Chronique du vendredi : De cinquante ans de gouvernance et de morale publique

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Cinquante ans d’indépendance dont trente et un ans de parti unique et dix neuf ans de pluralisme ! Amadou Toumani devrait normalement nous dire où nous en sommes ce 22 septembre prochain, lui que le destin a choisi comme dirigeant du pays à ce moment hautement symbolique dans la vie de toute nation.

Il a d’autant plus de raisons de le faire que le slogan « huit ans d’indépendance contre quarante-deux ans de néocolonialisme » a prospéré toute l’année, venant du dernier carré de modibistes que sont les Seydou Badian Kouyaté, Amadou Traoré Djikoroni et autres Victor Sy qui ont formé -attention !- leur relève de jeunes débateurs qui sont de tous les forums depuis un moment. L’argumentaire des modibistes est d’une clarté indiscutable : un recensement des réalisations du premier président du Mali, une plaidoirie soutenue pour l’intégrité et le nationalisme de l’homme et de ses équipes.

Il est vrai que la corruption fut à l’époque contenue et l’impunité combattue. Il est aussi vrai que le pays doit à ces pionniers son tissu industriel des débuts, y compris le choix surréaliste d’une usine de montage de radios. Les intellectuels qui réprouvèrent la chute de Modibo Kéita ont-ils, cependant, vu l’hystérie populaire qui accueillit le coup d’état du 19 novembre 1968 ? Ont-ils été des files apocalyptiques pour l’insoluble sucre chinois qui manquait souvent aux coopératives ? Passeront-ils par pertes et profits les premiers crimes d’état contre les leaders du Psp ? Le lieutenant Moussa Traoré, tombeur du grand Modibo Keita, en tout cas, ne se souciera pas d’eux. Il gouvernera de manière inégale pendant vingt trois ans avant d’être renversé lui-même le 26 mars 1991.

Mais il est parti comme il était venu : dans l’hystérie populaire. Avec une différence de taille : sa chute à lui suscita très peu d’indignations d’ordre idéologique. Le Mali sous le Cmln s’ouvre au libéralisme économique mais maintient le régime d’exception pendant une bonne dizaine d’années. Son règne marqua la naissance de la corruption systémique et de l’Etat clientéliste. Même si Moussa Traoré lui-même, après le procès économique qui l’avait jugé, regagna un peu plus de la confiance d’une population s’attendant aux preuves de détournements massifs. Les châteaux de la sécheresse, les grosses fortunes de fonctionnaires des domaines, des impôts et des douanes ont fait également leur apparition durant cette période.

De même que la crise de société caractérisée par la perversion des mœurs et le délitement de la famille ainsi que l’illustre la sortie indignée du ministre Drissa Kéita, un soir de grande révolte. Que plus tard, le même séjourna dans les geôles de la démocratie est particulièrement significatif ! Arrive donc la vague pluraliste qui submergera Moussa Traoré et produira la IIIè République. Rien à voir avec la gouvernance autoritariste du parti unique. Une autre éthique du pouvoir s’imposait, avec le droit à la contradiction, la pluralité d’opinion, en un mot des contre-pouvoirs, face à des pouvoirs élus donc désignés par le peuple.

Le Mali démocratique qui n’a pas vingt ans a fait un grand bond dans le domaine des infrastructures, les villes deviennent des villes, les routes se multiplient, jamais le pays n’a eu autant de salles de classes et de centres de santé, de logements pour ses sans-abris, jamais le leadership n’aura été soumis à autant d’obligations de résultat et de critiques. Mais les besoins n’auront jamais été aussi grands faisant de chaque centime mal investi ou détourné un crucial manque à gagner. Plus on vérifie et on contrôle, plus les rapports d’investigation indiquent que la côte d’alerte est atteinte dans le domaine de la gouvernance des ressources publiques.

Le paradoxe est saisissant entre les rapports annuels du Vérificateur Général, une fierté malienne, les rapports de suivi des résultats de ce bureau et les satisfecit des partenaires de notre pays qui ne donnent pas, en général, dans la complaisance. Il est incontestable que l’impunité est organisée pour certains et que l’Etat de mérite est encore à venir. Pire, la crise de société a gangrené l’école, émoussant la dignité des familles et notre capacité collective à l’indignation. Rien ne résiste devant l’argent-roi, y compris la belle fierté soudanaise. Remobiliser le pays autour de ses valeurs fondatrices est, de ce fait, un des chantiers du Mali démocratique.

Adam Thiam  

 

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