Chronique du vendredi : De Sabouciré à Tinzawaten : l’état de la nation

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L’Europe a décidé de saluer à sa manière le compte à rebours jusqu’au 22 septembre, date anniversaire de la naissance du Mali indépendant en lieu et place du Soudan français. Car c’est la semaine prochaine que le président de la République, répondant favorablement à l’invitation du parlement européen, sera à Strasbourg, avec des députés de la majorité comme de l’opposition pour parler du Mali, de sa démocratie, de ses avancées et de ses frayeurs. Et incontestablement, c’est un bon point pour nous, vu l’importance de l’événement et le fait qu’il génère beaucoup de candidats mais très peu d’élus. A deux semaines de notre cinquantenaire et en raison de l’opportunité de communication internationale offerte,  Strasbourg est à la fois une reconnaissance et une aubaine.

Un tremplin plutôt que le nombril.  Ceci dit, nous sommes à J-19 et nous devons prier pour que les éléments qui sèment la désolation chez certains de nos voisins et ailleurs épargnent cette vieille terre. Nous devons prier pour que finisse en paix un mois de ramadan qui a pu corriger certaines des faiblesses passées, comme la hausse drastique du prix des denrées de base sur lesquelles l’Etat a quelque contrôle. Prions enfin pour que la fête soit belle, refondatrice et porteuse de communion pour que s’oublient les haines et les rancoeurs, ne serait-ce que le temps où nous serons ensemble, à la tribune ou devant les écrans voir, côte à côte, la veuve du premier président du Mali, le Général Moussa Traoré, Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré l’hôte du jour. Le défi de la profondeur ne peut être économisé certes mais la symbolique annoncée est belle. L’amoureux des symboles qu’est le président Amadou Toumani Touré ne sera pas arrêté là, du reste. Il a coupé, ce 1er septembre,  le ruban du cinquantenaire à Logo-Sabouciré, un bled inconnu de la plupart de ses compatriotes mais d’où serait parti le premier acte incontestable de résistance à la pénétration coloniale française.

Des historiens dont l’ancien couple présidentiel, Alpha Oumar Konaré et Adame Ba Konaré rappellent, en effet, que le 22 septembre 1878, le roi khassonké Niamodi Cissoko s’oppose à l’avancée des troupes françaises dirigées par le lieutenant-colonel Reybaud. Le souverain a des moyens de fortune, les conquérants, eux, sont forts d’environ 600 hommes, quatre canons et près d’une centaine de chevaux. L’issue est fatale : le résistant meurt les armes à la main, il assène de lourdes pertes mais ses troupes sont  massacrées et vaincues.

Ainsi, d’inégales résistances, sous la zizanie ou la supériorité de feu de l’envahisseur, les remparts tombent les uns après les autres: Kita en 1881, Bamako en 1883, Ségou en 1890, Nioro en 1891, Tombouctou en 1894, Sikasso en 1898, Gao en 1899.  Depuis mercredi donc, le monument de la résistance nationale se trouve à Sabouciré. De Tinzawatène à Zegoua, ce monument parle pour tous les Maliens, il célèbre tous ceux qui sont tombés sous les balles de la colonisation. Dans les pays qui savent créer l’apothéose, nous aurions peut-être assisté à la poignée de mains entre les descendants du roi martyr et du colonel Reybaud pour signifier que le passé est surmonté.

Un élan nouveau. Mais nous le savons pour avoir entendu le président là-dessus, l’indépendance, nous ne la célébrons  ni pour le nombril ni pour nous replier sur nous-mêmes. Plus un recours qu’un retour aux sources, l’étape très significative de Sabouciré  est donc le tremplin d’un nouveau cinquantenaire, riche de nos leçons pour un Mali plus présent auprès de ces nationaux,  à l’Afrique et  au monde. Sous cet éclairage,  ATT, mercredi, était donc en dialogue avec  le pays et nos enfants en particulier.  Fasse le ciel qu’ils l’aient entendu. Car, nous ne leur parlons pas souvent de leur pays, ni en famille ni à l’école ; ils n’entendent plus l’hymne national qu’à l’ouverture des rares matchs de foot où nos très velléitaires Aigles nous représentent. Par conséquent, les jeunes interlocuteurs du président croiraient difficilement qu’un moment le Mali n’a pas existé, qu’il a fallu le créer. Eux  sont les enfants de la liberté, de nos facilités mais aussi de nos propres démissions.  Ils vivent leurs temps et leur temps c’est le rejet des cloisons, la folie du téléchargement, l’école en voiture ou à moto, plusieurs paires de chaussures l’année au lieu d’une comme du temps des parents. Ils n’ont pas vécu les temps épiques de leurs pères où décrocher une boîte de sardine en récompense de bonnes performances scolaires relevait de l’anthologie.

Ce cinquantenaire est donc celui de la famille malienne dont nous nous plaignons tous des dérives, des cortèges mégalomanes de mariages aux dépenses ostentatoires que seule rend possible la corruption, en passant par l’incurie des parents d’élèves devant les aléas de l’école et les hécatombes de la route. En vérité, de l’incivisme au recul de l’éthique publique, ce 22 septembre offre l’occasion d’un audit unique sur d’où venons et où nous voulons aller, individuellement puis collectivement. La famille malienne doit faire son bilan, sinon elle manque un rendez-vous important.

 Fractures et intégration nationale. La jeunesse, dans sa globalité, est un sujet de préoccupation mais elle ne saurait être réduite au même dénominateur car nous sommes, hélas, une société de contrastes et de fractures. L’arbre de rares opulences ne doit pas cacher la forêt de familles réduites aux expédients et à la prime à la perversion. La construction de classes moyennes, forces motrices de tout changement de société est une nécessité. Celle-ci, cependant, s’assume à travers des critères reconnus.

Car le choix pour la démocratie libérale qui s’est faite ici dans le sang de la jeunesse n’est pas une fin en soi. Il est au contraire un moyen pour atteindre une société ouverte, juste, acquise à la promotion du mérite et de la sanction et où le leader est d’abord un exemple plutôt qu’une nouvelle divinité. C’est à l’émergence de cette  « majorité de progrès » pour emprunter le terme de Modibo Sidibé que ce pays doit encore plus travailler, en s’éloignant du cosmétique et de la gouvernance de dissimulation. Pour ressouder toutes les fractures, y compris  la plus grave, le déficit d’intégration nationale. En effet, ce que nous enseignent cinquante ans d’épreuves, c’est que la nation ne veut pas dire la même chose à Kayes et à Kidal. De Bamako, nous sous-estimons toujours l’indicateur-clé qu’est la qualité de l’intégration nationale.

Or nous avons dû nous rendre à l’évidence, plusieurs fois dans l’histoire, que les acquis sont très fragiles. Kidal en 1963, tout le Nord et 1990 et Kidal de nouveau en 2006 : il a fallu que le sang coule pour que brutalement soit reposée la question de notre rapport à la nation ainsi que du rapport de l’Etat au citoyen. Ce qui nous a toujours sauvé, c’est  l’espèce de baraka qui poursuit cette terre d’empires : en 1992, alors que rien ne semblait gagné et que l’Etat croulait sous les exigences citoyennes, nous avons prouvé, à travers le pacte national, notre aptitude au dialogue et au compromis. Ce pacte entre deux parties de la nation n’a pas automatiquement aplani tous les problèmes du Nord. Mais, sans lui, nous aurions eu deux pays. Le risque est plus que faible aujourd’hui, même si le Nord reste le dossier majeur d’une République qui se veut d’un peuple, d’un but, d’une foi.

Adam Thiam

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