La chronique de Tiekorobani : Ladji Bourama ou l’art de décider à reculons

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Les décisions de Ladji Bourama n’ont pas la longevité de Noé: elles meurent de leur belle mort en quelques jours. Pourtant, le patriarche donne l’impression d’un homme d’autorité. Un paradoxe fort saisissant…

Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK
Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK / AFP

Les Maliens ont, en 2013, plébiscité Ladji Bourama par 77% des voix. La raison ? De tous les candidats, il semblait présenter le plus de poigne, le plus d’autorité. Or il fallait un homme du genre pour redonner espoir à un peuple qui venait de perdre deux tiers de son territoire et qui, sans l’opération Serval, aurait pris ses jambes au cou devant les hordes de jihadistes. Pour mieux incarner son personnage, Ladji Bourama a su trouver les bonnes formules: “l’honneur du Mali”, “le bonheur des Maliens”, “le Mali d’abord, inch Allah”… Ce programme paraît un peu court aux yeux des intellectuels mais qu’importe ! Ces derniers ne constituent pas la majorité ! La majorité, c’est bien les bûcherons, les maçons et les paysans qui n’entendent qu’une chose : dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit. Et pour empêcher les sceptiques de se poser trop de questions, le candidat ne quittait pas ses boubous blancs de patriarche ni ne cessait de manier le subjonctif. Et puis, qui douterait des assurances d’un homme qui agite si souvent le doigt et écarquille si gros les yeux ?

 

Mais voilà: depuis 8 mois qu’il tient les manettes, notre éminent chef ne décide que pour mieux reculer. Il rétropédale à loisir, au point que l’on se demande s’il n’a pas inventé un nouveau sport olympique. On connaissait la marche à reculons, mais les décisions à reculons portent, elles, la marque de Ladji Bourama. Ses décisions vivent, en effet, la courte vie des lucioles:   entre la prière de l’aube et celle de midi, elles passent de vie à trépas. Vous en doutez ? Eh bien ! Je m’en vais vous rafraîchir la mémoire.

 

Avant de prendre ses fonctions, Ladji Bourama, dans sa première adresse au pays, remercie les Maliens de leur confiance. Et d’ajouter: “Tout ce que vous me verrez faire, ce sera pour le Mali.Quand il s’agira de confier des responsabilités, je ne regarderai pas les visages mais l’intérêt du Mali seul!”.

 

La promesse a le mérite de la clarté. Sauf que quelques semaines plus tard, on découvre que Ladji Bourama a consciencieusement scruté les visages avant de les mettre au gouvernement.Ni vous, ni moi ne sommes de la fête, n’est-ce pas ? Ce n’est pourtant pas faute d’exister sur terre depuis des décennies! Nous allons devoir patienter et, regarder, entre-temps, les proches du chef déguster, tout seuls, du petit lait. De fait, le gouvernement de 34 membres formé, le 8 septembre 2013, par Oumar Tatam Ly, se compose à 50% de militants du RPM, le parti présidentiel, et d’alliés du parti. A cet effectif, qui remplirait déjà une cour de récréation, il faut ajouter les vieux amis de Ladji Bourama, ces vieux de la vieille qu’on invite à manger quand on gagne au loto: Cheickna Seydi Diawara, ministre du Plan; Sada Samaké, ministre de la Sécurité, etc. Au premier Conseil des Ministres, Sada l’avoue volontiers : “Je sors du bois !”. Ensuite, il y a les amis des amis comme, par exemple, le disciple du Chérif de Nioro, Tierno Diallo, ministre du Culte…

Bon ! La puissante “Compagnie des griots et masseurs de pieds S.A.”, qui ne manque nulle occasion de gagner sa croûte, me retorquera que toutes ces têtes doivent leur nomination au hasard. Soit ! Mais le hasard cesse d’être un hasard quand il se répète. Or, le deuxième gouvernement de Ladji Bourama, nommé le 11 avril 2014, est du même tonneau que le premier : au Premier Ministre Moussa Mara, assurément trop heureux pour se lancer dans des marchandages, Ladji Bourama se contente de remettre une interminable liste d’amis (21 sur 31 ministres), la queue du bâteau gouvernemental étant remplie de rescapés de Lampedusa, pardon !, de victimes des derniers scrutins présidentiel et législatifs. Voilà pour les visages non regardés. Venons-en aux autres décisions du pèlerin national…

 

Ladji Bourama décide que son fils, Karim, n’entrera pas en politique. Un peu plus tard, Karim devient député en commune 2 de Bamako.Explications du père: “J’ai dû céder aux instances du Chérif de Nioro qui m’a fait valoir que Karim était un Malien comme les autres”. Fort bien.

 

Ladji Bourama n’a pas dit son dernier mot: il ne veut pas de Karim à la présidence de la commission “Défense” du parlement. Pourtant, le jeune homme arrache sans peine le morceau. Cette fois, nous dit le père, ce n’est pas le Chérif qui est intervenu, mais c’est le parti majoritaire qui a imposé son choix. D’ailleurs, comment douter des qualités de Karim ? Rien qu’à le regarder, on sent qu’il sort tout droit de l’Ecole de Guerre de Paris ! S’il avait occupé, dès le départ, le ministère de la Défense, nous n’aurions peut-être pas perdu Kidal. Mais passons…

 

Pour la désignation du président du parlement, Ladji Bourama a sa petite idée. Il charge son Premier Ministre d’alors, Oumar Tatam Ly,d’informer le groupe parlementaire du RPM de son souhait de voir le député de Ténenkou, Abdramane Niang, occuper le perchoir. Enorme surprise à l’arrivée : c’est Isaac Sidibé, beau-père de Karim, qui gagne la course. Bien entendu, Ladji Bourama nous sert aussitôt la même sauce d’arachide du Mandé : c’est le parti majoritaire qui l’a décidé. En toute démocratie. Qu’on n’aille surtout pas imaginer que Koulouba pèse d’un quelconque poids sur les décisions du parti !

 

Après la démission subite d’Oumar Tatam Ly, le pèlerin national décide de former un gouvernement de 20 membres. Histoire de faire des économies et, qui sait ?, de trouver rembourser les 20 milliards qu’auraient coûté le nouveau Boeing 737 de commandement. A l’arrivée, au lieu de 20, le Premier Ministre Moussa Mara se retrouve lesté d’une petite foule de 31 ministres. De quoi remplir un stade omnisports ! Ladji Bourama n’y est pour rien, bien sûr : la liste gouvernementale n’est-elle pas, selon la Constitution, proposée par le Premier Ministre ?

 

Il a suffi que l’achat du nouvel avion présidentiel suscite l’émoi public et un communiqué de ces “Hasidi” d’opposants pour que Ladji Boubarama rétropédale en vitesse. Il a toutefois beau battre en retraite, l’achat du Boeing ne peut être annulé. Il faut vite bidonner des discours pour endormir le bon peuple. Fort heureusement, Moussa Mara, fraîchement installé à la primature, est là : il a besoin de réaliser ses premiers faits d’armes et, pour tout arranger, c’est un spécialiste mondialement reconnu des arts…verbaux. Tout le contraire de son prédécesseur, Tatam Ly, dont on se demandait parfois s’il n’était pas sourd-muet. En lieu et place de son chef, Mara monte donc au créneau pour nous assurer que l’avion du “Vieux Commando” n’a pas de papiers et qu’on ne saurait faire voyager le président actuel dans un engin non identifié, de peur de voir Ladji Bourama débarqué, un jour, dans un aéroport avec bouilloire et tapis de prière. Aux dernières nouvelles, les papiers inexistants existent bel et bien : nos confrères du “Sphinx” ont publié, samedi dernier, les documents d’achat de l’avion que Mara n’a même pas pris la peine de brûler lors de son récent séjour à Kidal. Depuis, l’ineffable avionneur Mara observe un silence tombal. Un silence assourdissant

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Ladji Bourama, dès ses premiers jours à Koulouba, martèle qu’il ne négociera pas avec les groupes armés tant qu’ils n’auront pas été désarmés et cantonnés. Peu après, il leur envoie des émissaires et même son Haut Représentant, Modibo Kéita. Dans le même temps, il active une flopée de structures chargées de négocier: le ministère de la Réconciliation et la Commission “Dialogue, Vérité et Réconciliation”. Et les griots de chanter dans un très touchant concert: “LONU et la France obligent le Mali à négocier avec des bandits armés !”. Messieurs les batteurs de tambour se gardent cependant de nous dire pourquoi, après les avoir récusés, l’hôte de Koulouba consent finalement à reconnaître des médiateurs aussi suspects que le Burkinabè Blaise Compaoré et le Mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz.

 

L’attaque de Kidal ayant tourné à un retentissant fiasco, Ladji Bourama se hâte de dégager sa responsabilité. “Je n’ai pas donné l’ordre d’attaquer!”, jure-t-il sur le Coran. On le croit sur parole. Le problème, c’est que personne, dans son entourage, ne veut porter le chapeau de la défaite. N’allez pas le crier sur les toits mais il paraît qu’il s’agit d’un chapeau d’épines tressé ! Toujours est-il qu’à grand renfort de latin, de grec et de subjonctif, l’hôte de Koulouba enfonce de force le méchant chapeau sur la tête de son ministre de la Défense, Soumeylou Boubèye Maiga, qui, pourtant, avait déconseillé au Premier Ministre d’aller provoquer le diable rebelle qui se repose à Kidal…

 

Soumeylou Boubèye Maiga peut s’estimer heureux de garder sa liberté. Avant lui, des militaires putschistes avaient cru entendre, à la télévision, Ladji Bourama leur promettre son amitié, synonyme d’impunité : ils ruminent aujourd’hui leurs croyances entre quatre murs épais.

 

Tiékorobani

Commentaires via Facebook :

16 COMMENTAIRES

  1. On a 31 ministres là ou la France en a 16 , donc le Mali doit être l’un des pays les plus développés du monde pour avoir autant de ministres. Ce sont des alcoolo-amnésiques qui dirigent ce pays toutes leurs promesses n’engagent que ceux qui les écoutent .

  2. Ibk degage Mara menteur degage les ministres degagent un mali nouveau s annonce. Il faut placer le mali sous tutelle avec un president d origine etrangere. La revolution la revoluttion au mali on en a bsoin

  3. Il donne donne envie de lire. Encore et encore, écris des articles pour nous! Chapeau bas!

  4. Pour qu'on nous laisse tranquille ; restons unis soutenons le pouvoir en place .Kidal c'est le Mali Mara a bien fait de partir a kidal ;les maliens ont compris maintenant IBK est Kankeletigui il le restera les maliens ont confiance a lui il ne faut pas qu'on nous divise pour mieux nous contrôler comme les soi disant amis le font avec les bandits armées qui sont minoritaire le nord c'est pour nous tous et nous somme majoritaire trot c'est trot bientôt la limite; MR le soi disant ami.

  5. Merci Tiekorobani. La presse malienne,mediocre dans son ensemble, et surtout les lecteurs ont besoin d’une telle plume, toujours aussi tranchante et lucide …

  6. Et il écrit le français à faire pâlir de jalousie celui qui n’est pas fâché avec le subjonctif

    • Mais, KOUDIS, quel est ton problème? Tu n’as pas assez de stress avec ce président mafieux? Et tu veux que Tiokorobani aussi t’en donne de plus? 😆 😆 😆

      • Salut Evil, walayi ce journaliste a de l’humour… j’apprécie pas de souci 😆 😆 😆 😆 😆 Sinon avec IBK en ce moment, le sommeil est trop court 😆 😆 😆

  7. la seule solution au fiasco Malien est le changement de comportement.
    Le IABé continu de nous marteler et ce n’est que le début,il peu y avoir pire que ça. VIGILANCE CHER COMPATRIOTE.

  8. Tous les ingredients de Mara 91 sont reuni: la corruption,l’incompetence,Le mensonge d’Etat,Le nepotisme,Le vol,l’arongance a outrance,les crimes organises…Oh Peuple du Mali a quand la revolution?

  9. Hey ! Tout le monde va finir par comprendre que ce sont les soi-disant amis « les vrais coupable » !!! IBK à la corde au cou, il faut que tous les maliens le soutiennent, ils sont en train de l’étouffer par des actes hypocrites en dessous de table ! Tout le monde sait que Kidal n’est pas contrôlé par le mnla mais par les soi-disant amis. Le jour que le ministre de la défense malien a appelé du renfort à son armée pour aller à Kidal, les soi-disant amis ont envoyé une trentaine d’homme pour soutenir qui ? Comment est-il possible qu’à l’arrivée de ce soi-disant soutien de 30 hommes (il faut préciser que l’armée malienne était sur le point de les écraser totalement), l’armée malienne au lieu d’acquérir en force avec ce soutien c’est fait presque massacrer ? De quel côté était réellement le soutien on se demande ? Il faut arrêter de nous comprendre pour des cons ! Unissez-vous derrière IBK ! Arrêtez ces petites phrases hypocrites !

  10. “Ladji Bourama, dès ses premiers jours à Koulouba, martèle qu’il ne négociera pas avec les groupes armés tant qu’ils n’auront pas été désarmés et cantonnés. Peu après, il leur envoie des émissaires et même son Haut Représentant, Modibo Kéita (…) active une flopée de structures chargées de négocier: le ministère de la Réconciliation et la Commission « Dialogue, Vérité et Réconciliation »

    Du vrai talent!… 😉 😉 😉

    ” Toujours est-il qu’à grand renfort de latin, de grec et de subjonctif, l’hôte de Koulouba enfonce de force le méchant chapeau sur la tête de son ministre de la Défense, Soumeylou Boubèye Maiga, qui, pourtant, avait déconseillé au Premier Ministre d’aller provoquer le diable rebelle qui se repose à Kidal”

    Du grand talent!… 😆 😆 😆

    1 tiers d’humour, 1 tiers de pertinence, 1 tiers de lucidité, le tout savamment dosé. Secouer bien fort, laisser reposer, et servir frais!

    Telle est la recette de l’excellent “Cocktail Tiékorobani”!

    Bravo!

    • “Excellente analyse de nfp par rapport à l’analyse du Cocktail de l’excellent Tiékorobani”. Un vrai triumvirat 😆 pour décrire la situation(1 tiers d’humour, 1 tiers de pertinence, 1 tiers de lucidité le tout savamment dosé…) ! Lol !!! 😆

  11. Un talent certain,un texte bien
    agencé et bien agreable a lire.Au mali« les nouvelles sont mauvaises d’òu qu’elles viennent» kidal,examens mal prepares et l evasion collective de la prison, la meteo des mauvaises nouvelles ne doit pas s’ameliorer de si tot

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