L’agriculture telle que la pratiquait nos grands-pères a-t-elle, aujourd’hui, un avenir ? La question mérite d’être posée à l’heure où le nombre de bouches à nourrir a pris l’ascenseur et où notre environnement est en train de basculer au tout numérique à une vitesse vertigineuse. Si mon grand-père était encore de ce monde, pour de nombreuses raisons objectives, il n’aurait pas pu continuer à pratiquer sa bonne vieille technique d’agriculture itinérante sur brulis, comptant exclusivement sur la force du biceps de ses enfants, la daba et la générosité sans bornes de Dame nature. Il aurait compris, sans grande difficulté, que son exploitation dont la taille et le rendement suffisaient à asseoir sa réputation d’intrépide paysan dans toute la contrée, était promise inexorablement à disparaitre. « Autres temps, autres mœurs », dit-on couramment ! Après l’étape de transition marquée par l’omniprésence de l’encadrement et son discours sur l’équipement et les techniques, l’agriculture du continent se libéralise et s’essaie à l’agrobusiness. Cette forme d’agriculture n’est plus le terrain de chasse réservé aux grands fermiers blancs d’Afrique de l’Est et du Sud. Elle n’est pas non plus le privilège de grands capitaux étrangers qui ont investi massivement dans les cultures de rentes comme le coton, le café, le cacao, l’hévéa, etc. Ce modèle qui vise à réduire les coûts de production tout en boostant les rendements s’invite de plus en plus dans des exploitations tenues par des jeunes fermiers ambitieux. Sans être forcément tous issus d’universités européennes et américaines, ces nouveaux fermiers ont à cœur d’expérimenter dans leur terroir ce qui a réussi ailleurs. Et l’une des clés de la réussite de cette transformation qualitative est la maîtrise des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Il s’agit, essentiellement, de l’internet et la téléphonie mobile qui ont réussi, ces dix dernières années, une percée très spectaculaire sur le continent. A telle enseigne que les spécialistes et autres praticiens n’hésitent plus de parler d’ «agriculture 2.0 » pour désigner cette mutation en cours dont le chantre est le CTA. Selon les spécialistes, « le concept d’agriculture 2.0, suppose une agriculture dont la pratique intègre l’usage des TIC (Internet et téléphonie mobile en l’occurrence) en vue d’une optimisation de la production et des rendements. Découlant de la volonté des acteurs de ce secteur (et pas seulement) de mettre les TIC au service de l’agriculture, elle se manifeste entre autres, par l’utilisation des TIC par ces derniers dans leur travail quotidien ». Dans cette Afrique en marche, les nouveaux entrepreneurs du secteur vont à la pioche des informations météorologiques via leur smartphone ; ils se connectent aux marchés depuis leurs ordinateurs ; utilisent des tablettes tactiles pour découvrir les offres de machines-outils et passer commande. Une vraie révolution que mon grand-père ne comprendrait pas, lui dont l’horizon se limitait à la foire hebdomadaire distante d’une dizaine de kilomètres. Dans un vieil article publié par le CTA (Centre Technique de Coopération Agricole et Rurale, financé par l’Union européenne), que j’ai lu récemment, un de ces pionniers originaire du Nigéria s’exprimait ainsi : « J’ai été en mesure de travailler en réseau. J’y ai gagné, matériellement parlant… Les choses que, normalement, je n’aurais pas connues ou des choses que je n’aurai sans doute apprises qu’à l’école ou dans une bibliothèque, je les ai maintenant à portée de main. Je trouve du matériel de partout dans le monde sur mon téléphone portable ». Mais son frère ghanéen, taillé dans la même étoffe et mis en vedette dans un article du journal Le Monde, fait mieux. Joshua Ayinbora, c’est son nom, utilise un drone pour survoler sa plantation d’ananas. Le « volatile » lui ramène des images qu’il va exploiter pour « orienter son action sur le terrain, vérifier l’irrigation, ou constater des anomalies liées à des différences de traitement phyto sanitaires ». Cet agriculteur fait partie d’une poignée d’entrepreneurs africains qui ont été formés par Airinov, le leader français du drone agricole pour tenter d’implanter le modèle sur le continent. Il n’est pas peu fier de l’expérience : « Comprendre mes ananas est décisif si je veux atteindre mes objectifs de croissance. L’agriculture de précision est aujourd’hui indispensable pour minimiser les risques et maximiser les rendements ». Ces nouveaux fermiers originaires du Ghana, du Nigéria, de Tanzanie, d’Ouganda, du Bénin, de RDC… sont la tête de proue d’une nouvelle race d’exploitants africains qui donnent du sens à la Révolution Verte tant clamée par de nombreux leaders sur le continent mais qui tarde à sa concrétiser. Dans un second temps, selon les initiateurs du projet, il est prévu que ces leaders proposent leurs services aux paysans, aux coopératives, aux collectivités ou aux assurances. Ils pourront aussi solliciter Airinov, la start-up française, pour des analyses précises de données, notamment sur l’utilisation d’engrais. Enfin, afin de réduire les coûts pour les paysans, les vols (de drone) pourront concerner des regroupements de petits producteurs d’un même produit de quelque milliers d’hectares de rizières au Ghana ou de palmiers à huiles en Ouganda, où chaque producteur possède en moyenne 1,5 hectare. Si l’on admet volontiers que l’agriculture 2.0 n’est qu’à ses balbutiements sur le continent, il faut se réjouir quand même de l’engouement qu’elle suscite au sein de la profession et œuvrer, par conséquent, pour l’élargissement de la base de ses adeptes.
Serge de MERIDIO