Les médias publics ont l’âge et les travers des Etats africains, jeunes de cinquante ans, poussifs dans la construction de vraies nations et hostiles, dans le fond, à la démocratie. D’ailleurs, l’Etat patrimonial n’a jamais été aussi présent que dans ce domaine qui, une fois passés les vents des revendications démocratiques, a renoué avec ses tares congénitales comme si le mal était irréversible.
Même le terme de médias publics à la place de médias gouvernementaux comme on les appelait au temps du parti unique était une concession léonine à l’époque. A l’exception notable de moins de quelques pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya, le Bostwana, le Nigeria, les Seychelles, télévisions et radios publiques ont presque partout, sur le continent, la même morphologie et la même anatomie. Morphologie : les plages publicitaires, spots après spots avec les mêmes comédiens qui recommandent tour à tour un produit et celui de la concurrence, tiennent lieu de vraies émissions plutôt que d’intermèdes entre les programmes.
Les journaux télévisés, issus d’un métissage monstrueux entre le nombrilisme du Troisième Reich et l’intox des démocraties populaires, sont tous les mêmes de Dakar à Khartoum et de Tripoli à Luanda, en passant par Bamako, Bissau, Lomé ou Niamey. Il n’y a que le logo et la présentatrice qui changent. Les programmes supposément dédiés au débat contradictoire restent des juxtapositions de monologues. Pour le reste, il est fait appel sans modération aux clips locaux, aux matchs de la Liga et aux opéras flavelah. Quant à l’anatomie, partout l’encadrement est le même : prépondérance de l’institutionnel, censure de la diversité, rareté de la contradiction, évaluations biaisées, écrasement du mérite et préférence nettement affichée pour les larbins.
Le phénomène est renversant surtout au Mali où durant la transition les médias publics avaient paru prendre leur indépendance, pour de bon. Vingt après, le constat a quelque chose de déprimant que le recul résulte de l’autocensure ou de la censure. La frontière entre ces deux sources d’inhibition est si ténue ! Et la pédagogie en démocratie consistait plus à structurer l’émancipation des médias publics qu’à s’accommoder de leurs velléités. Peut-être Alpha Oumar Konaré s’expliquera t-il un jour sur les raisons pour lesquelles la dynamique de changement dans les médias publics n’a pas été pilotée ainsi qu’elle le fut dans certains autres segments importants de la vie publique ?
Peut-être, à un an de la fin de l’actuelle décennie qui était placée, rappelons-le, sous le signe de la consolidation des acquis démocratiques, Amadou Toumani Touré va-t-il mettre un point d’honneur à déverrouiller Bozola ? L’arrivée de Baly Idrissa Cissoko à la tête de l’Ortm est en tout cas une opportunité pour aller à la nécessaire libération des médias publics. Sera-t-il l’homme du changement ? Son parcours ne l’y prédispose pas. Pas plus que sa tutelle n’est une tutelle de rupture. Mais un président peut beaucoup dans nos Etats. En tout cas, si la prolifération de la presse privée reste un indicateur important, la vraie mesure du projet démocratique réside dans le degré d’indépendance des médias publics. Nous ne le disons pas pour la première fois. Mais nous souhaitons le dire pour la dernière fois.
Adam Thiam