Au Mali, c’est connu, personne n’a tort. Chacun a raison. Donc, tout le monde a raison. Tout le monde voit midi devant sa porte. Dit autrement, nous serions tous, en quelque sorte, sortis de la cuisse de Jupiter, n’ayant que des droits sans limites et refusant avec une obstination farouche que ceux-ci soient assortis de quelque contrepartie. Là-aussi, c’est bien connu, les devoirs, les obligations, les contraintes, les règles…, c’est pour les autres. Enfin, et je fais économie du reste des constats pour faire court, l’erreur et la faute, c’est toujours l’autre qui les commet. Soi-même, au mieux on sombre dans le confort douillet mais totalement naïf de celui qui est absolument irréprochable, et au pire on s’emmure dans une posture de victimisation perpétuelle. Mais de ce mode de fonctionnement [égoïste], sommes-nous réellement conscients ? Sans volonté aucune de conditionner votre questionnement, j’ai envie de répondre par la négative et, un tantinet provocateur, d’enfoncer le clou : nous serions une espèce à part dans un environnement pourtant très dynamique mais qui n’aurait aucune prise sur nous.
Je voudrais bien que ce grossier cliché ne soit que l’esquisse du scénario mal fignolé d’une fiction de Série B. Mais à beau analyser l’évolution chaotique de notre pays sous différents angles, j’en arrive toujours au même constat : il y a un problème malien. Sans aucune intention de nous comparer à un Néron s’extasiant devant le spectacle de la Ville éternelle qui s’embrase, je me risque à croire que nous développons une forme méconnue de narcissisme qui, progressivement, nous interdit toute empathie pour notre pays. Si nous prenons les années d’indépendances comme repère, il y a peu de place au doute : les maliens d’aujourd’hui sont aux antipodes de leurs devanciers qui débordaient d’amour pour leur pays, dont le patriotisme, par moments, culminait au chauvinisme.
Qu’avons-nous fait de l’héritage de nos pères ? Quel Mali sommes-nous en train de bâtir pour nous représenter dignement dans le concert des Nations ? Quel héritage allons-nous léguer à la postérité ? Serions-nous capables d’inscrire notre démarche dans le tempo normal du devoir de génération qui nous fait obligation de féconder par nos apports successifs le legs reçu et à transmettre ?
Honnêtement, malgré mon optimisme légendaire teinté d’idéalisme, j’ai des doutes. Je doute fort que, en prospérant dans la vaine dynamique de contestation, de destruction et d’exacerbation inutile des contradictions telle qu’elle se manifeste maintenant, nous soyons à même de nous relever, d’être dans les starting-blocks, de piquer le sprint pour coller au train des nations et de poursuivre ensemble le marathon de l’Histoire.
En nous inscrivant durablement dans le perpétuel recommencement, je doute que nous ayons d’autre perspective que l’absence de perspective. Autrement dit, l’impasse. Au lieu de privilégier les petits pas en avant, je fais l’amer constat que dans bien de domaines, nous privilégions les grands pas en arrière. Il y a comme un complot à l’interne qui, telle une force d’inertie, nous tire vers le bas. Il est toujours commode d’avoir l’accusation facile, mais très difficile de se convaincre que la cinquième colonne, si elle existe, c’est bien nous-mêmes. Il n’échappe à personne que le malien est devenu, au fil du temps, un loup pour son prochain, et a une forte inclination à se servir et à dévoyer sa mission pour l’accomplissement de laquelle il a prêté un serment.
En proie à un jeu dangereux des forces centrifuges et des forces centripètes, notre pays ressemble à un malade en manque d’oxygène. Le constat est flagrant qu’il lui manque l’indispensable accalmie à mettre à profit pour se réaliser à travers chantiers et réformes à aboutir. Les poussées d’adrénaline cycliques engendrées par les contradictions internes de toutes natures, couplées aux assauts des forces du mal ainsi que les coups de boutoir que ne manque pas de nous porter un environnement international très défavorable, constituent un cocktail détonnant. A l’évidence, notre planche est savonnée et nos jarrets coupés. Dans ces conditions, réaliser des performances olympiques équivaudrait à accomplir les 12 travaux d’Hercule.
Encore une fois, comme je l’ai écrit plus haut, je reste nécessairement optimiste. Mais cet optimisme a un coefficient de pondération : notre capacité à réussir le sursaut national par-delà nos chapelles d’appartenance dérisoirement artificielles et insignifiantes. Il nous faut aussi, et c’est vital, mettre le Mali au-dessus de toutes les contingentes qui peuvent opposer momentanément des individus, des formations politiques, des intérêts, etc.
Pouvoirs publics, entités socio-politiques et économiques de toutes natures et citoyens, il incombe à tous de créer, en toute responsabilité, les conditions d’un apaisement propice à la réalisation des vastes chantiers en jachère, à l’éclosion de nos talents ainsi qu’à l’expression de nos ambitions sur la scène internationale.
Les arguments, nous les avons en profusion. Et malgré notre propension à nous autoflageller, nous avons toujours démontré que si nous voulons, nous pouvons. Comme nous l’ont enseigné les sages, il nous faut, en toute humilité, réapprendre à nous relever lorsque nous trébuchons. Et malgré l’urgence des besoins, des quêtes et des requêtes, il nous faut nous éloigner de cet autre mal, la « revendicationnite », qui fonctionne sur le mode tout obtenir ici et maintenant.
On oublie volontiers que dans la marche d’une nation, tout ramener à sa modeste dimension personnelle et/ou catégorielle relève d’une vision à court terme susceptible de charrier, malheureusement, des éléments conflictogènes plus ou moins inflammables.
Soixante ans d’indépendance à l’échelle du temps, tout comme dans la vie d’une nation, c’est une broutille. Une peccadille. Mais en soixante ans, un pays et ses citoyens se forgent un destin, se fixent un cap et se donnent les moyens de l’atteindre. Peu importe les incidents et les accidents de parcours ! Evitons d’être ces mammifères au comportement irrationnel qui pratiquent le matricide, l’infanticide ou ces arthropodes dont certaines femelles tuent les mâles pour des raisons encore inconnues.
Pour l’amour du Mali et par allégeance à notre devise – Un Peuple, Un But, Une Foi – retenons nos coups !
Serge de MERIDIO