Côte d’Ivoire : la nouvelle crise

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La vieille palabre africaine sait faire des miracles insoupçonnables mais personne ne parierait sur le fait que Gbagbo et Ado reproduisent devant la Côte d’Ivoire, l’Afrique et le monde, leur chaleureuse poignée de mains du jeudi dernier. D’ailleurs, ils ne se voient plus depuis le dimanche fatidique du second tour. Bunkerisé dans son palais de Cocody, Gbagbo a pris la tête du commandement opérationnel contre ce que sa coalition électorale, la Ligue pour la Majorité Présidentielle (Lmp), qualifie de « tentative d’usurpation du pouvoir » par son adversaire Ado. Il est incommunicado depuis dimanche soir.

Trois jours fous

Lundi, le facilitateur Blaise Compaoré a cherché à lui parler, confirment plusieurs sources. Mais en vain. Le Burkinabé ne serait pas d’ailleurs le seul chef d’Etat à avoir tenté de raisonner le président sortant qui savait, semble t-il, déjà dimanche soir vers 21 heures, que cette fois la chance ne lui avait pas souri. De sources diplomatiques, des présidents de la sous-région, de hauts officiels des Nations-Unies ainsi que des amis de l’homme dont Thabo Mbeki essaieront également sans succès. Mardi, dans la matinée, les ambassadeurs de France et des Etats-Unis auront plus de chance : ils voient Gbagbo et lui demandent de lever les blocages pour que les résultats soient proclamés au fur et à mesure par la Cei. Ils trouvent un homme révolté et soupçonneux qui leur oppose un niet catégorique. Ses seuls liens sûrs avec l’extérieur selon des milieux informés du Fpi, ce sont Simone Gbagbo et Pascal Affi Nguessan. 

Quant à Ado, il est « exfiltré » dès lundi matin avec sa famille. Sous bonne garde, celle de la Force Licorne, à Port-Bouët, il boit du petit lait mais touche du bois. Dimanche soir, il a été plusieurs fois au téléphone avec Bédié et les membres-clés de son Etat-major de campagne. En présence de son staff de campagne et de quelques journalistes, il dit, ému au patron du Pdci qui avait mouillé le maillot pour lui : « je te dédie ce jour ». Encore lui fallait-il mettre la main « sur ce jour ». Car la redoutable machine à riposte qu’est le Fpi n’a pas attendu longtemps pour dénoncer l’intimidation de ses militants par les Forces nouvelles dans des fiefs nordistes du Rdr et exiger, par conséquent, l’annulation du vote dans ces localités où Ado au premier tour frôla les 90%.

En somme, c’est demander au candidat houphouëtiste de céder la victoire. Ce qu’il n’entend pas faire, car de son côté, le Rhdp dénonce, lui aussi, plusieurs infractions et violences imputables au Fpi dans d’autres circonscriptions. Commence dès lundi, une sourde bataille autour de la légitimité du scrutin. L’Onuci l’a compris. Elle déplore les anomalies et incidents qui ont émaillé le vote mais elle le valide. Les différents observateurs, Ue, Ua, Cedeao, Centre Carter, Francophonie lui emboîtent le pas. Il ne reste qu’une solution : entraver la proclamation des résultats par le Cei. Ils ne sont pas tous à Abidjan ce mardi puisque c’est dans l’après-midi du mercredi que les derniers procès-verbaux sont mis à la disposition de la Cei par l’Onuci. Mais peu importe, même les résultats partiels ne doivent pas être proclamés. Et le camp Gbagbo réussira son pari ce jour.

Coup de poker

La communauté internationale prend toute la mesure de la situation et elle prend les devants. Deux généraux de l’Onuci appellent, les uns après les autres, tous les chefs d’état major des Fanci et leur rappellent leurs responsabilités personnelles au cas où l’armée serait amenée à tirer sur des civils. Leurs conseils ne seront pas tombés dans des oreilles de sourds. Le soir à la réunion de crise qu’il a convoquée, Gbagbo, de source sûre, n’aura vu que le chef de la garde présidentielle. Philippe Mangou n’était pas là. Les autres non plus. Signe des temps.  

Toutefois, à 22 heures, mercredi, la Cei n’avait pas pu s’acquitter de son devoir. Le siège des journalistes n’y changera rien. Pas plus le ballet diplomatique autour du siège de l’institution que dirige Youssouf Bagayoko. Ni l’oukase de Nicolas Sarkozy tombée en début d’après-midi, et avant lui les exhortations de Hilary Clinton. D’ailleurs, ce qu’on voulait éviter est arrivé. Le camp Ado a déjà diffusé « ses » résultats. La marge du nordiste est confortable : presque 55%. Nul doute que c’est lui le président élu si les chiffres sont confirmés. S’il est sorti l’après-midi pour rencontrer la presse, c’est pour urger la Cei de proclamer les résultats sans tarder. Car Ado sait ceci : le camp Gbagbo a aussi affiché « ses » résultats sur plusieurs sitewebs. Un modeste 52% mais ça suffit.

En plus, le manège du combatif président sortant, pressent t-il sans doute, est de zapper la Cei pour le Conseil constitutionnel qui statuerait alors sur les réclamations. Or celles venant du camp présidentiel pourraient tout changer si elles étaient examinées avec bienveillance. La crise que l’élection était censée conjurer est-elle donc en train de revenir en force ? Abidjan, en tout cas, retient son souffle. La communauté internationale ne martèle pas pour rien que la volonté du peuple doit être respectée. Et ce n’est sans doute pas pour rien que Gbagbo a prorogé le couvre-feu jusqu’au dimanche prochain et « rappelé à Abidjan un millier de soldats » selon la presse locale.

La rumeur enfle. Il se dit déjà que Mamadou Coulibaly, c’est symptomatique, est au Ghana et que Gbagbo lui-même s’apprêterait à s’exiler au Ghana. Vrai ou faux, l’épreuve de force, nul ne se trompe là-dessus, est engagée là où peut-être l’élégance de gentleman aurait peut-être remis la Côte d’Ivoire sur orbite. Imaginons simplement que dimanche soir, avant même la proclamation des résultats, que le vainqueur quel qu’il fût ait appelé le vaincu quel qu’il fût pour le féliciter…

Adam Thiam

 

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