Chronique du vendredi : Ils ont sauté sur les Champs Elysées

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Exit le 14 juillet le plus africain. Paul Biya était là, nommé doyen par le maître des lieux. Mais Pius Njawe que nous pleurerons toujours, avait déjà, lui, décidé de bouder. Et à condition qu’ils l’aient massivement suivi, ce dont la presse hexagonale n’est pas du tout sûre, Sarkozy aura réussi, pour le bénéfice de ses hôtes, un louable exercice de com en amenant l’Afrique dans autant de foyers français à la fois. Et puis, c’est vrai : le plus jeune des anciens combattants africains n’en a plus pour longtemps car il a dépassé, de loin, l’espérance de vie sur le continent, – la décision d’aligner les pensions ne sera donc pas source d’hémorragie financière pour le trésor français- mais la France se devait, pour sa propre respectabilité, de rétablir cette justice.

C’est fait et c’est à l’honneur de Sarkozy d’avoir fait ce que du haut de la rhétorique prolétarienne, même les gouvernements successifs de la gauche hexagonale n’ont pu faire, comme l’a fort judicieusement relevé un confrère. L’autre aspect critiqué de l’idée c’est le déséquilibre qui résulte du fait que le Français était seul face à treize chefs d’Etats africains qu’il a entretenus de la relation France-Afrique comme si l’Afrique était déjà ce que tous ses fils veulent qu’elle soit : une seule nation. Le tête à tête est sans doute disproportionné mais il n’est pas une nouveauté.

En fin mai, à Nice, il y avait deux fois plus de présidents africains que sur les Champs Elysées mercredi. Et puis, la décennie a quand même largement banalisé le cycle des Brésil-Afrique, USA-Afrique, Inde-Afrique, Japon-Afrique. Dans ce registre un peu mégalo, il ne reste plus que le sommet Brunei-Afrique Les problèmes de l’initiative sarkozienne sont ailleurs. C’est d’abord ces retrouvailles un 14 juillet, une date non africaine, au lieu d’une date plus parlante pour l’Afrique : par exemple, le jour où Paris a été libérée ou le jour où Berlin est tombée. Mais c’est ouvrir les placards de l’Europe en construction. L’autre problème, c’est le discours du président français.

Passons sur le ton que bien des observateurs trouveraient paternaliste mais qui est en vérité le style du nouveau Sarkozy mais qu’il vient d’utiliser dans sa plaidoirie et qui emprunte à la fois à l’objectif d’humilité, de persuasion et de sérénité. Mais erreur : Sarkozy a justifié l’invitation de ses hôtes africains par le fait que le cinquantenaire africain, c’est aussi et un peu de Gaulle. Ce n’est pas la vérité absolue. La dynamique des indépendances était en marche et le président français ne pouvait la désarmer. Il pouvait simplement l’accompagner, s’il ne voulait pas reproduire le couac guinéen ou envoyer son armée dans ses colonies comme il le fera avec l’Algérie dont l’absence des cérémonies du 14 juillet est d’une éloquence qui en dit long sur l’inhibition française.

Adame Ba Konaré avait d’ailleurs expliqué que nos indépendances n’étaient pas octroyées par la France mais conquises. C’était, il y a quelques mois, en réponse aux propos de Jacques Toubon. Sarkozy n’en avait, sans doute, pas eu vent. Ce qui nous ramène encore et toujours au discours de Dakar. Le président français cherche à s’en émanciper depuis. Mais sa pratique consiste à « dédramatiser » la colonisation. Or celle-ci fut un fait et une plaie. Au demeurant, l’Afrique n’exige pas de repentir Elle est partie intégrante du système-monde, elle le sait. La permission de Sarkozy ou de l’Europe lui importe peu : elle coopère déjà avec les puissances émergentes. Ce qu’elle veut, ce sont des relations vraiment décomplexées avec la France : donc, la vérité d’abord, l’accolade ensuite, le partenariat enfin.

Adam Thiam


 

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