maliens indisposent. À Bamako, les rivalités s’aiguisent. Ailleurs, dans le pays, la bêtise semble se porter comme un trophée par les nervis d’Aqmi, qui sévissent dans le pays Dogon. 25 mai 2024 à Inssogou (Bandiagara), 19 personnes sont assassinées. 27 mai 2024, l’Association malienne pour la protection et la promotion de la culture Dogon condamne le massacre d’Inssogou. Elle demande aux autorités maliennes de « mieux assurer la protection des personnes et des biens ». Gouverner, c’est travailler à de nouvelles manières de ramener la sécurité dans les territoires et entre les États.  

Les pouvoirs vont et viennent

La question sécuritaire hante toujours la gouvernance. Comme une bourrasque, elle emporte sur son passage les narratifs serinés depuis Bamako ou Ouagadougou. Au Mali comme ailleurs, sous le poids des crises, les régimes transitoires convulsent. Au Burkina-Faso ou en Guinée-Conakry, mieux vaut être corrompu qu’être opposant. Conakry, 22 mai 2024, l’Autorité de régulation des postes et télécommunications (ARPT) ferme des médias privés : Hadafo Médias, Djoma Médias, etc. En réaction, le Syndicat des professionnels de la presse, SPPG, appelle à la grève générale. Certes, la Guinée-Conakry n’est pas un pays en guerre contre le narcoterrorisme comme le Mali, le Burkina-Faso ou le Niger. Mais le pays de Sékou Touré est un des pays les plus allergiques à la liberté de la presse. Enfin, notons que les pouvoirs vont et viennent. En attendant, espérons que les dynamiques régionales poussent l’exécutif guinéen sur le chemin de la tolérance.

Recréer un sentiment d’utilité

Les régimes transitoires évoluent dans un contexte trouble que seul le respect des droits des parties prenantes contribuera à résoudre. Ni posture victimaire, ni diplomatie de l’émotion, mais seul un modèle de gouvernance cosmopolite, transparent, inclusif, responsable et démocratique soignera nos maux. Dans ce cadre, soigner la gouvernance, c’est recréer un sentiment d’utilité et de reconnaissance des politiques publiques chez les populations. Voilà une des significations du serment, cette promesse des chefs d’exécutifs faite aux milliers de femmes et d’hommes qui croient en eux.

Terminons cet article sur la gouvernance par la tournée cette semaine sur le continent de Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, et la visite au Mali du président de la République sénégalaise, Bassirou Diomaye Faye. Qu’il s’agisse de la Guinée-Conakry ou du Burkina-Faso, le voyage du chef de la diplomatie russe dit quelque chose des jeux d’alliance de la tectonique géopolitique liée à la guerre en Ukraine et des jeux d’influence entre la Russie et l’Occident. Quand les intérêts nous tiennent ! Le 30 mai 2024, lors de sa visite d’amitié à Bamako, Diomaye Faye rappelle : « Je ne suis pas médiateur de la Cédéao. Je ne désespère pas de voir la Cédéao repartir sur de nouvelles bases […] ». Les historiens rappellent que le Mali est un pays au passé glorieux. Les anthropologues assurent qu’il est un pays au climat culturel tempéré. Les sociologues admettent qu’il est un pays aux rapports socioculturels complexes. Pour apaiser nos cœurs, écoutons Worry de Songhoy Blues et attendons la suite…

 

Mohamed Amara

Sociologue

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