Chronique du Vendredi : Le bistouri Daba

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L’éminent juriste à la réputation d’intégrité qu’est Daba Diawara va finir par penser que nous lui cherchons des poux dans la tête, tant son rapport nous passionne. De notre part, il n’y a cependant aucune animosité. Au contraire, notre respect envers lui et sa méritante équipe est sauf. Il faut même profiter de cette chronique pour le féliciter de la confiance que le Président de la République vient de lui renouveler en le nommant le 11 décembre, avec l’autorité et le rang requis, à la tête du Comité d’Appui à la Réforme Institutionnelle, (CARI) suite logique de la réflexion menée par la même équipe pour la consolidation de notre processus démocratique.

Mais nous sommes en démocratie, donc sur le lieu, par essence, du débat, de la contradiction et même du désaccord à condition de le faire dans un but constructif et avec courtoisie. Il s’agit donc de débattre, dans le sens où l’entend Stéphan Bolle, le maître de conférences en droit public auteur du premier regard international jeté sur le travail de la Commission. Pour cet universitaire « les lois fondamentales africaines se font, se défont et se refont au carrefour de l’universel et du singulier ». Mais prévient-il, il serait « erroné et préjudiciable à l’objectif de consolidation de la démocratie de banaliser les conclusions du rapport Daba Diawara La relecture proposée de la constitution du 25 février 1992 changerait son visage sur bien des points ». C’est exact, bien dit et bien noté.







BESOIN DE CLARIFICATION. Selon le décret présidentiel le créant, le CARI du 11 décembre (cette précision est utile, en raison du risque possible de confusion avec le Cari du Ministère de l’Agriculture), a deux missions. L’une est d’élaborer l’avant-projet de loi portant révision de la Constitution. L’autre est d’élaborer des projets de textes de mise en œuvre des mesures retenues par le président de la République pour la consolidation de la démocratie au Mali, en rapport avec les ministères concernés. Les questions sont donc celles-ci : y a-t-il déjà certains points retenus par le Président de la République, ce qui suppose que d’autres ont été rejetés ? Si oui quels sont-ils ? Ou faut-il simplement comprendre que ce travail sera fait au fur et à mesure ?

Bien entendu cette clarification pourrait venir de la Présidence de la République elle-même. Mais, que le président du Cari, le fasse, n’aurait rien de répréhensible. Au contraire, en le faisant sous la forme d’un point de presse introductif de sa nouvelle mission, il instaurerait un espace de restitution avec les médias qui pourrait se révéler utile pour la suite. Car la mission qui lui est confiée étant de la plus haute importance pour l’avenir de la démocratie malienne, elle nécessite d’être appropriée par tous les détenteurs d’enjeux : notamment les pouvoirs publics, les partis politiques, la société civile, les médias. 

Sur le fond, les réaménagements proposés aux niveaux institutionnels ne pourraient que renforcer notre démocratie, s’ils résultent d’un audit rigoureux de la pratique plutôt que, l’expression est du même Bolle d’une inclination à franciser la vie institutionnelle de notre pays. S’agissant de l’institution présidentielle, Daba Diawara apporte, d’ailleurs une bonne clarification. Elle ne concerne pas l’article 30 dont il préconise le maintien (dans la loi du genre c’est le changement qui est préconisé plutôt que le statu quo) mais le libellé du second alinéa de l’article 30, sur la rééligibilité du président de la République.

On peut prédire que sur la base de l’ordonnance N°91-074/PCTSP du 10 octobre 1991: le projet de constitution que l’équipe de Daba Diawara est chargé de préparer reprendra cette ordonnance qui dispose « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. En aucune circonstance, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels.» Une formulation d’ailleurs proche de celle du projet de révision constitutionnel de 2001 qui n’a pas été porté à son terme.

Il est donc clair, qu’avec le maintien de l’article 30 et la reformulation pressentie de son second alinéa, le Mali comptera en 2012, si Dieu leur prête vie, trois anciens présidents ; à savoir Moussa Traoré, Alpha Oumar Konaré, Amadou Toumani Touré. A moins que nous n’allions vers la 4è République dont, selon certains spécialistes, l’indication est le régime constitutionnel proposé. Or Daba Diawara préconise le maintien du régime semi-présidentiel…

DEUX AXES A SURVEILLER. Nous revenons, sans nous y attarder sur les raisons d’un biais aussi prononcé sur les institutions plutôt que les produits, notamment l’élection et son arbitrage qui sont la poudrière de notre démocratie. Juste le temps de rebondir sur l’argument d’un internaute pour lequel l’équipe de Daba n’a fait qu’une analyse des auditions et que peut-être, pour la classe politique, les risques de dérives électorales ne sont pas, outre mesure, inquiétants.

Ils inquiètent pourtant l’Union Africaine qui dans la déclaration de Kampala du 25 février 2007 cite parmi les onze plaies des processus électoraux africains : « le mépris du principe de la tenue d’élections libres et justes comme seul fondement légitime à l’exercice du pouvoir ; l’application biaisée des règles en vigueur, au profit du parti au pouvoir ; la mauvaise gestion délibérée à chacune des différentes étapes du processus électoral : établissement des listes électorales, emplacement inapproprié des bureaux de vote, erreurs dans le déroulement du scrutin et corruption de responsables locaux, manque de transparence dans le décompte des voix.

Sans parler de l’arbitrage électoral. Peut-être Daba Diawara et son équipe plancheront t-ils plus longuement sur les tares de l’élection, avec l’opportunité qui leur est offerte à travers le Cari. Pour ce qui est des médias tant publics que privés, la rationalisation proposée par la Commission au niveau des différentes institutions de régulation permettrait une économie d’échelle importante, tout en donnant plus d’autorité et de moyens à l’autorité de régulation qu’elle n’en a eus jusque-là. La Commission a également touché du doigt les travers de la presse dite indépendante. Mais, à notre avis, elle oublie une prémisse grave : à savoir que cette presse n’est pas la cause de la médiocrité et de la permissivité. Elle en est, au contraire, le résultat.

En vérité, ce qui est reproché le plus souvent par les spécialistes aux médias dits indépendants en Afrique, est que ce champ est envahi par la classe politique et plus secrètement par l’Etat qui ne se contente plus de dominer les seuls médias publics. Dès lors, le débat sur la carte de presse et sur les conditions d’exercice du métier de journaliste sur lesquelles s’étend le rapport Daba Diawara ne prennent qu’une importance secondaire. Il s’agit surtout de codifier, en le rendant moins flexible et plus transparent, l’investissement dans les médias privés, car la source première de la perversion se trouve là.

Par ailleurs, même si la Commission signale l’urgence de pluralisme dans le paysage audio-visuel, elle nous prive de son analyse des raisons pour lesquelles l’investissement privé se fait tant attendre dans un champ pourtant apparemment libéralisé. C’est vrai qu’en faisant, à son tour, le constat de déficits de débats contradictoires sur la chaîne publique, la Commission effleure les pistes de réflexions et d’actions dignes de ce que doit être la deuxième génération de notre processus démocratique qui aura 18 ans, l’âge de la majorité dans un peu plus d’un trimestre. Nous aurions voulu cependant l’entendre dire plus fermement que la diversification du paysage audiovisuel ne pourrait constituer l’alternative à la libération des médias publics.

Car, il ne s’agit pas de concéder quelques libertés de parole, ni de chercher à assurer l’impossible égalité d’accès de tous aux médias publics. Il s’agit, dans un sursaut sincère de faire des médias publics la vitrine de notre démocratie et le temple du mérite. C’est bien de se porter au chevet des médias privés. Mais le plus malade n’est pas celui que l’on croit. Et le Cari le prouverait s’il avait le temps d’un diagnostic plus profond.

Adam Thiam

 

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