Chronique du vendredi : Croisons les doigts pour la Guinée

0

Vingt quatre candidats dont une femme pour la première élection véritablement démocratique en cinquante deux ans d’une histoire tumultueuse : deux quarts de siècle d’absolutisme bavard et sanglant (Sékou Touré) puis insouciant et un peu chef de village (Lansana Conté); une courte parenthèse à odeur de poudre (Dadis Camara) ; et une transition tricéphale (Sekouba Konaté, Jean Marie Doré, Rabiatou Sérah Diallo) qui sut se rallier à l’essentiel malgré ses éclats de voix. L’espoir, c’est l’enthousiasme fou des foules, le débat installé dans tout le pays. Comme un irrépressible appel de démocratie que rien n’entame.

Ni les imperfections du processus électoral. Ni les mises en garde pas toujours insensées de ceux qui pensent que la Guinée est en train de mettre la charrue devant les bœufs. C’est le très prémonitoire écrivain Moussa Kanté que tout le monde a préféré écouter : « nos élections ne seront ni régulières ni transparentes mais il faut qu’elles se tiennent pour que l’armée rejoigne les casernes pour de bon et que les civils soient en face de leurs responsabilités ». La menace ? Que les civils ne s’entendent pas entre eux et l’armée en profiterait pour conserver le pouvoir. Déjà la fête que devrait être le 27 juin a donné ses premières victimes dans l’affrontement totalement scandaleux, hier, entre les partisans de deux candidats. Avant cela, il y a eu des heurts moins graves mais symptomatiques des défis non maîtrisés.

 L’affrontement regrettable entre militants de l’UFDG de Cellou Dalein Diallo et de l’UPR de Sidya Touré doit pourtant être tout sauf la répétition d’un désordre à grande échelle. Une probabilité si beaucoup d’électeurs n’ont pas leur carte, les listes affichées devant les bureaux indiqués, si la sécurité du vote n’est pas ferme. Et surtout si un vainqueur est proclamé au premier tour. « C’est mathématiquement improbable » avait prévenu, dès avril, Sidiya Touré, ponctuant son « doute cartésien » de sociologie guinéenne.

Car, les grands partis ont, certes, leurs « minorités de service », dans le directoire de campagne des candidats comme dans celui du parti. Certes, tous les candidats sont allés dans toutes les régions. Mais l’électorat reste tribal. Les partis et les candidats s’en défendent. Mais tout le monde le pense. C’est en tout cas le cas pour les deux ténors Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo que tout le monde voit en finale. Bête noire de Lansana Conté et mythe vivant pour beaucoup de ses compatriotes, le leader du RPG tire surtout sa force du pays Malinké, c’est-à-dire la Haute Guinée. Malgré sa légitimité historique, il n’a pas beaucoup du pays peul, -Moyenne Guinée- qui reste le fief de Cellou Dalein Diallo dont rien ne semble entraver l’ascension. Ni la carrière de dignitaire sous Conté dont il fut, douze ans, ministre puis brièvement Premier ministre, ni les attaques « non prouvées », corrige son entourage, contre sa gestion et son intégrité. Tribalisme au premier degré ? Non, la Guinée n’est tout de même pas les Grands Lacs.

 Et voici pourquoi : la principale épine dans les pieds de Alpha Condé est quelqu’un de sa propre ethnie : Lansana Kouyaté, Personne ne s’attend, en effet, à une consigne de vote de ce dernier en faveur de Condé et inversement. Entre Ousmane Ba et Cellou Dalein Diallo, même problème. Les deux « Peulhs » se détestent cordialement et irréversiblement. Ironie du sort, mais c’est tant mieux, l’ego des leaders paraît le meilleur garde-fou contre le vote ethnique au second tour. Sauf si méprisant les calculs d’états major, les électeurs revenaient à l’instinct grégaire. « Ce pays est adulte et il ne faut pas l’infantiliser », se plaisent à répéter des leaders guinéens pour lesquels le démon régionaliste ou ethnique est une vue de l’extérieur. Dieu les entende dimanche et les jours suivants. Car la Guinée est si près du but que son échec en serait simplement tragique. Et si le pire survenait, la communauté internationale, dans ses salons feutrés, se moquerait une fois de plus de la sauvagerie des Africains. C’est pourtant elle qui aura poussé à la roue.

Adam Thiam


Commentaires via Facebook :