Bon, on me reprochera de me mêler de choses qui ne me regardent pas mais, comme beaucoup d’entre vous, ce sont mes ulcères qui m’empêchent de jeûner. Sinon, j’ai la foi et ce récit l’atteste. Les membres de la Commission lunaire, en délibération, s’acheminent vers la conclusion que le très capital croissant lunaire n’a été aperçu nulle part sur le territoire quand apparaît le Général Kaf, mon grand ami. Chapelet en main, kaftan blanc, toque de chérif, la même que celle de notre flamboyant président des Hautes Collectivités. Stupeurs devant l’apparition. Mais mon ami Kaf maîtrise l’art de vaincre sans combattre.
-Vous avez appelé Kolondiéba ?
– Oui, Excellence.
– Et rien, même dans le puits comme l’an dernier ?
– Rien.
– Yanfolila, sur la grande clairière comme depuis des années ?
– Pareil.
– Nioro du Sahel ? Derrière la dune, comme il y a deux ans ?
– Idem.
– Kidal, le très perspicace Kidal ?
– Injoignable. L’émetteur coupé par les rebelles n’est toujours pas réparé.
– Le Rac alors ?
– Le racman est dans « l’alliance » ; il a rejoint les montagnes.
Kaf paraît vraiment ennuyé et il devient carrément insurrectionnel quand un des ulémas trouva l’heure tardive et suggéra que la fête soit décidée pour vendredi, le trentième jour du carême.
-Tous les jours sont des jours de Dieu, Excellence, Il n’y en a pas un qui soit meilleur ou pire qu’un autre.
-Ne me fais pas la leçon, personne ne s’oppose à la fête un vendredi.
– Quoi ? Le visiteur qui venait de faire son entrée est un visage public. Il est le patron de mon ami Kaf, il a fait le pèlerinage plusieurs fois et il est réputé imbattable en matière de bénédictions.
L’assistance est médusée. Mais le visiteur aussi est maître dans l’art de vaincre sans combattre. Jellabah de bédouin, sceptre sculpté, il dit de sa voix mesurée : « je suis membre de la Commission. Nous chercherons et trouverons la lune ensemble, viens par là, Kaf ».
A vos ordres, Ustaz Sidibé.
Adam Thiam
