Pour les professionnels de l’information, 2020 s’annonce comme un rare millésime. Le mois de janvier qui vient de s’achever aura été le Graal eu égard à l’accélération et au télescopage de l’actualité. Cela donne une indication sérieuse sur ce à quoi les professionnels et le public devraient s’attendre : une actualité en mode surbooké. Les sujets fumants et chaud-bouillants se succèdant à la vitesse de l’éclair ; s’entrecroisant puis s’entrechoquant ; se chassant les uns les autres, puis fusionnant pour donner un magma compact qu’il faudra façonner pour en extraire la substance : l’information finie dont raffole un public devenu très exigeant et surtout peu enclin aux efforts.
A ce jeu, les journalistes et associés sont rodés même si, parfois, leurs nerfs, leur corps et leurs ressources sont mis à rude épreuve. Si vous officiez dans un quotidien ou dans un journal en ligne, vous êtes en Cinq Etoiles pour traiter le flux discontinu de l’actualité. Ailleurs – bi-hebdo, hebdo, mensuel ou autres -, au pire vous êtes en auberge et au mieux en motel pour tenter de coller à la frénésie de l’actualité. Ce faisant, vous vous coltinerez toujours au dilemme cornélien de la hiérarchisation et du choix déchirant des sujets à traiter… puisque vous êtes forcément plus limités en termes d’espace rédactionnel.
Quatre sujets qui vont avoir des prolongements plus ou moins prégnants durant les mois, années et décennies à venir, m’inspirent ces réflexions. Il s’agit de l’« épidémie de Coronavirus chinois », le Brexit, le procès en destitution du président américain Donald Trump ainsi que son fameux « Deal of the century » dont l’annonce a été plusieurs fois reportée.
Coronavirus. Le jeudi 30 janvier, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) décrète l’urgence sanitaire mondiale. La Chine s’est battue bec et ongles pour empêcher l’organisation onusienne de franchir ce pas, mais rien n’y fit. Pour l’organisation basée à Genève, « l’épidémie de coronavirus venant de la ville de Wuhan est désormais une urgence sanitaire mondiale, reconnaissant ainsi que la maladie représente à présent un risque au-delà de la Chine, où elle est apparue le mois dernier ». Entre-temps, la situation a empiré : 260 morts, plus de 10.000 contaminés et surtout la peur-psychose qui s’abat sur le monde entier. De nombreuses compagnies aériennes, ferroviaires et de bus boudent la Chine ; des Etats rapatrient leurs ressortissants à tour de bras et plusieurs voisins (Russie, Mongolie, Inde, Japon, Kazakhstan, Sri Lanka, Philippines, Malaisie, Singapour, Vietnam, etc.) se barricadent ou suspendent l’octroi de visa aux touristes chinois. Progressivement, malgré ses efforts louables, la Chine est pointée du doigt et mise en « quarantaine ». Une situation détestable pour l’égo du Dragon asiatique.
Brexit. Aux douze coups de minuit, dans la nuit de vendredi à samedi, le Royaume-Uni a coupé les liens de 47 années de mariage avec l’Union Européenne aux termes d’une saga épique riche en rebondissements. Si Big Ben est resté muet au grand désespoir des Brexiters pur jus, des milliers de partisans du « Leave » ont accueilli l’événement historique par des applaudissements et l’hymne britannique devant le Parlement à Londres. Selon de nombreux médias, une foule compacte rassemblée autour du palais de Westminster a scandé le compte à rebours dans les 30 secondes précédant 23H00 locales, et a laissé éclater sa joie en applaudissant, lâchant des ballons dans le ciel et échangeant des embrassades. Pour le Premier ministre Boris Johnson et le chef du parti du Brexit, Nigel Farage, c’est le jour de gloire. Coutumier des excès, à l’image de sa sortie chahutée de l’hémicycle du Parlement européen le jeudi, Nigel Farage s’est écrié : « La guerre est finie, nous l’avons gagnée ». Tout à leur joie, les brexiters britanniques feignent d’ignorer l’ampleur de la déchirure et des déchirements de la séparation. Une fois passée la gueule de bois de la fête bien arrosée, ils devront affronter les exigences du divorce tout au long de la période de transition qui pourra s’étirer sur deux ans. Le Royaume-Uni devra notamment honorer ses engagements vis-à-vis de l’Europe en décaissant la rondelette enveloppe d’environ €40 milliards. Mais il devra aussi faire face aux velléités indépendantistes de l’Ecosse qui regarde vers l’Europe avec les yeux de Chimène.
Impeachment. Donald Trump sauve sa peau. On peut le dire ainsi puisque le Sénat dominé par les républicains oppose un niet catégorique à l’audition de John Bolton, l’ancien conseiller à la sécurité national, dont le livre à paraître enfonce davantage le 45ème président des Etats-Unis. Avec son armada de « lawyers », l’administration Trump se bat pour que le « torchon » de John Bolton ne paraisse jamais au motif qu’il contient des informations « classées au niveau top secret ». Or, selon les extraits fuités dans le New-York Times, l’ouvrage de « M. Moustache Blanche » met rudement à mal l’une des principales lignes de défense du président américain dans l’affaire ukrainienne. Qu’importe l’issue du procès qui semblait écrit d’avance, on va devoir se taper encore ce dirigeant atypique qui veut refaire le monde à son image, en marchant sur les hommes, le multilatéralisme et la convivialité diplomatique. Son horizon, avoir enterré définitivement l’Impeachment pour le 4 février où il s’autocélébrera à l’occasion de son discours sur l’état de la nation, et renouveler son bail à la Maison Blanche le 4 novembre 2020.
Le « Deal du siècle ». Il était très attendu, mais nul ne se faisait d’illusion à son sujet. Les architectes du plan, Jared Kushner, gendre et premier conseiller du président américain, et toute son équipe, c’est connu, sont à la botte d’Israël et de Benyamin Nétanyahou. Lequel, mardi à la maison Blanche, buvait du petit lait. Tout dans ce plan est fait pour lui sauver la mise, empêtré qu’il est dans des dossiers judiciaires, et devant affronter en mars des élections cruciales pour sa survie. Outre les concessions majeures qu’il fait à l’Etat Hébreu sur le plan des colonies et du grignotage des territoires occupés, le plan Trump douche définitivement l’espoir des Palestiniens d’avoir leur Etat dont la capitale serait Jérusalem. Tout au plus, leur accorde-t-il un Bantoustan digne de l’ère de l’Apartheid en Afrique du Sud, avec un tunnel qui relierait Gaza aux bandes émiettées de la Cisjordanie. Extrême humiliation, il leur fait miroiter des investissements de l’ordre de $50 milliards sur 10 ans. C’est à croire qu’avait Trump, la cause palestinienne est définitivement enterrée et, avec elle, le droit international. Le plus choquant dans l’histoire, c’est le silence gêné des uns et la couardise des autres. Et les frères arabes ? Pour l’essentiel, ils rentrent sagement dans les rangs, la peur au ventre, avec l’espoir que la grande Amérique et Israël les sauvera de l’envahisseur iranien. A vrai dire, le plan Trump de résolution du conflit isralo-palestinien est un grand bide, le « Bide du siècle ». Et on a envie de dire : « Tout ça pour ça !»
Serge de MERIDIO