Généralement, les quatre V désignent : villas, voitures, vergers, virements. Ces indicateurs de la fortune personnelle seront encore valables pour 2012 car l’argent reste le nerf de la guerre dans toutes les campagnes, militaires, publicitaires ou électorales. Et surtout chez nous où il est devenu à la politique ce qu’est l’aimant à l’acier. Mais les quatre V peuvent aussi être : virage, vote, valeurs et visages. Pour le virage, nous y sommes presque et tout ce que nous devons faire d’utile et d’indispensable se ferait mieux en 2011 qu’après.
Il est vrai, pour certains observateurs, l’échéance électorale de 2012, qui dans notre démocratie doit être une « constante », pourrait dépendre de variables-clés comme la révision constitutionnelle, la situation du Nord et le contexte sous-régional. Ces facteurs vont compter. Mais il est simplement surréaliste de penser que la présidentielle n’aura pas lieu à cause de la révision constitutionnelle ou de la fumeuse hypothèse de l’homologation des mandats électifs.
Pour deux raisons : il y avait un moyen bien moins laborieux pour le président de rester au pouvoir s’il le cherchait et ensuite, la constitution malienne est limpide sur le mandat du président et des députés. La situation au Nord est sans conteste un paramètre important. Mais d’abord, le septentrion n’est pas indomptable et ensuite, nous avons bien pu faire les élections en 2002 sans Kidal. S’agissant du contexte sous-régional, nul doute qu’il constitue un facteur à intégrer, mais il n’est pas rédhibitoire. Il influencerait simplement la qualité du vote chez nous. Et ça c’est le deuxième V. Quelle qualité de vote, en effet, aurons-nous ? La meilleure jusque-là ? C’est possible mais mieux ne veut pas dire bien.
On ne peut pas être démocrate et ne pas souhaiter que se passe chez nous le genre d’élections tranquilles qui ont fait, en partie, la réputation du Ghana et du Cap Vert. C’est de l’ordre du possible mais moins du plausible, car il faut trancher pour de bon le problème du fichier électoral, susciter un taux de participation triomphal, faire des élections propres et aux résultats acceptés par des adversaires qui peuvent être des gentlemen tout de même.
Or sans jouer aux cassandres, nous répétons qu’en 2012 nous aurons toutes les menaces de 2002 mais aucune de ses opportunités. A bon entendeur salut ! Quant aux valeurs, le projet démocratique reste notre seule boussole vers le cap d’un « Mali émergent ». Or ce projet ne peut être cosmétique, c’est-à-dire accroché aux armoiries de la démocratie sans la substance et sans la finalité. Il y a des acquis et de grands espaces pour être plus performant. La démocratie est une éthique et une morale, un processus et un bilan.
Qui portera ces valeurs en 2012 ? Réponse : ceux qui disent déjà qu’ils seront de la partie si Dieu le veut ; ceux qui ne disent rien mais que tout le monde juge partants ; ceux qui sont partants mais qui n’ont pas l’habitude de le dire longtemps à l’avance ; et ceux qui y seront pour le CV ou juste pour amuser la galerie. Commençons par ceux-ci. En 2007, nous n’en n’avons pas eu parce que le contexte n’est pas le même pour un président candidat à sa succession que quand ce président n’est pas candidat.
La cuvée 2012 ressemblera alors plus à celle de 2002. Vingt quatre candidats donc ? Non, les conditions sont devenues plus strictes mais il faudra compter avec les électrons libres. Question taraudante : est-ce que l’Islam politique présentera un candidat ? Institutionnellement non, le précédent du FIS algérien ayant été intégré presque partout. Ce qui ne veut pas dire que le lobby devenu plus puissant de l’Islam politique n’aura pas de contrat avec un candidat ordinaire ou qu’un candidat battant pavillon « croissant vert » ne soit pas dans la course pour Koulouba. Le plus attrayant n’est pas ceux qui abattent dès maintenant leurs jeux comme IBK et Soumaila Cissé. Chacun sait, sauf cataclysme, qu’ils seront dans les starting-blocks comme en 2002 pour les deux et en 2012 pour IBK. S’il évalue son parti, IBK aurait des raisons de s’inquiéter car les législatives et les communales passées l’ont vu perdre beaucoup d’élus.
Mais non seulement l’élection malienne n’est pas un thermomètre fiable mais en plus l’homme sait qu’il plaît et qu’en cas de second tour, ses chances seront des plus grandes. Soumaila Cissé fera, lui, une lecture optimiste de l’évolution de son parti depuis 2002. Il revient, en plus, au pays avec un carnet d’adresses important et une plus grande familiarité avec les présidents de la sous-région. La caution politique et l’accès aux moyens qui pourraient en résulter ne peuvent laisser indifférents. Mentionnons également l’ancien premier ministre Soumana Sacko et Cheick Modibo Diarra. Le savant vient pour la première fois dans l’arène politique, il a son prestige, ses réseaux et sa belle famille. Il lui fera cependant faire en sorte que ses atouts ne soient pas des handicaps.
L’ancien Premier ministre n’a occupé aucune fonction sous la IIIè République. Il est parti de la IIè République avec l’éclat que nous savons et il a été le vrai Premier ministre d’une transition aboutie. Il porterait donc volontiers un discours de rupture qui pourrait plaire aux jeunes. Mais n’oublions pas, il y a ceux qui n’ont encore rien dit et qui pourraient y aller.
Dioncounda Traoré est de ceux-ci, Modibo Sidibé également. Que le président de l’Adema soit proposé par le directoire du parti et le reste sera un jeu d’enfant puisque c’est un comité d’investiture qui devra après plancher sur le cas. Et quoi qu’on dise, son parti reste le plus grand. Le candidat sera alors aidé par le président de l’Assemblée nationale qui se trouve être…lui-même. Donc s’il a trébuché à Nara, il peut rayonner sur le pays grâce à son parti que sa candidature, anticipons-le, ne laissera pas intact.
Modibo Sidibé ! Il n’a jamais rien dit mais sa candidature a paru naturelle après une telle longévité institutionnelle qui l’a fait survivre dix ans à tous les remaniements du méticuleux Konaré et huit ans – à l’heure où nous écrivons- à tous les pronostics de naufrage sous le flegmatique Touré. On aura même vu son arrivée à la primature comme un tremplin sur Koulouba malgré l’altitude. Ses chances ? Elles sont grandes dès qu’il décidera d’y aller, car il n’y ira pas sans parrainage.
Le fameux obstacle du déficit social ? Il ne tiendra pas longtemps pour quelqu’un qui tout en étant ministre de la République vécut une dizaine d’années dans la maison paternelle et dans un quartier populaire de surcroît. A son endroit, on peut cependant sortir la question que Konaré candidat en 1992 posa à Tieoulé Konaté « sur quelles forces politiques s’appuierait t-il » ? Dans la catégorie de ceux qui ont été candidats sans avoir eu à le claironner, il y a les multirécidivistes de la présidentielle : Tiébilé Dramé et Mountaga Tall qui, lui détient le record historique de la discipline.
Le fait que Dramé était prêt et l’est peut-être encore à faire fusionner son parti avec l’Adema indique peut-être qu’il a tiré les leçons du passé. Car même s’il fut quatrième depuis 2002, ce ne fut jamais qu’avec un score qui ne pouvait en faire un arbitre. Il sait qu’aller à l’Adema réduisait ses chances d’être candidat quelle que soit sa grâce. A la tête du Parena, ce serait différent et ce qui lui manquerait alors ce sera moins le programme que le nerf de la guerre.
Ce même nerf de la guerre dont Me Tall, dans un discours nouveau qui fait mouche au sein des chancelleries, s’interroge sur le rôle de l’argent sale dans la compétition de 2012 et qui ne serait pas du tout amoindri, au contraire, par la « légalisation du mariage religieux » obtenue semble t-il dans le nouveau projet de code de la famille.
Mais le Cnid quoi qu’on dise ne sera pas renforcé par le départ de N’Diaye Ba et de ses proches. Il en sera plutôt affaibli. Reste alors la jeune génération : Moussa Mara et Tieman Coulibaly, entre autres. On pourrait penser que sociologiquement, le temps est venu pour l’actuelle génération de leaders de passer la main aux cadets mais c’est plus probable pour 2017. Et pour compter à cet horizon-là, il faudra avoir subi le test de 2012 et du bon côté. Il n’y aura pas d’Obama en 2012 au Mali, pour tout dire.
Adam Thiam