Chronique : Les mangeurs de semences

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« Il avait plu ce jour-là, suffisamment pour que l’on sème. Curieusement, le marché de Tamasgo était animé, même si la seule marchandise disponible était la friperie. Soudain, une veille femme squelettique se mit à hurler : ‘’Ne voyez-vous pas qu’il a plu ! La terre va sécher bientôt. Nous la regardons se sécher.’’ Nombreux furent ceux qui quittèrent alors le marché les larmes aux yeux. […] Cette année-là, tout le monde avait été obligé de manger une partie des semences à cause de la famine.»

Cette scène caricature plus d’un homme dans notre pays en ce moment. Ces hommes, ce sont les maîtres cuisiniers, les apprentis mangeurs qui se rallient à la famille présidentielle et au RPM pour bénéficier des largesses du pouvoir. Ils cuisinent les semences de leur vie. L’honnêteté, le patriotisme, ‘’ça ne se mange pas’’ disent-ils. Ainsi, ils ont fait des valeurs cardinales qu’ils défendaient jadis, une soupe dont ils se servent à volonté, au mépris du peuple.

 

Comment deviennent-ils mangeurs de semences ? On commence par les placer à des responsabilités importantes. Ils commencent à devenir des hommes importants dans la société. Ensuite, leur train de vie commence à changer. Ils refont les salons de leurs maîtresses, achètent des Range Rover et de permis de conduire pour leurs femmes. Ils se mettent petit à petit à manger. Ils goûtent à la ‘’soupe présidentielle’’, et ils y prennent goût. ‘’Sur la table du roi, tout le monde y est invité’’ leur fait-on croire. Tant qu’ils se contenteront de manger,  alors ils mangeront à leur faim. Les plus virulents critiques du pouvoir actuel sont devenus ses fervents défenseurs. Beaucoup d’hommes politiques ont changé leur veste. Ils ont été invités au CICB ce samedi 21 mars dernier, en marge de la marche de l’opposition, pour soutenir un régime agonisant. Le mensonge et l’affairisme sont aujourd’hui leur sel, leur huile. Seulement, ils mangent généralement une fois et dans un bref temps, jusqu’au jour où le roi, IBK, jugera qu’il y a trop d’invités à table…

C’est alors la descente aux enfers, suivi de la publication de rapports sur leur gestion macabre à tel un tel poste, noir sur blanc. Le chantage atteint son paroxysme. Pour ceux ou celles qui décideront de contester la royauté, c’est à la prison centrale qu’ils iront se repentir. Autrefois sous Moussa Traoré, le régime dictatorial les aurait envoyés dans ses anciennes prisons à ciel ouvert, à Kidal, avant de les empoisonner. Mais sous IBK, on est dans un semblant de démocratie où le peuple est otage de son propre vote.

Ces hommes et femmes qui ont mangé la semence de leur vie, s’étonnent eux-mêmes qu’ils ont fait des ‘’je retiens’’ dans l’argent de la ‘’popote royale’’. Ils commencent à raser les murs de Koulouba, incapables d’obtenir une audience. Mais ils gardent encore l’espoir d’une promesse de promotion en tant que ambassadeurs ou directeur dans une société d’Etat. Comme ces braves paysans de Tamasgo, ils ont hypothéqué leur ‘’saison’’. On les indexe dans la rue à leur passage : « Lui là, c’est un ancien voleur de la république. Il a détourné des milliards par ci, par là ». Ils se consolent des souvenirs qu’ils ont gardés quand ils étaient encore aux affaires, à l’époque où ils étaient l’ombre du roi ou du ministre.

Les mangeurs de semences actuels mangent, bourrent leurs comptes, construisent des villas, envoient leurs enfant étudier à coût de dizaines de millions à l’étranger. Pendant que l’école malienne se meurt, le fils du pauvre contraint d’abandonner les études pour ‘’se chercher’’. Le malheur, c’est que  ces Maliens et Maliennes mangent les semences de leur vie, exactement comme ces paysans de Tamasgo en juin 1974 au moment où la famine faisait des ravages. Ils mangent pendant que le peuple s’appauvrit et tire le diable par la queue. Ils mangent pendant que l’arrogance et le mépris des autorités côtoient le chômage des jeunes. Pire, ils trouvent des arguments pour justifier leur comportement : « aujourd’hui tout le monde mange »’ ou « Si tu ne manges pas quelqu’un d’autre viendra manger à ta place ». Combien sont-ils ces fils de braves paysans respectueux et vertueux, à virer pour rejoindre le grand lot des mangeurs de la famille politique de IBK ? Puis après ? Ils deviennent des invertébrés moraux, des moins que rien comme une orange qu’on presse pour retirer le jus et jeter le reste par la suite, c’est-à-dire des loques humaines.

« Si pour les paysan de Tamasgo, il y a eu d’autres saisons qui leur ont apporté des semences ; pour nos ‘’mangeurs’’ il n’y a plus d’espoir de retrouver un jour la semence de la vertu, de la morale, du patriotisme. Ils ont mangé cette semence. Définitivement ». Quand on mange la semence de sa vie, on s’enterre définitivement et on meurt, bien vivant.

Henri Levent

 

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1 commentaire

  1. “….Quand on mange la semence de sa vie, on s’enterre définitivement et on meurt, bien vivant….” Paroles pleinnes de bon sens.

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