Chronique du Vendredi : Les dinosaures ont toujours longue vie

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Deux truismes : premièrement en politique, il n’y a pas de génération spontanée ; deuxièmement, le slogan de changement est plus souvent dans la bouche des candidats que dans le vote des électeurs. Et la Côte d’Ivoire en fait foi. On aurait pu penser et d’ailleurs cela avait été dit dans certains cercles que le trio qui mène le bal en Côte d’Ivoire faisait plus partie du problème ivoirien que de sa solution et que par conséquent Gbagbo, Ado et Bédié paieraient cher pour cela.

Or, aucun nouveau politique ne sera au second tour, donc n’a de chances de siéger à Cocody. Pire, Mabri Toikeusse le quatrième choix des urnes ivoiriennes est à moins de 3% des suffrages exprimés, environ dix fois moins que Bédié le troisième du scrutin. En Guinée également, où certains des vingt quatre candidats étaient nouveaux et tenaient un discours de rupture, – dont le cas très marqué de Abbé Sylla- le futur président ne sera pas une figure nouvelle. Alpha Condé, certes n’a pas gouverné mais il n’est pas du tout un inconnu. Idem pour Cellou Dalein Diallo contre lequel on aura en vain crié à la restauration.

Au Burkina qui vote dans quelques jours, on imagine mal, de la même manière, l’électeur qui recalera Compaoré au motif que le pays l’a assez vu. Et même dans les années 1990 où le vent pluraliste charriait comme un désir de renouveau, très peu de présidents nouveaux étaient sortis des urnes. Est-ce là que le continent a raté son tournant ? Qu’il n’a pu renouveler ses générations de leaders à cause de l’effet ventouse qui a fait jouer à plein régime la solidarité du « syndicat »?   Les dinosaures ont toujours longue vie en politique.

C’est partout pareil et si l’Occident semble parfois faire exception à cette règle d’airain en faisant émerger de nouveaux leaders porteurs ou supposés porteurs de nouvelles valeurs, il réussit à les imposer par le jeu de partis aux idéologies parfois retrempées et le plus souvent revisitées. Il en va ainsi de Tony Blair du New Labour puis plus tard de Jeff Cameron avec un conservatisme teinté de centrisme, de Nicolas Sarkozy et sa droite de rupture, de Barack Obama au sein d’un parti démocrate en quête de grue pour déménager de la Maison Blanche un président au plus bas de sa popularité. Dans l’Afrique post-baulienne, les partis ont plus souvent les convictions de leurs « propriétaires ».

Les références idéologiques, si elles existent, ne sont pas suffisamment mises en relief. Mais, ce n’est pas tout. La sociologie véritable de l’élection reste à faire sous nos cieux. Elle est la seule qui nous permettrait de mesurer réellement les raisons de la mobilisation, les causes de l’abstention et le profil de l’électorat. Au Mali qui nous intéresse ici, cette approche scientifique de la consultation populaire – pierre d’angle de la démocratie libérale que nous avons adoptée après mars 1991 – est une nécessité. D’abord parce que les citoyens ne doivent pas accepter la banalisation ou le ravalement de l’action politique.

C’est celle-ci qui fait une ville, un pays et une nation. Donc la politique est une activité de la plus grande noblesse. Ensuite, mieux comprendre le comportement et les attentes des citoyens, c’est justifier les milliards investis dans l’élection. A moins que la corruption du processus électoral n’ait été silencieusement cooptée comme moyen d’accéder au pouvoir, donc à la servitude publique et à ses rares grandeurs. Enfin, une intelligence fine de l’électorat peut renseigner la stratégie devenue nécessaire chez nous de la relève politique.

Car en 2012, et parce que le travail en amont n’a pas été fait, nous n’avons pas beaucoup de chances d’avoir un président élu à 45 ans comme en 1992. Justement parce que la génération spontanée n’existe pas en politique et parce que le changement est plus souvent un slogan de candidat qu’une préoccupation des votants. Mais notre vivier actuel de leaders arrive bientôt aux limites historiques de sa mission et celles biologiques de l’énergie et de l’enthousiasme, ces paramètres incontournables d’un pays à défis comme le nôtre.

Adam Thiam

 

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