La Chronique du jeudi : Miroir aux alouettes

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« Boulevard Abdel Aziz Bouteflika. Les bruits s’échappant des moteurs des véhicules et motocyclistes se prolongeaient dans l’infini. Des nuées de fumée montaient vers le ciel. Le long de la route, des policiers habillés en chemise bleue, pantalon noir, le sifflet vissé aux lèvres. Des sotramas étaient là, dans l’attente de potentiels clients, qui arrivaient pour le moment au compte-gouttes. Dans le taxi, casquette rouge portée à l’envers, menton bouffée par des bichettes, le chauffeur me jetait souvent un regard à la dérobée mais buttait sur mon silence. « Depuis que Modibo Keïta est mort, les vieux ont détruit ce pays, a-t-il dit. »

Je lus sur son visage et dans sa voix qu’il attendait de moi une réaction. Mais je n’avais nullement envie de me départir de mon calme un rien olympien, et lui trouvais l’air trop jeune, comme moi d’ailleurs, pour parler ainsi du premier président du pays. Je n’avais pas aussi fait attention au morceau de rap qu’il avait mis à fond et qui parlait des jeunes. « Après, on nous a amenés la démocratie. Ce sont les blancs qui nous l’ont amenée. Mais on veut faire pire qu’eux. Regarde nos jeunes, ils font tout dans la démesure. Ils ne se rendent compte qu’ils ont bu que lorsqu’ils chient dans le froc et vomissent. A peine s’ils n’avalent la bouteille de whisky. »

J’avais l’esprit ailleurs. Depuis deux jours, le pays semblait aux creux de la vague. Hier soir, une bande d’officiers militaires étaient sortis à la télé pour annoncer que le pouvoir avait changé de main. Toute la nuit, des balles avaient claqué. Le président était porté disparu, et il se murmurait de plus en plus que l’idée d’installer un pouvoir kaki ne paraissait pas déplaire aux nouveaux maîtres du pays, qui se comportaient déjà tel un éléphant dans un magasin de porcelaine. Des hommes politiques étaient visés par une chasse à l’homme dont les canards faisaient leurs choux gras. Les militaires, dans leurs discours, brandissaient déjà au peuple le miroir aux alouettes d’une revanche sur les profiteurs du régime tombé. »

Boubacar Sangaré

 

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