Etudiant dans les années 80 et au début des années 90, j’avais un rêve : m’envoler vers l’Australie et la Nouvelle-Zélande pour poursuivre mes études et surtout me faire un nom dans ces contrées lointaines. J’aspirais à une formation solide et innovante qui me donnerait les clés du monde. Je voulais non pas jouer dans la cour de récréation avec des sommités de la diaspora africaine, puisque je n’étais pas de la même génération que mes idoles d’alors, mais je voulais, au moins, les côtoyer à la cafétéria du coin ou dans les couloirs d’une conférence, au gré d’une rencontre fortuite, pour me faire une idée de la forme de leur crâne de savant.
La simple évocation de leurs noms m’emplissait de fantasmes indescriptibles. En creusant dans ma mémoiretraîtresse, je retrouve, pêle-mêle, les noms du journaliste guinéen Siradiou Diallo ; l’historien congolais Elikia M’Bokolo ; des fiertés maliennes aux USA, Madiassa Maguiraga et Cheick Modibo Diarra (NASA), le physicien Dr. Diola Bagayoko, le monumental homme de culture Manthia Diawara, et des plus jeunes comme le mathématicien Dialla Konaté de Virginia Tech.
J’allongerai encore un peu plus ma liste en citant d’autres brillants esprits africains comme le philosophe camerounais Achille Mbembe, le Professeur d’architecture Oussouby Sacko, président de la Kyoto Seika University (Japon), le Professeur de sociocriminologie Boniface Diarra de l’Uqam (Québec), le brillant homme d’affairesMalamine Koné ; la députée bruxelloise d’origine malienne Fatoumata Sidibé, l’eurodéputée italienne d’origine congolaise Cécile Kyengé qui était dans nos murs, cet été, pour observer les deux tours de l’élection présidentielle, et tous ces binationaux maliens de France qui contribuent qualitativement à la marche de ce pays… J’en oublie volontiers !
Mais je serais pendu haut et court si je n’évoque pas dans ce listing la mémoire de Cheick Anta Diop et de Joseph Ki Zerbo ainsi que leurs nombreux disciples qui ont choisi de retourner sur le continent pour professer leur science.
Curieusement, je suis loin d’éprouver le même peps en décidant de vous parler dans la présente chronique de lasuccess-story de la belle et jeune Assita Kanko, femme politique belge d’origine burkinabè jusque-là encartée au MR (Mouvement réformateur), le parti du Premier ministre Charles Michel, dans lequel elle avait un mandat de conseillère municipale à Ixelles, l’une des plus importantes communes de Bruxelles.
Au milieu de la semaine dernière, cette journaliste née au Burkina Faso en 1980 qui a, par la suite, atterri aux Pays-Bas puis en Belgique où elle est entrée en politique, a quitté le MR pour grossir les rangs de la N-VA, le parti nationaliste flamand dirigé par le truculent Bart De Wever.
Au pays des frites et de la bière, c’est un mini séisme qui a motivé le très vénérable quotidien bruxellois Le Soir à rencontrer la jeune dame et lui « tirer les vers du nez ».
Il faut croire que le timing de ce « nomadisme » n’est pas fortuit puisque, à la veille de la signature du Pacte mondial sur les migrations (Nations Unies) le 10 décembre dernier à Marrakech, la N-VA a claqué la porte de la coalition gouvernementale pour marquer son désaccord avec le Premier ministre qui s’est rendu au Maroc.
Avec le départ des alliés de la N-VA, le gouvernement Michel est si fragilisé que les observateurs se demandent s’il ne va pas tomber avant les législatives de mai prochain. Dans ces conditions, que vient chercher une africaine dans une formation politique nationaliste, qui surfe sur les thèmes proches de celles défendues par l’extrême droite xénophobe et anti-immigration ?
Je lis et relis l’interview d’Assita Kanko, salue son courage, apprécie l’évolution de sa pensée… mais ne comprends toujours pas qu’elle puisse rejoindre la N-VA. Ou, probablement, c’est moi qui ai un blocage qui m’interdit de comprendre la jeune femme quand elle déclare « Je fais le choix d’un parti direct, qui n’est pas flou, n’a pas de tabou» et, lorsque déclarant sa flamme aux nationalistes flamands, elle se dit « très heureuse… de rejoindre la N-VA ». Et d’indiquer que « C’est un choix qui vient du coeur. J’ai envie de m’investir, au sein de la N-VA pour défendre les valeurs des Lumières, la liberté de penser, la liberté d’expression, les droits des femmes. Et contribuer au débat politique. Avec franchise ».
Sans être une grosse prise, Assita Kanko ne représente pas moins une belle prise pour la bande à Bart De Wever qui, sans se tromper, est lancée dans une grosse opération de communication voire déjà en campagne avec deux objectifs clairement affichés : faire tomber la désormais très fragile coalition au pouvoir et rafler la mise aux prochaines élections législatives.
En a-t-elle les moyens ? Les électeurs se laisseront-ils séduire par cette espèce d’ouverture sur la diversité ? Rien n’est moins sûr. Par contre, stratégiquement, le parti flamand réussit un grand coup psychologique lorsqu’il exhibe sa nouvelle prise qui fait preuve d’un courage hors du commun en affirmant « J’ai choisi la N-VA en connaissant son programme et ses positions. Si on n’a pas réussi à trouver une solution au niveau européen, dans ce dossier de la migration, je trouve présomptueux d’aller signer un pacte mondial et de penser que le lendemain, abracadabra, tout est en ordre… C’est se faire des illusions. Il faut être plus ambitieux que ça. Il faut chercher des solutions en Belgique et au niveau européen.
Il faut aussi pouvoir parler de l’intégration, je ne comprends pas pourquoi c’est tellement tabou. Alors que c’est simple. Il ne faut jamais oublier que les lois sont supérieures à la religion. Il faut savoir à qui on est loyal : au pays où on est ou bien à un pays étranger ? Il n’est pas normal qu’on puisse donner des consignes de vote depuis la Turquie.
Il y a des valeurs fondamentales dans la Constitution, il faut y revenir. C’est une histoire positive. Plus les gens ont la possibilité de s’intégrer, plus ils peuvent trouver une place dans la société. A Bruxelles, il faut avancer sur le parcours d’intégration, comme le fait Geert Bourgeois ».
Tout est dit dans ce morceau choisi. Le patron de la N-VA Bart De Wever, le secrétaire d’Etat à l’Asile et aux Migrations démissionnaire Theo Francken et toutes les grosses huiles de la N-VA jubilent d’avoir débauché Assita Kanko et de fragiliser davantage Charles Michel.
Pour ma part, je serais hyper heureux de rencontrer cette jeune femme non pas pour succomber à ses charmes, mais pour jauger son courage et sa liberté d’esprit. Ceci est donc une demande d’interview que je vous prie de relayer à Assita Kanko qu’il me plairait bien de rencontrer si jamais elle passait par Bamako, Bobo-Dioulasso ou Ouagadougou.
Serge de MERIDIO